Vu la requête, enregistrée le 15 avril 1996 au greffe de la cour, présentée pour M. Mohamed X..., demeurant chez ..., 6 Shudol Y..., 29 Prague, République tchèque, par Me Z..., avocat ; M. X... demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 3 novembre 1995 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à ce que l'Etat soit condamné à lui verser une indemnité de 5.000.000 F en réparation du préjudice subi du fait de son expulsion du territoire français par un arrêté du 15 septembre 1990 ultérieurement annulé et du refus du ministre de l'intérieur de prononcer sa réadmission en France ;
2°) de condamner l'Etat à lui payer la somme de 5.000.000 F ;
3°) de condamner l'Etat à lui payer la somme de 10.000 F au titre des frais irrépétibles ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu l'ordonnance du 2 novembre 1945 et notamment son article 26 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu la loi n 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 30 mai 1997 :
- le rapport de Mme ADDA, conseiller,
- et les conclusions de M. SPITZ, commissaire du Gouvernement ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
Considérant que, par un arrêt en date du 24 avril 1992 le Conseil d'Etat statuant au contentieux a confirmé le jugement du 10 juillet 1991 par lequel le tribunal administratif de Paris avait annulé pour insuffisance de motivation l'arrêté du ministre de l'intérieur du 15 septembre 1990 qui ordonnait l'expulsion du territoire français en urgence absolue de M. X..., ressortissant irakien ; que, par décision du 10 janvier 1994, le ministre de l'intérieur s'est opposé au retour en France de l'intéressé en raison de la menace d'une particulière gravité qu'il constituait pour l'ordre public ; que la demande d'indemnisation dirigée contre l'Etat que M. X... a alors présentée devant le tribunal administratif de Paris n'était pas, contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, uniquement fondée sur l'illégalité fautive de la décision refusant sa réadmission sur le territoire français, élément que l'intéressé n'invoque d'ailleurs plus en appel, mais incluait également le préjudice que lui avait causé l'arrêté du 15 septembre 1990 ordonnant son expulsion ; que le tribunal a omis de se prononcer sur ces conclusions ; que le jugement attaqué doit, dès lors, être dans cette mesure annulé et qu'il y a lieu de statuer immédiatement sur lesdites conclusions par voie d'évocation ;
Sur le principe de la responsabilité de l'Etat :
Considérant que l'arrêté du ministre de l'intérieur du 15 septembre 1990 ordonnant l'expulsion de M. X... a été pris suivant la procédure de l'article 26 de l'ordonnance du 2 novembre 1945, qui n'est applicable qu'en cas de nécessité impérieuse pour la sûreté de l'Etat ou la sécurité publique et d'urgence absolue ; que le fait que l'intéressé ait été responsable pour la France des cellules du parti Baas et ait fréquenté de nombreux diplomates irakiens ne suffit pas à établir qu'à la date dudit arrêté, en dépit de la dégradation des relations entre la France et l'Irak, les conditions auxquelles était subordonnée la mise en oeuvre de l'article 26 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 étaient réunies ; que si le ministre soutient en outre que M. X... aurait participé à des actions de prosélytisme en faveur du gouvernement irakien et exercé pour le compte de l'ambassade d'Irak des activités rémunérées génératrices de troubles au sein de la communauté syrienne et clairement orientées vers la préparation d'actes de nature terroriste, il ne l'établit par aucun document ; qu'ainsi les circonstances de l'espèce n'étaient pas de nature à justifier légalement la mesure prise à l'encontre de l'intéressé ; que, dans ces conditions, l'arrêté susmentionné du ministre de l'intérieur doit être regardé comme entaché d'une illégalité constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat envers M. X... ;
Sur le préjudice :
Considérant, d'une part, que le 15 septembre 1990, date de l'expulsion de M. X..., celui-ci n'était titulaire, comme le Conseil d'Etat statuant au contentieux l'a rappelé dans son arrêt du 4 novembre 1994, que d'une carte de séjour temporaire en qualité d'étudiant qui n'était pas renouvelable de plein droit et dont il n'est pas établi que l'intéressé aurait réuni les conditions pour la voir renouveler ; que, dans ces conditions, les frais qu'il a dû engager pour se réinstaller à l'étranger, ce qu'il aurait dû faire en tout état de cause à l'expiration du titre de séjour dont il bénéficiait, ne peuvent être regardés comme constitutifs d'un préjudice directement imputable à la faute de l'Etat ;
Considérant, d'autre part, que le préjudice allégué par M. X... du fait qu'il n'a pu soutenir sa thèse de doctorat ou obtenir un emploi correspondant à son niveau universitaire ne présente qu'un caractère éventuel ;
Considérant, toutefois, que l'expulsion de M. X... du territoire français avant l'expiration du titre de séjour dont il était titulaire l'a séparé brutalement de sa femme et de ses trois enfants ; qu'il sera fait une juste appréciation du préjudice moral et matériel indemnisable en condamnant l'Etat à lui verser une indemnité de 50.000 F ;
Sur les frais irrépétibles :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner l'Etat à verser à M. X... la somme de 5.000 F au titre de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Paris du 3 novembre 1995 est annulé en tant qu'il a omis de statuer sur les conclusions de M. X... tendant à la réparation du préjudice subi par lui du fait de l'arrêté du ministre de l'intérieur en date du 15 septembre 1990 ordonnant son expulsion du territoire français.
Article 2 : L'Etat est condamné à payer à M. X... la somme de 50.000 F.
Article 3 : L'Etat est condamné à payer à M. X... la somme de 5.000 F au titre de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la demande présentée par M. X... devant le tribunal administratif de Paris et des conclusions de sa requête est rejeté.