(3ème Chambre)
VU enregistrée le 27 septembre 1997 au greffe de la cour sous le n 94PA01436 la requête présentée pour la société anonyme LABORATOIRES PHARMACEUTIQUES BERGADERM dont le siège social est ... 189, à Rungis (94) par Me X..., avocat ; la société anonyme LABORATOIRES PHARMACEUTIQUES BERGADERM demande à la cour :
1 ) d'annuler le jugement n 9113552/3 du 2 mars 1994 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à ce que l'Etat soit condamné à lui verser la somme de 68.200.000 F avec intérêts à compter du 19 octobre 1986 et la capitalisation desdits intérêts ;
2 ) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 98.065.000 F ainsi que la somme de 200.000 F sur le fondement de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
VU les autres pièces produites et jointes au dossier ;
VU le code de la santé publique ;
VU la loi n 83-660 du 21 juillet 1983 relative à la sécurité des consommateurs ;
VU le décret n 84-270 du 11 avril 1984 relatif à la Commission de sécurité des consommateurs ;
VU le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
VU la loi n 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 29 avril 1997 :
- le rapport de M. HAIM, conseiller,
- et les conclusions de Mme HEERS, commissaire du Gouvernement ; Sur la responsabilité de l'Etat :
Considérant que la Commission de sécurité des consommateurs instituée par l'article 13 de la loi du 21 juillet 1983 a procédé, à la demande de tiers, à l'examen et au contrôle des produits cosmétiques de protection solaire comportant, dans sa composition, des psoralènes ; qu'à la suite d'investigations d'une durée de dix huit mois environ elle a, le 17 septembre 1986, émis l'avis que "les produits cosmétiques solaires contenant des psoralènes, et notamment du 5-MOP d'origine naturelle ou non, devaient être interdits, que les autres états membres de la Communauté européenne et la Commission elle même devraient être avertis de la position française" ; que cet avis a été publié le 27 février 1987 au Journal officiel, en annexe au rapport annuel de la Commission de sécurité des consommateurs ;
Considérant que la société anonyme LABORATOIRES PHARMACEUTIQUES BERGADERM recherche en responsabilité l'Etat à raison, d'une part, de la faute que constituerait l'élaboration et la publication de cet avis au Journal officiel et, d'autre part, du caractère anormal et spécial que lui aurait causé, en dehors de toute faute de l'Etat, la publication de cet avis, repris et amplifié par plusieurs revues spécialisées dans la défense des consommateurs, et qui aurait engendré une importante baisse des ventes de son produit commercialisé sous l'appellation de Bergasol ;
Considérant, en premier lieu, que si la circonstance que l'avis émis par la Commission ne présente pas un caractère décisoire et n'a produit, par lui même, aucun effet juridique dans la mesure où l'autorité chargée de la police sanitaire n'a ni suspendu ni interdit la commercialisation des produits cosmétiques en cause, et ainsi privé la requérante de la possibilité d'obtenir l'annulation pour excès de pouvoir dudit avis, elle ne fait nullement obstacle à ce que la personne privée demande à l'Etat, dont cet organisme administratif indépendant, qui ne dispose pas de la personalité juridique, relève, la réparation du préjudice causé par l'activité dudit organisme ;
Considérant, en deuxième lieu, qu'il résulte de la combinaison des articles 8 et 14 de la loi susvisée du 21 juillet 1983 que la compétence de la Commission pour émettre des avis et proposer toute mesure de nature à améliorer la prévention du risque en matière de sécurité des produits et services ne comprend pas les produits et services soumis a des dispositions législatives particulières ou a des règlements communautaires ayant pour objet la protection de la santé, hormis les cas de danger grave et immédiat prévu a l'article 3 de la loi, ou du résultat de contrôles des produits effectués par certains agents de l'Etat ;
Considérant qu'ainsi que le relève le ministre de l'économie dans son mémoire en défense, le ministre de la santé dispose, au titre de la police sanitaire, de l'article L.658-4 du code de la santé, pour réglementer la commercialisation des produits cosmétiques, que ces dispositions, qui présentent le caractère de dispositions particulières au sens de l'article 8 de la loi du 21 juillet 1983 fait sortir les produits cosmétiques du champ de compétence de la Commission, qu'ainsi, l'avis en cause a été rendu par un organisme juridiquement et techniquement incompétent pour apprécier la nocivité supposée de tels produits ;
Considérant qu'il résulte nécessairement de ce qui précède que l'avis en cause n'aurait pas dû intervenir et, a fortiori, être publié au Journal officiel ; que la société requérante est par suite fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté sa requête ; qu'il y a lieu par suite de déclarer l'Etat seul responsable de l'entier préjudice commercial causé à la société requérante par l'avis du 17 septembre 1987 ;
Sur le montant du préjudice :
Considérant que l'expertise produite par la requérante à l'appui de ses prétentions pécuniaires n'a pas été élaborée contradictoirement avec l'autorité ministérielle, qui formule des critiques sérieuses, notamment quant à l'évolution du marché et au devenir d'un produit cosmé tique particulier ; qu'il y a lieu, par suite, d'ordonner une expertise aux fins de déterminer le préjudice commercial causé à la société requérante par la publication de l'avis du 17 septembre 1986 ;
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Paris en date du 2 mars 1994 est annulé.
Article 2 : L'Etat est déclaré responsable du préjudice subi par la société anonyme LABORATOIRES PHARMACEUTIQES BERGADERM du fait de l'avis émis le 17 septembre 1986 par la Commission de sécurité des consommateurs.
Article 3 : Il sera procédé à une expertise dont l'expert sera désigné par le président de la cour administrative d'appel, aux fins déterminées aux motifs du présent arrêt.