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01/04/1996 | FRANCE | N°94PA01075

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3e chambre, 01 avril 1996, 94PA01075


Vu la requête, enregistrée au greffe de la cour le 27 juillet 1994, présentée pour les consorts A..., MM. X... et Z..., par Me C..., avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ; les consorts A..., MM. X... et Y... demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 87893 du 2 juin 1994 par lequel le tribunal administratif de Versailles les a d'une part conjointement et solidairement condamnés à payer, avec les entreprises Eurelast et Billon-structures, à supporter les réparations des désordres survenus dans la piscine Caneton de la commune de Massy s'élevant à un mont

ant de 730.277 F et les frais d'expertise s'élevant au montant de...

Vu la requête, enregistrée au greffe de la cour le 27 juillet 1994, présentée pour les consorts A..., MM. X... et Z..., par Me C..., avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ; les consorts A..., MM. X... et Y... demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 87893 du 2 juin 1994 par lequel le tribunal administratif de Versailles les a d'une part conjointement et solidairement condamnés à payer, avec les entreprises Eurelast et Billon-structures, à supporter les réparations des désordres survenus dans la piscine Caneton de la commune de Massy s'élevant à un montant de 730.277 F et les frais d'expertise s'élevant au montant de 88.739,13 F, d'autre part condamnés à supporter à titre définitif la somme de 376.678 F pour les réparations et 50 % du montant des frais d'expertise ;
2°) de les mettre hors de cause ;
3°) subsidiairement de condamner l'Etat à réparer les conséquences dommageables des désordres dans une proportion qui ne saurait être inférieure à 50 % au moins ;
4°) de condamner l'Etat, les sociétés Séri Renault ingénierie, Billon-structures et Eurelast à les garantir conjointement et solidairement de toute condamnation prononcée contre eux ;
5°) de les décharger des dépens ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code civil ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
VU la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 18 mars 1996 :
- le rapport de M. LIEVRE, conseiller,
- les observations de Me B..., avocat au conseil d'Etat et à la cour de cassation, pour la société Eurelast et celles de la SCP KREMER, avocat, pour la commune de Massy,
- et les conclusions de Mme MARTEL, commissaire du Gouvernement ;

Considérant qu'à la suite d'un concours organisé sur le plan national dans le cadre de l'opération "Mille piscines", l'Etat a confié d'une part à M. A..., auteur d'un projet de piscine économique dénommé Caneton, une mission d'études d'un prototype à partir duquel pourraient être réalisées des Séries importantes et, d'autre part, à la société Séri une mission d'assistance technique à l'architecte et des missions d'études techniques de bâtiment, d'ordonnancement et d'industrialisation ; qu'en application de ce projet, la maîtrise d'oeuvre de la réalisation en Série de 250 piscines a été confiée ensuite à MM. A..., X... et Z... tandis que l'exécution des travaux était attribuée à un groupement d'entreprises comprenant notamment la société Eurelast, chargée du lot étanchéité, et la société Billon-structures, chargée du lot charpente ; que, sur proposition de l'Etat, la commune de Massy a reçu sur sa demande l'attribution d'une piscine industrialisée de type Caneton et, par convention en date du 28 juillet 1976, a délégué à l'Etat la maîtrise d'ouvrage pour la réalisation de l'ouvrage ; que, postérieurement à la réception définitive prononcée le 28 juin 1978, sont apparus divers désordres dont la commune a demandé réparation aux constructeurs ou intervenants ; que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles a condamné, sur le fondement des principes dont s'inspirent les articles 1792 et 2270 du code civil, les consorts A..., MM. X... et Z... ainsi que les sociétés Eurelast et Billon-structures à supporter 60 % des dommages retenus par lui et à verser, en conséquence, à la commune de Massy une indemnité de 730.277 F en réparation des désordres et une indemnité de 88.739,13 F au titre des frais d'expertise ;

Sur les responsabilités :
Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment de l'expertise ordonnée par les premiers juges que la piscine de Massy a été affectée par les mêmes désordres que ceux constatés dans de nombreuses autres piscines du même type et consistant en un pourrissement des poteaux de l'ossature en bois lamellé-collé ainsi que des panneaux de support d'étanchéité, en une détérioration en de nombreux endroits du revêtement en hypalon dé la toiture-terrasse entraînant des infiltrations à l'intérieur des locaux ; qu'ils sont de nature à compromettre la destination et même, pour ceux affectant la structure, la solidité ; que provenant d'erreurs de conception et d'adaptation du procédé Caneton et d'une mauvaise exécution des travaux ils engagent la responsabilité des seuls constructeurs, les architectes A..., X... et Z... et les sociétés Billon-structures et Eurelast, sur le fondement des principes dont s'inspirent les articles 1792 et 2270 du code civil ;
Mais considérant que le défaut de conception de la piscine de Massy procède directement d'une erreur de conception dans le projet général, préalablement à toute réalisation, due à la circonstance que des matériaux inappropriés et insuffisamment éprouvés ont été imposés par les services techniques de l'Etat à l'architecte A... et à la société Séri, lesquels n'ont toutefois pas formulé des objections suffisamment précises et fermes pour être considérées comme des réserves ; que le contrat d'études passé par l'Etat pour le compte de la commune de Massy, pour la construction d'une piscine Caneton avait le caractère d'un contrat administratif ayant pour objet une opération de travaux publics ; que, même si le contrat d'études passé par l'Etat avec la société Séri, maintenant dénommée Renault Automation SA, et avec l'architecte A... pour la préparation du projet de construction en Série des piscines Caneton n'avait pas directement pour objet la construction de la piscine litigieuse et que les relations contractuelles de l'Etat et de la société Séri ont été interrompues avant que l'Etat ne soit maître d'ouvrage délégué de la commune de Massy, l'Etat, la société Séri et M. A... n'en ont pas moins participé à une même opération de travail public ; que dans ces conditions aucun obstacle ne s'opposait à ce que la responsabilité quasi délictuelle de l'Etat, en tant que principal artisan et initiateur du projet, sans qu'il soit besoin de rechercher si la commune lui avait accordé quitus en tant que maître d'ouvrage délégué, fût recherchée par la commune, ainsi que celle de la société Séri ; qu'il en était de même pour l'appel en garantie des architectes dirigé contre la société Séri et l'Etat et de l'appel en garantie de l'Etat formé par la société Séri ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, ainsi que l'a demandé la commune, l'Etat, la société Séri, les consorts A... et les architectes MM. X... et Z..., les sociétés Eurelast et Billon-structures doivent être déclarés solidairement responsables des désordres survenus à la piscine de Massy ;

Sur le préjudice :
Considérant que la commune de Massy demande en appel la somme de 1.410.440 F inférieure à ses conclusions de première instance dont il résulte qu'elle abandonne ses conclusions tendant à l'allocation de frais de maîtrise d'oeuvre des réparations ;
Considérant que la commune, à défaut pour elle de démontrer l'impossibilité d'employer les agents de la piscine à d'autres activités, n'apporte pas la preuve qu'elle a supporté, en pure perte, les traitements et salaires desdits agents soit une somme de 293.520 F ;
Considérant que la commune n'établit pas qu'elle se serait trouvée dans l'impossibilité majeure financière ou technique de faire procéder aux réparations après la date de dépôt du rapport de l'expert le 12 février 1988 ; que, dans ces conditions, il n'y a pas lieu de procéder, comme demandé, à l'actualisation du montant des travaux nécessaires à la remise en état de la piscine entre le 12 février 1988 et la date du présent arrêt ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la commune de Massy a droit à une somme de 1.116.920 F au titre de la réparation du préjudice subi du fait des désordres affectant sa piscine Caneton ;
Sur les intérêts et les intérêts des intérêts ;
Considérant que la somme de 1.116.920 F portera intérêts au taux légal à compter du 5 mars 1987 date d'enregistrement de la demande de la commune de Massy au greffe du tribunal ;
Considérant que la capitalisation des intérêts a été demandée le 20 février 1996 ; qu'à cette date il était dû plus d'une année d'intérêts ; que, dès lors, en application des dispositions de l'article 1154 du code civil il y a lieu de faire droit à cette demande ;

Sur les actions en garantie :
Considérant que pour les intervenants au projet et à la construction de la piscine de Massy qui se sont mutuellement appelés en garantie, il y a lieu de procéder à la répartition de la condamnation en fonction des fautes respectivement commises ;
Considérant que l'Etat a imposé aux constructeurs un procédé de construction étudié au stade du projet national, comportant de graves erreurs de conception, notamment l'absence d'un véritable dispositif pare-vapeur sous la toiture d'un ouvrage particulièrement sensible aux phénomènes de condensation et qui n'ont pas été détectées par l'organisme dénommé "groupe technique central" fonctionnant au sein du secrétariat d'Etat à la jeunesse et aux sports ; que dès lors l'Etat doit être condamné à supporter 40 % de la condamnation ;
Considérant que la société Séri, qui n'est intervenue qu'au stade du projet général, était chargée d'une mission de conception ; que si cette mission n'a pas été menée à son terme complet, les études réalisées ont toutefois servi de base à l'ensemble des réalisations ; qu'à raison des fautes commises dans ce projet et de l'absence de réserves de la société Séri quant à l'utilisation des procédés techniques imposés par l'Etat, il y a lieu de condamner cette société à prendre en charge 15 % de la condamnation ;
Considérant que l'architecte A... est intervenu dès le début dans l'élaboration du projet national et a participé en tant que maître d'oeuvre à la construction ; qu'il n'a ni formulé de véritables réserves quant aux procédés imposés par l'Etat, ni modifié le projet initial pour l'adapter au cas particulier de la piscine litigieuse, ou exercé une surveillance suffisante sur les travaux ; que sa part de responsabilité doit être fixée à 20 % de la condamnation ;
Considérant que les architectes X... et Z... n'ont participé qu'à la phase de construction de la piscine mais n'ont pas détecté les erreurs de conception ni exercé une surveillance suffisante sur les travaux ; qu'ils doivent ainsi assumer solidairement 12,5 % de la condamnation ;
Considérant qu'il résulte nécessairement de ce qui précède que les entreprises Eurelast et Billon-structures doivent supporter solidairement 12,5 % de la condamnation ;

Sur les frais d'expertise :
Considérant que les frais d'expertise s'élevant à la somme de 88.739,13 F doivent être supportés par l'Etat, les consorts A..., MM. X... et Z... ensemble, la société Renault Automation SA, les sociétés Billon-structures et Eurelast ensemble, conformément à leur part de responsabilité dans la survenance des dommages ;
Sur les conclusions de la société Renault Automation SA tendant à ce que l'Etat soit condamné à lui verser les intérêts de la condamnation prononcée à son encontre au titre de la garantie :
Considérant que la société Renault Automation SA n'ayant versé aucune somme jusqu'à la date du présent arrêt, il n'y a pas lieu, en tout état de cause, à une condamnation de l'Etat de ce chef ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel :
Considérant que la société Renault Automation SA succombe dans la présente instance ; qu'il n'y a lieu par suite de condamner les consorts A... à lui verser une somme au titre des frais qu'elle a exposés et non compris dans les dépens ;
Considérant en revanche que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de condamner solidairement l'Etat et la société Renault Automation SA à verser à la commune de Massy une somme de 10.000 F au titre des frais supportés par elle et non compris dans les dépens ;
Article 1er : L'Etat, la société Renault Automation SA, les consorts A..., MM. X... et Y..., les sociétés Eurelast et Billon-structures sont condamnés solidairement à verser à la commune de Massy une somme de 1.116.920 F.
Article 2 : La somme de 1.116.920 F portera intérêts à compter du 5 mars 1987 ; ces intérêts seront capitalisés à la date du 20 février 1996 pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 3 : Cette indemnité sera répartie en fonction des appels en garantie, sur les bases suivantes : 40 % à la charge de l'Etat ; 15 % à la charge de la société Renault Automation SA ; 20 % à la charge des consorts A... ; 12,5 % à la charge solidaire des architectes X... et Z... ; 12,5 % à la charge solidaire des entreprises Eurelast et Billon-structures.
Article 4 : Les frais d'expertise taxés et liquidés à la somme de 88.739,13 F seront supportés par l'Etat, les consorts A..., MM. X... et Z..., la société Renault Automation SA, les sociétés Billon-structures et Eurelast dans les conditions précisées à l'article 2 ci-dessus du présent arrêt.
Article 5 : Le jugement n° 87893 du tribunal administratif de Versailles en date du 2 juin 1994 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 6 : L'Etat et la société Renault Automation SA sont solidairement condamnés à verser à la commune de Massy une somme de 10.000 F en application des dispositions de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.
Article 7 : Le surplus des conclusions de la requête, des conclusions de la société Renault Automation SA, des conclusions de la commune de Massy ainsi que les conclusions de l'Etat sont rejetés.


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3e chambre
Numéro d'arrêt : 94PA01075
Date de la décision : 01/04/1996
Sens de l'arrêt : Condamnation solidaire réformation
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

- RJ1 MARCHES ET CONTRATS ADMINISTRATIFS - RAPPORTS ENTRE L'ARCHITECTE - L'ENTREPRENEUR ET LE MAITRE DE L'OUVRAGE - Responsabilité envers le maître d'ouvrage de participants n'ayant pas la qualité de constructeurs à l'opération de travaux publics objet du marché - Responsabilité quasi-délictuelle.

39-06-01-06 Le contrat d'études passé par l'Etat pour le compte de la commune de Massy, maître d'ouvrage pour la construction d'une piscine de type Caneton, a le caractère d'un contrat administratif ayant pour objet une opération de travaux publics. Si le contrat d'études, passé antérieurement par l'Etat avec la société Séri et l'architecte pour la préparation du projet de construction en série des piscines de ce type, n'avait pas directement pour objet la construction de la piscine de Massy et si les relations contractuelles de l'Etat avec la société Séri ont été interrompues avant que l'Etat ne soit maître de l'ouvrage délégué de la commune, l'Etat, la société Séri et l'architecte n'en ont pas moins participé à une même opération de travaux publics. Dans ces conditions rien ne s'oppose à ce que la responsabilité quasi-délictuelle de l'Etat, principal artisan et initiateur du projet, soit recherchée ainsi que celle de la société Séri, par la commune, sans que soit pris en compte le fait qu'elle aurait donné quitus à l'Etat en tant que maître de l'ouvrage délégué (1). Il y a lieu, dès lors, de procéder à la répartition de la condamnation en fonction des fautes respectivement commises par les intervenants au projet et à la construction de la piscine de Massy qui se sont mutuellement appelés en garantie.

- RJ1 MARCHES ET CONTRATS ADMINISTRATIFS - RAPPORTS ENTRE L'ARCHITECTE - L'ENTREPRENEUR ET LE MAITRE DE L'OUVRAGE - RESPONSABILITE DES CONSTRUCTEURS A L'EGARD DU MAITRE DE L'OUVRAGE - ACTIONS EN GARANTIE - Appel en garantie réciproque des participants à l'opération de travaux publics objet du marché - Participants n'ayant pas la qualité de constructeurs débiteurs de la garantie décennale - Responsabilité quasi-délictuelle.

39-06 Le contrat d'études passé par l'Etat pour le compte de la commune de Massy, maître d'ouvrage pour la construction d'une piscine de type Caneton, a le caractère d'un contrat administratif ayant pour objet une opération de travaux publics. Si le contrat d'études, passé antérieurement par l'Etat avec la société Séri et l'architecte pour la préparation du projet de construction en série des piscines de ce type, n'avait pas directement pour objet la construction de la piscine de Massy et si les relations contractuelles de l'Etat avec la société Séri ont été interrompues avant que l'Etat ne soit maître de l'ouvrage délégué de la commune, l'Etat, la société Séri et l'architecte n'en ont pas moins participé à une même opération de travaux publics. Dans ces conditions rien ne s'oppose à ce que la responsabilité quasi-délictuelle de l'Etat, principal artisan et initiateur du projet, soit recherchée ainsi que celle de la société Séri, par la commune, sans que soit pris en compte le fait qu'elle aurait donné quitus à l'Etat en tant que maître de l'ouvrage délégué (1).


Références :

Code civil 1792, 2270, 1154
Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel L8-1

1.

Rappr. CE, Section, 1995-01-20, Mme Veuve Charvier et autres, p. 37


Composition du Tribunal
Président : M. Beyssac
Rapporteur ?: M. Lièvre
Rapporteur public ?: Mme Martel

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;1996-04-01;94pa01075 ?
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