VU la requête enregistrée le 28 octobre 1992 au greffe de la cour, présentée pour Mme X demeurant, C--os de Claudas, 13720 Belcodene, par la SCP BOLLET et associés, avocat à la cour ; Mme X demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 9010984/4 du 20 mai 1992 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une indemnité de 3.000.000 de francs augmentée des intérêts légaux, en réparation du préjudice subi du fait du décès de son fils à la suite de sa contamination par le virus de l'immunodéficience humaine ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser, d'une part, la somme de 3.000.000 de francs augmentée des intérêts de droit à compter de la date de réception de sa demande préalable, d'autre part, la somme de 5.000 F en application de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu les autres pièces du dossier ;
VU le code de la santé publique ;
VU la loi n° 91-1406 du 31 décembre 1991 ;
VU le décret n° 92-759 du 31 juillet 1992 ;
VU le décret n° 93-906 du 12 juillet 1993 ;
VU le décret n° 54-65 du 16 janvier 1954 modifié ;
VU le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
VU la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 15 février 1994 :
- le rapport de Mme LACKMANN, conseiller,
- et les conclusions de M. DACRE-WRIGHT, commissaire du Gouvernement ;
Sur la responsabilité :
Considérant que les articles L.666 et suivants du code de la santé publique dans leur rédaction en vigueur à la date du jugement attaqué et les dispositions du décret du 16 janvier 1954 modifié pris pour leur application ont déterminé les conditions dans lesquelles peuvent être opérés le prélèvement du sang humain et la préparation, la conservation et la délivrance des produits dérivés du sang humain et ont confié à des établissements de transfusion sanguine non lucratifs, placés sous contrôle de l'Etat, l'exécution des missions ainsi définies ; que notamment les attributions des centres de transfusion sont énumérées par le décret susmentionné ; que la composition de leur conseil d'administration est fixée par ledit décret, et que le directeur de chaque centre est agréé par le ministre ; que l'organisation générale de la transfusion sanguine est assurée, dans chaque département, où il ne peut exister en principe qu'un centre de transfusion, sous l'autorité du préfet par le directeur départemental de la santé ; qu'enfin le ministre de la santé est seul chargé, aux termes de l'article L.669, de réglementer les conditions de prélèvements et l'utilisation thérapeutique du sang humain, de son plasma et de leurs dérivés ; qu'ainsi, eu égard tant à l'étendue de s pouvoirs que ces dispositions confèrent aux services de l'Etat en ce qui concerne l'organisation générale du service public de la transfusion sanguine, le contrôle des établissements qui sont chargés de son exécution et l'édiction des règles propres à assurer la qualité du sang humain, de son plasma et de ses dérivés, qu'aux buts en vue desquels ces pouvoirs leur ont été attribués, la responsabilité de l'Etat peut être engagée par toute faute commise dans l'exercice desdites attributions ; que, par suite, l'Etat n'est pas fondé à soutenir que sa responsabilité ne pouvait être engagée qu'en cas de faute lourde ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que le risque de contamination par le virus de l'immunodéficience humaine par la voie de la transfusion sanguine était tenu pour établi par la communauté scientifique dès novembre 1983 et que l'efficacité du procédé du chauffage pour inactiver le virus était reconnue au sein de cette communauté dès octobre 1984, tandis qu'il était admis, à cette époque qu'au moins 10 % des personnes séropositives contractent le syndrome d'immunodéficience acquise dans les cinq ans et que l'issue de cette maladie est fatale dans au moins 70 % des cas ; que ces faits ont été consignés le 22 novembre 1984 par le docteur Brunet, épidémiologiste à la direction générale de la santé, dans un rapport soumis à la commission consultative de la transfusion sanguine ; qu'eu égard au caractère contradictoire et incertain des informations antérieurement disponibles tant sur l'évolution de la maladie que sur les techniques susceptibles d'être utilisées pour en éviter la transmission, il ne peut être reproché à l'administration de n'avoir pas pris avant cette date de mesures propres à limiter les risques de contamination par transfusion sanguine, notamment en interdisant la délivrance des produits sanguins non chauffés, en informant les hémophiles et leurs médecins des risques encourus, ou en mettant en place des tests de dépistage du virus sur les dons de sang et une sélection des dons ; qu'en revanche il appartenait à l'autorité administrative, informée à ladite date du 22 novembre 1984, de façon non équivoque, de l'existence d'un risque sérieux de contamination des transfusés et de la possibilité d'y parer par l'utilisation des produits chauffés qui étaient alors disponibles sur le marché international, d'interdire, sans attendre d'avoir la certitude que tous les lots de produits dérivés du sang étaient contaminés, la délivrance des produits dangereux, comme elle pouvait le faire par arrêté ministériel pris sur le fondement de l'article L.669 du code de la santé publique ; qu'une telle mesure n'a été prise que par une circulaire dont il n'est pas établi qu'elle a été diffusée avant le 20 octobre 1985 ; que cette carence fautive de l'administration est de nature à engager la responsabilité de l'Etat à raison des contaminations provoquées par des transfusions de produits sanguins pratiquées entre le 22 novembre 1984 et le 20 octobre 1985 ;
Considérant que l'Etat ne peut s'exonérer de la responsabilité ainsi encourue en invoquant des fautes commises dans la prescription et la délivrance des produits sanguins contaminés par les établissements de transfusion sanguine ; qu'il appartient seulement à l'Etat d'exercer, s'il s'y croit fondé, une action récursoire à l'encontre d'un centre de transfusion sanguine sur la base de fautes imputables à celui-ci et ayant concouru à la réalisation du dommage ; qu'il suit de là que la responsabilité de l'Etat est intégralement engagée à l'égard des personnes contaminées par le virus de l'immunodéficience humaine à la suite d'une transfusion de produits sanguins non chauffés opérée entre le 22 novembre 1984 et le 20 octobre 1985 ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que la séropositivité de M. Y a été révélée en juillet 1985 ; qu'il ressort du certificat médical établi le 13 août 1992 par le docteur Sicardi, et qu'il n'est pas contesté, que M. Y recevait en moyenne une injection de facteur VIII par semaine ; qu'il a ainsi régulièrement subi des transfusions de produits sanguins non chauffés au cours de la période précitée ; que, par suite, et bien qu'aucun lot de produits sanguins ne lui ait été délivré entre le 7 septembre 1984 et le 19 juillet 1985 la responsabilité de l'Etat est engagée à son égard en raison des conséquences dommageables desdites transfusions ; que dès lors, Mme X est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à ce que l'Etat soit condamné à l'indemniser au titre du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence qu'elle a subis en raison du décès de son fils Michel le 21 décembre 1989 ;
Sur la réparation :
Considérant qu'en application des dispositions de l'article 47 de la loi du 31 décembre 1991 et de l'article 17 du décret du 31 juillet 1992 modifié pris pour son application, le Fonds d'indemnisation des transfusés et hémophiles contaminés par le virus de l'immunodéficience humaine a informé la cour que Mme X a accepté l'offre d'indemnisation de 100.000 F qui lui a été faite au titre de son préjudice moral ; que l'indemnité mise à la charge de l'Etat au titre du même préjudice n'est pas susceptible d'être supérieure à celle allouée par le Fonds ; qu'ainsi le préjudice de Mme X ayant été intégralement réparé, aucune indemnité complémentaire ne lui est due ;
Considérant, dès lors, que Mme X n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande ;
Sur l'application des dispositions de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel :
Considérant que l'article L.8-1 précité dispose : "Dans toutes les instances devant les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépenses ; que ces dispositions font obstacle à ce que l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamné à payer à Mme X la somme qu'elle demande aux titres des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
Article 1er : La requête de Mme X est rejetée.