Vu la requête sommaire et le mémoire ampliatif présentés pour la société anonyme Jacques Dangeville, ayant son siège social ..., par la SCP Peignot-Garreau, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ; ils ont été enregistrés au greffe de la cour les 26 juillet et 24 novembre 1989 ; la société Jacques Dangeville demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 8709086/1 du 23 mai 1989 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui payer la somme de 291.816,91 F en réparation du préjudice subi du fait de la perception indue de la taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 1978 ;
2°) de lui accorder l'indemnité sollicitée ainsi que les intérêts de droit capitalisés ; Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution et notamment son article 55 ;
Vu le traité instituant la Communauté économique européenne ;
Vu la 6ème directive n° 77/388/CEE du Conseil des communautés européennes du 17 mai 1977 et la 9ème directive n° 78/583/CEE du 26 juin 1978 ;
Vu le code général des impôts ;
Vu le code civil ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 17 juin 1992 :
- le rapport de M. Lotoux, conseiller,
- les observations de la SCP PEIGNOT, GARREAU, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, pour la société Jacques Dangeville,
- et les conclusions de M. Bernault, commissaire du Gouvernement ;
Sur le principe de la responsabilité de l'Etat :
Considérant qu'il résulte des stipulations du traité instituant la Communauté économique européenne, et notamment de son article 5, que l'Etat français est tenu de prendre toutes les mesures propres à assurer l'exécution des obligations qui lui incombent en vertu dudit traité ; que parmi ces obligations se trouve celle d'effacer les conséquences illicites d'une violation du droit communautaire soit directement, soit, à défaut, en assurant la réparation effective des préjudices qui en ont résulté ; que, par suite, la circonstance qu'un contribuable se prétendant taxé sur le fondement d'une disposition législative incompatible avec les objectifs d'une directive communautaire ait d'abord déféré en vain l'imposition en cause au juge de l'impôt, lequel n'a pas admis la possibilité d'invoquer utilement cette incompatibilité, ne saurait par elle-même faire obstacle à ce que l'intéressé soit recevable à demander, sur le fondement des obligations résultant du traité précité, la réparation du préjudice découlant pour lui de l'absence de transposition en droit interne des objectifs de la directive ;
Considérant qu'il résulte de l'article 13-B-a de la 6ème directive du Conseil des communautés économiques européennes du 17 mai 1977 que les législations des Etats membres devaient, à compter du 1er janvier 1978, exonérer de la taxe sur la valeur ajoutée les opérations d'assurance et de réassurance, y compris les prestations de services afférentes à ces opérations effectuées par les courtiers et les intermédiaires d'assurance ; que si la 9ème directive du 26 juin 1978, notifiée à l'Etat français le 30 juin 1978, a reporté pour la France la date limite de transposition de la 6ème directive au 1er janvier 1979, cette directive n'a comporté, aux termes de l'interprétation qui en a été donnée par la Cour de justice des Communautés économiques européennes, aucun effet rétroactif ; qu'ainsi les dispositions de l'article 256 du code général des impôts, dans sa rédaction antérieure au 1er janvier 1979 et en vertu desquelles étaient assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée les activités de courtage en assurances de la nature de celles exercées par la société Jacques Dangeville, n'étaient pas compatibles, pour la période du 1er janvier au 30 juin 1978, avec les objectifs fixés par la 6ème directive ; que la société requérante est dès lors fondée à soutenir que, contrairement à ce qu'a décidé le tribunal administratif, la responsabilité de l'Etat se trouve engagée en raison de la situation ainsi créée et à demander que l'Etat soit condamné à réparer le préjudice résultant pour elle de la situation illicite résultant de son assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période susindiquée ;
Sur le préjudice :
Considérant que, compte tenu du mode de rémunération des courtiers en assurance, déterminé par les assureurs en pourcentage des primes versées par la clientèle de ces derniers, la taxe sur la valeur ajoutée acquittée par la société Jacques Dangeville n'était pas répercutée sur sa clientèle et n'a donné lieu à aucune facturation ; qu'ainsi le préjudice dont la société est fondée à demander réparation est égal au montant de la taxe qu'elle a acquittée pour la période du 1er janvier au 30 juin 1978 et s'élève à la somme de 129.845,86 F ;
Sur les intérêts :
Considérant que la société requérante a droit aux intérêts de la somme de 129.845,86 F à compter du jour de réception par le ministre de la demande adressée à celui-ci le 16 mars 1987 ;
Sur la capitalisation :
Considérant que la capitalisation des intérêts a été demandée les 26 juillet 1989 et 12 juin 1992 ; qu'à chacune de ces dates, il était dû au moins une année d'intérêts ; que dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à ces demandes ;
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Paris du 23 mai 1989 est annulé.
Article 2 : L'Etat est condamné à verser à la société Jacques Dangeville la somme de 129.845,86 F, avec intérêts au taux légal à compter de la date de réception par le ministre de la demande du 16 mars 1987. Les intérêts échus les 26 juillet 1979 et 12 juin 1992 seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de la société Jacques Dangeville est rejeté.