VU la requête sommaire, et le mémoire complémentaire enregistrés les 20 et 28 janvier 1992 au greffe de la cour, présentés pour M. X. demeurant 23 rue du Chemin vert, 75011 Paris, par la SCP LYON-CAEN, FABIANI, THIRIEZ, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation et par Me LASSNER, avocat à la cour ; M. X. demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 9004346/4 du 20 décembre 1991, par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui payer une indemnité de 2.500.000 F avec les intérêts capitalisés en réparation du préjudice qu'il a subi du fait de sa contamination par le virus de l'immunodéficience humaine, ensemble la décision du ministre des affaires sociales et de l'intégration rejetant son recours gracieux, en date du 30 mars 1990 ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 2.500.000 F augmentée des intérêts de droit à compter du 1er décembre 1989 et capitalisation des intérêts ;
VU les autres pièces du dossier ;
VU la Convention européenne des droits de l'homme ;
VU le code de la santé publique ;
VU la loi n° 91-1406 du 31 décembre 1991 ;
VU le décret n° 54-65 du 16 janvier 1954 modifié ;
VU le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
VU la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 11 juin 1992 :
- le rapport de M. MERLOZ, conseiller,
- les observations de la SCP LYON-CAEN, FABIANI, THIRIEZ, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation et de Me LASSNER, avocat à la cour, pour M. et Mme X. et celles de la SCP ROUVIERE, LEPITRE, BOUTET pour le ministre de la santé et de l'action humanitaire,
- et les conclusions de M. DACRE-WRIGHT, commissaire du Gouvernement ;
Considérant qu'en définissant les règles applicables en matière de transfusion sanguine, les dispositions combinées des articles L.666 à L.673 du code de la santé publique et du décret du 16 janvier 1954 modifié ont seulement confié à l'Etat le rôle de fixer les conditions "d'utilisation thérapeutique du sang humain, de son plasma et de leurs dérivés" et de contrôler les établissements publics ou privés de transfusion sanguine, lesquels ont reçu notamment la mission d'intérêt général de préparer, de conserver et de délivrer à titre onéreux ces produits ; qu'en particulier, les articles L.669 et L.670 du code précité font obligation à l'autorité ministérielle compétente d'édicter la réglementation nécessaire afin que soit préservée, en toute circonstance, la qualité du sang humain, de son plasma et de leurs dérivés utilisés à des fins thérapeutiques ; qu'eu égard aux difficultés inhérentes à l'exercice de ces attributions, la responsabilité de l'Etat ne peut être engagée que si cet exercice révèle l'existence d'une faute lourde commise par l'administration ; que, par suite, les moyens tirés de ce que la responsabilité de l'Etat serait engagée par une faute commise dans l'organisation et le fonctionnement d'un service public de la transfusion sanguine, par une faute révélée par la contamination des bénéficiaires de transfusions sanguines ou même sans faute en raison du risque créé par le maintien, dans l'intérêt général, d'une activité dangereuse, doivent être écartés ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que, contrairement à ce que soutiennent les requérants, eu égard au caractère contradictoire et incertain des informations scientifiques disponibles avant le début de l'année 1985, y compris celles résultant de la communication faite à la séance du 22 novembre 1984 de la commission consultative de la transfusion sanguine, il ne peut être reproché à l'administration de ne pas avoir, dès cette époque, d'une part, décidé de généraliser le remplacement des produits sanguins non chauffés par les produits chauffés, d'autre part, imposé pour les donneurs de sang la pratique d'un test de dépistage alors qu'aucun test officiellement approuvé n'était disponible sur le plan international avant le mois de mars 1985 ; qu'en revanche, contrairement à ce que soutient le ministre, les faits qui ont été portés le 12 mars 1985 à la connaissance de l'autorité administrative compétente établissent que celle-ci a été informée à cette date, de manière non équivoque, des risques exceptionnels de contamination par le virus de l'immunodéficience humaine encourus à l'occasion des transfusions sanguines ; qu'ainsi, il appartenait à cette autorité d'adopter, en vertu des pouvoirs qu'elle tient des dispositions précitées des articles L.669 et L.670 du code de la santé publique, l'ensemble des mesures indispensables pour mettre fin, sans délai, à la délivrance des produits dangereux pour les intéressés ; que si, par deux arrêtés du 23 juillet 1985, la détection systématique "des anticorps anti-LAV" a été mise en oeuvre à compter du 1er août 1985 et la prise en charge par les organismes d'assurance maladie des produits sanguins non chauffés interrompue à compter du 1er octobre 1985, ce n'est que par une circulaire en date du 20 octobre 1985, publiée au Bulletin officiel du ministère, que la délivrance des produits susceptibles d'avoir été contaminés par le virus de l'immunodéficience humaine a été interdite ; qu'en différant du 12 mars 1985 au 20 octobre 1985 cette décision, l'administration a commis une faute lourde de nature à engager la responsabilité de l'Etat à raison des transfusions administrées pendant cette période, l'Etat pouvant toutefois être partiellement exonéré de sa responsabilité par les fautes éventuellement commises dans la prescription et la délivrance des produits sanguins contaminés ;
Considérant que le moyen tiré des dispositions de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, lequel a trait à l'ingérence de la puissance publique dans la vie privée des citoyens, est inopérant ; que le moyen tiré de la violation des dispositions de l'article 2 de la même convention, lequel concerne le droit de toute personne à ce que sa vie soit protégée par la loi, n'est pas de nature à modifier la date à partir de laquelle la responsabilité de l'administration peut être engagée, dès lors qu'il résulte de ce qui précède que l'absence de diligence de l'Etat à compter de cette date pour prendre les mesures nécessaires à la protection de la vie de M. X. ne se distingue pas de celle qui conduit à engager la responsabilité de la puissance publique ; qu'enfin, le requérant n'est fondé à invoquer, pour soutenir que la responsabilité de l'Etat serait engagée, ni la directive du Conseil des communautés européennes en date du 25 juillet 1985 qui ne se rapporte pas aux produits constitués par le sang humain, son plasma et leurs dérivés, ni la directive du 14 juin 1989 qui est, en tout état de cause, postérieure aux faits incriminés ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le moyen tiré du défaut d'information, par l'administration, des médecins et des hémophiles, n'est pas davantage de nature à modifier la date à partir de laquelle la responsabilité de l'Etat est engagée ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que la séropositivité de M. X., hémophile à qui ont été administrés des produits dérivés du sang à usage thérapeutique, a été révélée le 16 mars 1985 ; que, compte tenu de la phase de latence nécessaire à l'apparition des anticorps anti-virus de l'immunodéficience humaine, la contamination de M. X. par ce virus provient nécessairement d'une transfusion sanguine pratiquée avant le 12 mars 1985 ; qu'il suit de là que les conséquences dommageables résultant de cette contamination ne sont pas en relation directe et certaine avec la faute lourde commise par l'administration et ne constituent pas, dès lors, un préjudice dont l'indemnisation incomberait à l'Etat ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, que les requérants ne sont pas fondés à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de M. X. ;
Article 1er : La requête de M. X. est rejetée.