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22/10/2024 | FRANCE | N°24NT01931

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, Juge des référés, 22 octobre 2024, 24NT01931


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société par actions simplifiée d'aménagement urbain et rural (SAUR) a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nantes de condamner la société Degrémont France, venant aux droits de la société par actions simplifiées (SAS) Degrémont France Assainissement, à lui verser une provision d'un montant de 249 000 euros, sur le fondement des dispositions de l'article R. 541-1 du code de justice administrative.



Par une ordonnance n° 231814

9 du 10 juin 2024, le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a condamné la société Degrém...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée d'aménagement urbain et rural (SAUR) a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nantes de condamner la société Degrémont France, venant aux droits de la société par actions simplifiées (SAS) Degrémont France Assainissement, à lui verser une provision d'un montant de 249 000 euros, sur le fondement des dispositions de l'article R. 541-1 du code de justice administrative.

Par une ordonnance n° 2318149 du 10 juin 2024, le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a condamné la société Degrémont France à verser à la SAUR une provision d'un montant 50 862,50 euros.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 24 juin 2024, la SAUR, représentée par Me Toret, demande au juge d'appel des référés de la cour :

1°) d'annuler cette ordonnance du 10 juin 2024 du juge des référés du tribunal administratif de Nantes, en toutes ses dispositions ;

2°) de condamner la société Degrémont France, venant aux droits de la société par actions simplifiées (SAS) Degrémont France Assainissement, à lui verser une provision d'un montant de 249 000 euros ;

3°) de mettre à la charge la société Degrémont France une somme de 20 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient :

- que la responsabilité décennale des constructeurs n'était pas invocable à son encontre alors qu'elle est tiers au marché ; elle a invoqué la responsabilité civile extra contractuelle de la société Degrémont France ; le jugement attaqué est fondé non seulement sur un dispositif légal non visé dans la requête mais également non applicable au litige ;

- que le premier juge a statué sur deux chefs de préjudices ne concernant que le maître d'ouvrage, dont il n'avait pas été saisi ;

- qu'il s'est trompé en ne constatant pas la faute extra-contractuelle de la société Degrémont France Assainissement et en se prononçant sur le fondement de la responsabilité décennale des constructeurs ;

- qu'il s'est fondé sur un rapport d'expertise privé non probant pour remettre en cause les conclusions de l'expert judiciaire ;

- que l'insuffisance du processus de lavage constatée par l'expert judiciaire était imputable à la société Degrémont France Assainissement seule en charge du programme de rétro-lavage ;

- que l'encrassement des membranes, qui a compromis l'exploitation de la station, résulte d'un défaut de conception et de préconisation imputable à la société Degrémont France Assainissement ; compte tenu de l'insuffisance de puissance de la station, dès sa mise en service, les particules ont progressivement obstrué les membranes ; il appartenait à la société Degrémont France seule de corriger la programmation du débit du rétro-lavage ; sa responsabilité extra contractuelle est engagée.

Par un mémoire, enregistré le 9 septembre 2024, la société Degrémont France, représentée par Me Carrière, demande à la cour, d'annuler l'ordonnance du 10 juin 2024 du juge des référés du tribunal administratif de Nantes en tant qu'elle la condamne, de rejeter la demande de la SAUR ou à tout le moins de rectifier l'erreur du premier juge dans l'application du coefficient de vétusté et de mettre à sa charge une somme de 20 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient :

- qu'effectivement le premier juge s'est prononcé sur deux chefs de préjudices ne concernant que le maître d'ouvrage, dont il n'avait pas été saisi ; en tout état de cause, le coefficient de vétusté qu'il aurait dû appliquer était de 25% et pas de 75% ;

- que le rapport d'expertise privée qu'elle produit apporte une contestation probante et sérieuse des conclusions de l'expert judiciaire, qui bien qu'incompétent dans le fonctionnement des stations d'épuration n'a pas demandé à s'adjoindre un sapiteur ;

- que l'expert qu'elle a mandaté a conclu que la SAUR aurait dû procéder à un nettoyage manuel supplémentaire et récurrent pour éviter tout encrassement des membranes, que leur durée de vie est en tout état de cause estimée à 8 à 10 ans et qu'un défaut de maintenance des tamis a pu contribuer aux désordres.

Vu les autres pièces du dossier

Vu le code de justice administrative.

Vu la décision du président de la cour administrative d'appel de Nantes du 1er novembre 2023 désignant M. Derlange, président assesseur, en application de l'article L. 555-1 du code de justice administrative, pour statuer en appel sur les décisions des juges des référés.

Considérant ce qui suit :

1. La SAUR est délégataire depuis 2006 du service public d'assainissement du syndicat intercommunal à vocation multiple (SIVOM) de la Côte de Jade, devenu depuis la communauté d'agglomération Pornic agglo Pays de Retz. Le SIVOM a confié, en 2009, un marché de restructuration de la station d'épuration " la Princetière ", située sur le territoire de la commune de Saint-Michel Chef-Chef, à un groupement d'entreprises composé notamment de la société Degrémont France Assainissement, qui été dissoute le 3 janvier 2023 et dont le patrimoine a été transféré à la société Degrémont France. Les travaux ont été réceptionnés le 12 décembre 2013. Par une ordonnance du 10 juin 2024, le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a condamné la société Degrémont France à verser à la SAUR une provision d'un montant de 50 862,50 euros en raison de l'impossibilité de manœuvre des vannes guillotine en sortie du bassin d'aération et de décentrage du tamis C. La SAUR relève appel de cette ordonnance en réitérant sa demande de première instance à la hauteur de 249 000 euros. Par la voie de l'appel incident, la société Degrémont France conclut au rejet de la demande de la SAUR.

2. Aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie. ". Aux termes de l'article R. 541-3 du même code : " Sous réserve des dispositions du douzième alinéa de l'article R. 811-1, l'ordonnance rendue par le président du tribunal administratif ou par son délégué est susceptible d'appel devant la cour administrative d'appel dans la quinzaine de sa notification. ". Il résulte des dispositions de l'article R. 541-1 du code de justice administrative que, pour regarder une obligation comme non sérieusement contestable, il appartient au juge des référés de s'assurer que les éléments qui lui sont soumis par les parties sont de nature à en établir l'existence avec un degré suffisant de certitude. Dans ce cas, le montant de la provision que peut allouer le juge des référés n'a d'autre limite que celle résultant du caractère non sérieusement contestable de l'obligation dont les parties font état.

3. Dans sa requête devant le juge des référés du tribunal administratif, la SAUR, exploitante de la station d'épuration " la Princetière ", a demandé à être indemnisée du préjudice résultant pour elle de l'encrassement des membranes d'ultrafiltration de cette station, du fait de préconisations insuffisantes mises en place pour l'entretien de ces membranes par la société Degrémont France Assainissement, membre du groupement en charge de la conception et de la construction de cet ouvrage public. Le préjudice dont elle demande réparation à hauteur de 249 000 euros correspond à des consommations excessives de nettoyants, javel et acide, injectés sans efficacité et à des levages supplémentaires de membranes tous les ans pour procéder à leur décrassage et surveiller leur état ainsi que celui des mannequins support.

4. D'une part, pour accorder à la SAUR une provision d'un montant 50 862,50 euros au titre de l'indemnisation des préjudices liés à l'impossibilité de manœuvre des vannes guillotine en sortie du bassin d'aération et de décentrage du tamis C, qui bien qu'examinés par l'expert judiciaire, n'avaient pas été invoqués par cette société, le juge des référés du tribunal administratif de Nantes, qui ne les avait d'ailleurs pas visés, a dénaturé, en leur donnant une interprétation erronée, les conclusions dont il était saisi.

5. D'autre part, pour statuer sur les conclusions dont il avait effectivement été saisi au titre de l'encrassement des membranes d'ultrafiltration de la station d'épuration " la Princetière ", le juge des référés du tribunal administratif de Nantes s'est prononcé sur le seul fondement de la responsabilité décennale des constructeurs, en omettant d'analyser dans ses visas le moyen soulevé par la SAUR de l'engagement de la responsabilité quasi-délictuelle de la société Degrémont France Assainissement en raison d'un défaut de conception et de préconisation et d'y répondre. Il a ainsi commis une seconde irrégularité.

6. Il résulte des deux points précédents que l'ordonnance du 10 juin 2024 du juge des référés du tribunal administratif de Nantes est entachée d'irrégularités et doit être annulée. Par suite, il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande de la SAUR devant le tribunal administratif de Nantes.

7. Les tiers à un contrat administratif, hormis les clauses réglementaires, ne peuvent en principe se prévaloir des stipulations de ce contrat. Il n'est pas allégué que la SAUR agirait en qualité de mandataire du maître d'ouvrage. Par suite, la SAUR, qui n'est pas partie au marché conclu entre le SIVOM de la Côte de Jade et notamment la société Degrémont France Assainissement, ne peut utilement se prévaloir d'un manquement de cette société à des obligations contractuelles qui résulteraient de ce contrat. Elle ne peut pas non plus se prévaloir, si elle a entendu le faire, de la responsabilité décennale des constructeurs qu'il n'appartient en principe qu'au maître d'ouvrage d'invoquer.

8. Par ailleurs, le juge administratif n'est compétent pour connaître de conclusions tendant à mettre en jeu la responsabilité quasi-délictuelle d'une personne morale de droit privé que si le dommage se rattache à l'exercice par cette dernière de prérogatives qui lui ont été conférées pour l'exécution de la mission de service public dont elle a été investie. Par suite, le juge administratif n'est pas compétent pour se prononcer sur le moyen soulevé devant lui par la SAUR, au titre de la responsabilité civile extra contractuelle de la société Degrémont France Assainissement, tiré d'un défaut de conception et de préconisation, alors que celle-ci n'a pas disposé de prérogatives qui lui auraient été conférées pour l'exécution d'une mission de service public dont elle aurait été investie.

9. En revanche, en se présentant en tant qu'usager de l'ouvrage public construit par la société Degrémont France Assainissement et en faisant valoir que l'encrassement des membranes d'ultrafiltration a fait obstacle au fonctionnement normal de la station d'épuration et lui a causé divers préjudices, la SAUR peut être regardée comme ayant qualité pour réclamer la réparation des dommages résultant de l'exécution de travaux publics entrepris pour le compte du maître d'ouvrage à l'entreprise qui a été chargée de ces travaux.

10. L'expert judiciaire a constaté un accroissement continu et excessif de l'encrassement des membranes d'ultrafiltration de la station d'épuration qu'il explique par un processus de lavage insuffisant pour déboucher les pores et décolmater les déchets des membranes. En produisant un rapport d'un contre expert qu'elle a mandaté, qui ne remet pas en cause l'existence des désordres mais seulement leur nature précise en distinguant selon que les membranes sont colmatées ou encrassées et qui affirme que ces désordres sont inéluctables s'agissant d'un équipement d'une durée d'utilisation de 8 à 10 ans, alors qu'ils ont été constatés dix-huit mois seulement après la mise en route et que le tamisage n'a pas été correctement effectué, la société Degrémont France ne conteste pas utilement le défaut d'entretien normal de ces membranes. Si elle soutient que ces désordres seraient du fait de la SAUR qui n'aurait pas procédé au nettoyage des membranes selon les règles de l'art, elle ne l'établit pas alors qu'elle ne conteste pas précisément que c'est la société Degrémont France qui a rédigé la notice de fonctionnement et d'exploitation de l'ouvrage. Enfin, la société Degrémont France fait valoir que l'expert qu'elle a mandaté a considéré que la cause principale du colmatage des modules membranaires par les filasses provient d'un fonctionnement défectueux du tamisage du fait de la SAUR qui n'aurait pas respecté les consignes du fournisseur de tamis. Toutefois, aucun élément probant ne permet de corroborer cette affirmation. En outre, l'expert judiciaire, qui n'est pas contesté précisément sur ce point, a conclu que le mauvais positionnement du tamis C, qui a permis de laisser passer des déchets de grosse taille, résulte d'une faute d'exécution de la société Degrémont France Assainissement.

11. Dans ces conditions, la SAUR justifie d'une créance non sérieusement contestable, à hauteur de la somme de 249 000 euros évaluée par l'expert judiciaire et non contestée en défense dans son montant.

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la SAUR n'a pas la qualité de partie perdante dans la présente instance, le versement d'une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

13. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de faire droit aux conclusions de la SAUR présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative à hauteur de la somme de 1 500 euros.

ORDONNE :

Article 1er : L'ordonnance du 10 juin 2024 du juge des référés du tribunal administratif de Nantes est annulée.

Article 2 : La société Degrémont France est condamnée à verser à la SAUR une provision de 249 000 euros.

Article 3 : La société Degrémont France versera à la SAUR la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la société Degrémont France est rejeté.

Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à la société par actions simplifiée d'aménagement urbain et rural (SAUR) et à la société Degrémont France.

Fait à Nantes, le 22 octobre 2024.

Le magistrat désigné,

S. Derlange

La République mande et ordonne à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 24NT01931


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 24NT01931
Date de la décision : 22/10/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Avocat(s) : CARRIERE

Origine de la décision
Date de l'import : 27/10/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-10-22;24nt01931 ?
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