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12/07/2024 | FRANCE | N°24NT00980

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 3ème chambre, 12 juillet 2024, 24NT00980


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 16 novembre 2023 par lequel le préfet du Finistère a rejeté sa demande de titre de séjour et l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours en fixant le pays de destination et d'enjoindre à ce préfet de lui délivrer un titre de séjour l'autorisant à travailler dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 50 euros

par jour de retard ou, subsidiairement, de réexaminer sa situation sous les mêmes cond...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 16 novembre 2023 par lequel le préfet du Finistère a rejeté sa demande de titre de séjour et l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours en fixant le pays de destination et d'enjoindre à ce préfet de lui délivrer un titre de séjour l'autorisant à travailler dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ou, subsidiairement, de réexaminer sa situation sous les mêmes conditions de délai et d'astreinte.

Par un jugement no 2306883 du 12 mars 2024, le tribunal administratif de Rennes a rejeté la demande de M. A....

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 3 avril 2024, 13 juin 2024 et 16 juin 2024, ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué, M. B... A..., représenté par Me Vervenne, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 12 mars 2024 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 16 novembre 2023 par lequel le préfet du Finistère a rejeté sa demande de titre de séjour et l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours en fixant le pays de destination ;

3°) d'enjoindre au préfet du Finistère, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " salarié " ou un titre de séjour à titre exceptionnel l'autorisant à travailler, ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation et de lui délivrer, dans l'attente, un récépissé l'autorisant à travailler ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

En ce qui concerne la régularité du jugement :

- la substitution de base légale a été effectuée par le tribunal sans qu'il soit au préalable mis en mesure de présenter ses observations comme le prévoit l'article R. 611-7 du code de justice administrative ; le jugement est donc entaché d'un vice de forme ;

En ce qui concerne la décision portant refus de titre de séjour :

- le jugement attaqué est entaché d'une erreur de fait quand il retient la circonstance qu'il n'aurait pas transmis à l'appui de sa demande le niveau réel du salaire qui lui était proposé par son employeur ; en cas de doute, il appartenait à la préfecture de lui demander des précisions ;

- la décision litigieuse a méconnu l'article 3 de l'accord-franco-tunisien en matière de séjour et de travail du 17 mars 1988 et est entachée d'erreur de droit et d'erreur manifeste d'appréciation en retenant qu'il n'a pas présenté un contrat de travail visé par les autorités compétentes, le service interrégional de la main d'œuvre étrangère ayant émis un avis défavorable au motif erroné que le salaire qui lui était proposé était inférieur au SMIC en vigueur ;

- la décision litigieuse méconnaît les dispositions des articles R. 5221-15, R. 5221-17 et R. 5221-20 du code du travail ainsi que l'accord franco-tunisien et est entachée d'erreur de droit et de fait ; le service MOE ne pouvait rendre un avis défavorable au motif d'un salaire inférieur au SMIC et, en cas de doute, il incombait à la préfecture de lui demander des précisions ;

- la décision litigieuse méconnaît l'article L. 123-1 du code des relations entre le public et l'administration et les dispositions relatives au droit à l'erreur prévoyant qu'une personne ayant commis une erreur matérielle lors du renseignement de sa situation ne peut faire l'objet d'une sanction si elle a régularisé sa situation de sa propre initiative ou après avoir été invitée à le faire par l'administration dans le délai que celle-ci lui a indiqué ;

- l'administration aurait dû mettre en œuvre les dispositions de l'article L. 114-8 du code des relations entre le public et l'administration ;

- il ne peut lui être reproché de ne pas être entré en France sous couvert d'un visa de long séjour, alors qu'il est entré en France sous couvert d'un tel visa et qu'il est depuis 2021 en possession d'un titre de séjour italien ;

- un ressortissant tunisien peut solliciter son admission à titre exceptionnel au séjour au vu d'une activité salariée en application de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; or il remplit les conditions permettant l'octroi d'un titre sur ce fondement, puisqu'il justifie de motifs exceptionnels compte tenu de son insertion professionnelle ancienne en France sur un métier en tension ;

- la décision de refus de séjour méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales alors qu'il est présent en France depuis 5 ans et qu'il a un emploi rémunéré au-dessus du SMIC ;

En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire :

- la décision l'obligeant à quitter le territoire français est illégale en raison de l'illégalité de la décision de refus de titre de séjour ;

- elle est entachée d'un défaut de motivation ;

En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :

- la décision fixant le pays de destination est illégale en raison de l'illégalité des décisions refusant de lui délivrer un titre de séjour et l'obligeant à quitter le territoire français ;

- alors qu'il dispose d'un titre de séjour italien, elle méconnaît la directive n°2008/115 du Parlement et du conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicable dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier et est entachée d'erreur de droit.

Par un mémoire enregistré le 14 juin 2024, le préfet du Finistère conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Tunisie en matière de séjour et de travail du 17 mars 1988 ;

- la directive n°2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Vergne,

- et les observations de Me Danet, substituant Me Vervenne, avocat de M. A....

Considérant ce qui suit :

1. M. B... A..., ressortissant tunisien né en 1991, est entré régulièrement en France, en décembre 2018 sous couvert d'un titre de séjour " salarié " italien selon ses écritures, ou, selon l'arrêté litigieux reprenant ses déclarations, le 7 septembre 2018 sous couvert d'un visa de long séjour " étudiant " qui lui a été délivré par l'Italie, valable du 31 août 2017 au 14 septembre 2018. Devenu titulaire, le 19 octobre 2021, d'une carte de séjour " salarié " qui lui a été délivrée par les autorités italiennes, valable jusqu'au 30 novembre 2023, mais étant employé sous contrat à durée indéterminée comme ouvrier jointoyeur/plaquiste au sein de l'entreprise de son frère à Quimper, il a sollicité le 3 novembre 2022 auprès de la préfecture du Finistère la régularisation de sa situation par la délivrance d'un titre de séjour " salarié " sur le fondement des articles L. 421-1 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 16 novembre 2023, le préfet du Finistère lui a refusé le titre de séjour sollicité, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourrait être éloigné d'office s'il ne se conformait pas lui-même à la mesure d'éloignement ainsi prise à son encontre. M. A... relève appel du jugement no 2306883 du 12 mars 2024 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande d'annulation de cet acte.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Il ressort des écritures du préfet du Finistère en première instance que celui-ci, dans son mémoire enregistré le 6 février 2024, a sollicité du tribunal administratif la substitution, comme base légale de sa décision, de l'article 3 de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 en matière de séjour et de travail aux dispositions de l'article L. 421-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ce dernier article étant inapplicable aux ressortissants tunisiens dès lors qu'il régit un point déjà traité par l'accord franco-tunisien, au sens de l'article 11 de cet accord. Et il a opposé à M. A... que celui-ci ne justifiait pas avoir sollicité, dans son pays d'origine ou dans le pays où il était légalement admissible tel que l'Italie, un visa de long séjour lui permettant d'obtenir un titre de séjour valable un an et portant la mention " salarié ". Le moyen d'irrégularité du jugement tiré de ce que la substitution de base légale à laquelle a procédé le tribunal l'aurait été d'office et sans que la juridiction, au préalable, ait mis M. A... à même de présenter ses observations sur la substitution envisagée, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, ne peut qu'être écarté.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

En ce qui concerne la décision portant refus de titre de séjour :

3. En premier lieu, il ressort de la motivation de la décision attaquée que celle-ci a été prise au motif que M. A... ne pouvait bénéficier d'un titre de séjour " salarié " sur le fondement de l'article L. 421-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers en France, dès lors que " le service interrégional de la main d'œuvre étrangère (MOE) saisi par les services de la préfecture a rendu un avis défavorable en date du 8 août 2023, aux motifs que le salaire indiqué est en dessous du SMIC en vigueur et que le CERFA est incorrectement rempli ". Toutefois, alors que l'ensemble des documents antérieurement fournis au préfet et transmis au service MOE, notamment les bulletins de salaires de M. A... depuis 2019 et une précédente demande d'autorisation de travail mentionnaient tous un salaire supérieur au SMIC, l'indication, dans le dernier document Cerfa " demande d'autorisation de travail " n° 15186 produit le 20 juin 2023, d'un montant manifestement erroné de 1 589,50 euros, correspondant à la revalorisation du SMIC au 1er octobre 2021 ne pouvait justifier, sans vérification complémentaire, l'avis négatif émis par le service de la MOE et la décision négative du préfet, seul investi du pouvoir de décision en application de l'article L. 5221-17 du code du travail, aux termes duquel " La décision relative à la demande d'autorisation de travail mentionnée au I de l'article R. 5221-1 est prise par le préfet. (...) ". Il en est de même de l'absence de " libellé de l'emploi " sur le formulaire Cerfa, également reproché à la demande, mais qui était facilement pallié par l'indication de ce libellé dans la précédente demande d'autorisation de travail et les bulletins de salaires transmis à l'administration. Il suit de là que le requérant est fondé à soutenir qu'en se fondant sur l'article L. 421-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers en France et sur l'avis négatif émis par le service MOE sur la demande de M. A... et les motifs de cet avis, à savoir la rémunération par son employeur à un niveau inférieur à celui du SMIC ainsi que la circonstance que le document Cerfa de demande d'autorisation de travail n'était pas correctement rempli, le préfet du Finistère a entaché sa décision d'illégalité.

4. En deuxième lieu, toutefois, l'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existante à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative, il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.

5. Ainsi qu'il a été dit au point 2, dans son mémoire enregistré le 6 février 2024 devant le tribunal administratif de Rennes, le préfet du Finistère a sollicité du tribunal administratif, comme base légale de sa décision, la substitution de l'article 3 de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 en matière de séjour et de travail aux dispositions de l'article L. 421-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ce dernier article étant inapplicable aux ressortissants tunisiens dès lors qu'il traite d'un point déjà traité par l'accord franco-tunisien, au sens de l'article 11 de cet accord. Et il a opposé à M. A... le motif tiré de ce que celui-ci ne justifiait pas avoir sollicité, dans son pays d'origine ou dans le pays où il était légalement admissible, soit l'Italie, un visa de long séjour lui permettant d'obtenir un titre de séjour valable un an et portant la mention " salarié ".

6. Aux termes de l'article 3 de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 en matière de séjour et de travail : " Les ressortissants tunisiens désireux d'exercer une activité professionnelle salariée en France, pour une durée d'un an au minimum, et qui ne relèvent pas des dispositions de l'article 1er du présent Accord, reçoivent, après contrôle médical et sur présentation d'un contrat de travail visé par les autorités compétentes, un titre de séjour valable un an et renouvelable et portant la mention "salarié " (...) ". Aux termes de l'article 11 de cet accord : " Les dispositions du présent Accord ne font pas obstacle à l'application de la législation des deux Etats sur le séjour des étrangers sur tous les points non traités par l'Accord. / Chaque Etat délivre notamment aux ressortissants de l'autre Etat tous titres de séjour autres que ceux visés au présent Accord, dans les conditions prévues par sa législation ". Aux termes de l'article 2.3.3 du protocole relatif à la gestion concertée des migrations entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République tunisienne, signé le 28 avril 2008 : " Le titre de séjour portant la mention " salarié ", prévu par le premier alinéa de l'article 3 de l'Accord du 17 mars 1988 modifié, est délivré à un ressortissant tunisien en vue de l'exercice, sur l'ensemble du territoire français, de l'un des métiers énumérés sur la liste figurant à l'Annexe I du présent Protocole, sur présentation d'un contrat de travail visé par l'autorité française compétente sans que soit prise en compte la situation de l'emploi (...) ". Aux termes de l'article L. 411-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sous réserve des engagements internationaux de la France ou du livre II, tout étranger âgé de plus de dix-huit ans qui souhaite séjourner en France pour une durée supérieure à trois mois doit être titulaire de l'un des documents de séjour suivants : / 1° Un visa de long séjour ; (...) ". Enfin, aux termes de l'article L. 412-1 de ce code : " Sous réserve des engagements internationaux de la France et des exceptions prévues aux articles L. 412-2 et L. 412-3, la première délivrance d'une carte de séjour temporaire ou d'une carte de séjour pluriannuelle est subordonnée à la production par l'étranger du visa de long séjour mentionné aux 1° ou 2° de l'article L. 411-1. ".

7. Il résulte de la combinaison de ces stipulations et dispositions que la délivrance aux ressortissants tunisiens d'un titre de séjour portant la mention " salarié " est subordonnée à la présentation d'un visa de long séjour et d'un contrat visé par les services en charge de l'emploi. La circonstance que M. A... est rentré en France régulièrement, sous couvert d'un titre de séjour " salarié " de longue durée qui lui a été délivré par l'Italie, l'autorisant à travailler dans ce pays, ou sous couvert d'un visa de long séjour " étudiant " qui lui a été délivré par l'Italie, valable du 31 août 2017 au 14 septembre 2018, ne le dispensait pas, pour qu'il puisse obtenir en France un titre " salarié " sur le fondement de l'article 3 de l'accord franco-tunisien, de remplir la condition préalable tenant à la détention d'un visa de long séjour. L'absence de présentation d'un tel document constitue un motif qui justifiait à lui seul le refus de titre de séjour en qualité de salarié opposé à M. A... et il résulte de l'instruction que le préfet du Finistère aurait pris la même décision s'il avait pris en compte ce seul motif. Il en résulte qu'il y a lieu d'accueillir la demande de substitution de motif et de base légale du préfet du Finistère. Il s'ensuit que, sans que M. A... puisse utilement faire valoir les moyens tirés de ce que les services de l'Etat en charge de l'instruction de la demande d'autorisation de travail enregistrée par son employeur n'auraient pas respecté, pour l'instruction de cette demande, les dispositions des articles L. 123-1, L. 114-5 et L. 114-6 du code des relations entre le public et l'administration, le moyen tiré de la violation de l'article 3 de l'accord franco-tunisien ne peut qu'être écarté.

8. En troisième lieu, si l'accord franco-tunisien ne prévoit pas de modalités d'admission exceptionnelle au séjour telles que celles contenues à l'article L.435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dont les ressortissants tunisiens ne peuvent donc se prévaloir, ses stipulations n'interdisent pas au préfet de délivrer un titre de séjour à un ressortissant tunisien qui ne remplit pas l'ensemble des conditions auxquelles est subordonnée sa délivrance de plein droit. Il appartient au préfet, dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire dont il dispose sur ce point, d'apprécier, en fonction de l'ensemble des éléments de la situation personnelle de l'intéressé, l'opportunité d'une mesure de régularisation. En l'espèce, il ressort de la motivation de l'arrêté litigieux que le préfet du Finistère a examiné la possibilité d'une régularisation à titre exceptionnel de la situation de M. A... et celui-ci doit être regardé comme contestant l'usage par l'autorité administrative de cette faculté.

9. Toutefois, si M. A... fait valoir une présence en France depuis décembre 2018, soit depuis plus de cinq ans à la date de la décision litigieuse, il est constant qu'il a séjourné irrégulièrement sur le territoire et qu'il n'a cherché à régulariser sa situation par le dépôt d'une première demande de titre de séjour que le 3 novembre 2022. En outre, la présence réelle et continue de l'intéressé en France depuis 2018 et son emploi comme ouvrier jointoyeur dans l'entreprise de son frère depuis 2019 comme il est allégué sont incertains malgré les attestations et fiches de paie produits, ces dernières à partir de juillet 2020, alors qu'il a demandé et obtenu en Italie, où il s'est marié en 2023, un permis de séjour pour y travailler qui lui a été délivré le 19 octobre 2021 à Gênes (Italie), valable jusqu'au 30 novembre 2023 et qu'il a sollicité le renouvellement de ce titre auprès des autorités italiennes en août 2023. Si M. A... produit à l'appui de sa requête d'appel, l'acte de naissance de sa fille C..., née le 2 février 2024 à Quimper, cette circonstance est postérieure à la décision attaquée et le mariage des deux parents de l'enfant à Gênes le 12 février 2023 ne permet pas d'attester d'une relation ancienne nouée en France avec une personne en situation régulière. Par ailleurs, malgré la présence en France d'un frère, titulaire d'une carte de résident, qui l'aurait recruté dans son entreprise dès 2019, M. A... ne justifie pas d'attaches en France, familiales ou autres, particulièrement intenses, stables et anciennes, par rapport à celles conservées en Tunisie, pays qu'il a quitté en 2017 pour l'Italie, à l'âge de 25 ans. Eu égard à l'ensemble de ces éléments, et bien que le métier d'ouvrier jointoyeur puisse être considéré comme un métier en tension, le préfet n'a pas entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation en refusant de régulariser la situation de M. A....

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10. En quatrième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance (...). ". Pour l'application de ces stipulations, l'étranger qui invoque la protection due à son droit au respect de sa vie privée et familiale en France doit apporter toute justification permettant d'apprécier la réalité et la stabilité de ses liens personnels et familiaux effectifs en France au regard de ceux qu'il a conservés dans son pays d'origine.

11. Pour les mêmes motifs que ceux énoncés ci-dessus au point 9 la décision refusant à M. A... de lui délivrer un titre de séjour n'a pas porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale contraire aux stipulations citées ci-dessus au point 8.

En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :

12. En premier lieu, aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : (...) / 3° L'étranger s'est vu refuser la délivrance d'un titre de séjour, le renouvellement du titre de séjour, du document provisoire délivré à l'occasion d'une demande de titre de séjour ou de l'autorisation provisoire de séjour qui lui avait été délivré ou s'est vu retirer un de ces documents (...) ". Aux termes de l'article L. 613-1 de ce même code : " La décision portant obligation de quitter le territoire français est motivée. Dans le cas prévu au 3° de l'article L. 611-1, la décision portant obligation de quitter le territoire français n'a pas à faire l'objet d'une motivation distincte de celle de la décision relative au séjour (...) ".

13. Pour obliger M. A... à quitter le territoire français, le préfet s'est fondé sur le 3° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. L'arrêté attaqué, qui n'est pas stéréotypé, énonce les considérations de droit et de fait sur lesquelles le préfet s'est fondé pour rejeter la demande de titre de séjour de M. A.... Le moyen tiré de l'insuffisante motivation de la décision portant obligation de quitter le territoire français, qui n'avait pas à faire l'objet d'une motivation distincte et qui vise et cite le 3° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, doit être écarté.

14. En second lieu, il résulte de ce qui a été exposé précédemment que la décision portant refus de titre de séjour n'est pas annulée. Par suite, le requérant ne peut pas se prévaloir de l'annulation de cette décision pour demander, par voie de conséquence, l'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français.

En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :

15. En premier lieu, il résulte de ce qui a été exposé précédemment que les décisions portant refus de titre de séjour et obligation de quitter le territoire ne sont pas annulées. Par suite, le requérant ne peut pas se prévaloir de l'annulation de ces décisions pour demander, par voie de conséquence, l'annulation de la décision fixant le pays de renvoi.

16. En second lieu, le préfet a expressément et clairement indiqué, à l'article 3 de l'arrêté attaqué, que M. A... pourra être reconduit d'office à l'expiration du délai de départ volontaire à destination du pays dont il a la nationalité ou vers tout autre pays dans lequel il établirait être légalement admissible. M. A..., qui se prévaut de son droit au séjour en Italie, n'est, en conséquence, pas fondé à soutenir que la décision attaquée est intervenue en violation de l'article L. 711-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article 6 de la directive n° 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier.

17. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Rennes a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du 16 novembre 2023 par lequel le préfet du Finistère a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement. Ses conclusions à fin d'annulation doivent donc être rejetées ainsi que, par voie de conséquence, celles aux fins d'injonction sous astreinte et celles présentées au titre des frais liés au litige.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Le présent jugement sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée, pour information, au préfet du Finistère.

Délibéré après l'audience du 20 juin 2024, à laquelle siégeaient :

Mme Brisson, présidente,

M. Vergne, président-assesseur,

Mme Lellouch, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 juillet 2024.

Le rapporteur,

G.-V. VERGNE

La présidente,

C. BRISSON

Le greffier,

Y. MARQUIS

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 24NT00980


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 24NT00980
Date de la décision : 12/07/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BRISSON
Rapporteur ?: M. Georges-Vincent VERGNE
Rapporteur public ?: M. BERTHON
Avocat(s) : VERVENNE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-12;24nt00980 ?
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