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12/07/2024 | FRANCE | N°23NT03173

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 3ème chambre, 12 juillet 2024, 23NT03173


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 31 janvier 2023 par lequel le préfet des Côtes d'Armor lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français et a fixé le pays de destination de sa reconduite à la frontière.



Par un jugement n° 2301431 du 15 juin 2023, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :
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Par une requête, enregistrée le 3 novembre 2023, M. A... B..., représenté par Me Bozetine, demande à la cour :...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 31 janvier 2023 par lequel le préfet des Côtes d'Armor lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français et a fixé le pays de destination de sa reconduite à la frontière.

Par un jugement n° 2301431 du 15 juin 2023, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 3 novembre 2023, M. A... B..., représenté par Me Bozetine, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 15 juin 2023 ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet des Côtes d'Armor du 31 janvier 2023 ;

3°) d'enjoindre au préfet des Côtes d'Armor de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ".

Il soutient que :

- le jugement attaqué est insuffisamment motivé sur la possibilité de bénéficier effectivement d'un traitement approprié en Algérie ;

- les premiers juges n'ont pas répondu aux moyens invoqués devant eux tirés de ce que l'avis du collège de l'OFII n'a pas été signé par les trois médecins et de ce que l'examen médical pour lequel il a été convoqué n'a pas eu lieu ;

- le préfet des Côtes d'Armor a fait une inexacte application des stipulations de l'article 6-7 de l'accord franco-algérien dès lors qu'il ne peut bénéficier effectivement d'un traitement approprié en Algérie ;

- le préfet a commis une erreur d'appréciation en estimant que sa présence en France représenterait une menace pour l'ordre public ;

- le préfet n'a pas procédé à un examen particulier de sa situation personnelle et familiale ;

- l'arrêté litigieux porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale en méconnaissance de l'article 6-5 de l'accord franco-algérien et de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 27 septembre 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- l'arrêté du 27 décembre 2016 relative aux conditions d'établissement et de transmission des certificats médicaux et avis mentionnés aux articles R. 313-22, R. 313-23 et R. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Lellouch,

- et les observations de Me Bozetine, représentant M. B....

Considérant ce qui suit :

1. M. A... B..., ressortissant algérien né le 10 janvier 1995, est entré en France en juillet 2014 muni d'un visa de court séjour. Il a sollicité son admission au séjour pour raisons de santé sur le fondement de l'article 6-7 de l'accord franco-algérien. Cette demande a été rejetée par un arrêté du préfet des côtes d'Armor du 31 janvier 2023. M. B... relève appel du jugement du 15 juin 2023 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Il ressort des pièces du dossier de première instance que, dans un mémoire complémentaire enregistré le 26 mai 2023 devant le tribunal administratif de Rennes, M. B... avait invoqué les moyens, dont l'un au moins n'est pas inopérant, tirés de l'irrégularité de l'avis émis par le collège de médecins de l'OFII en ce que, d'une part, il ne serait pas signé par les trois médecins composant le collège et que, d'autre part, il n'est pas indiqué les raisons pour lesquelles l'examen médical auquel il a été convoqué n'a pas eu lieu. Le tribunal administratif n'a pas visé les moyens ainsi présentés et n'y a pas répondu. Le jugement attaqué a, des lors, été rendu dans des conditions irrégulières et doit, par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen relatif à la régularité du jugement attaque, être annulé.

3. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Rennes.

Sur la légalité du refus de certificat de résidence :

4. Aux termes de l'article 6 de l'accord franco-algérien : " Le certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " est délivré de plein droit : (...) 7) au ressortissant algérien, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve qu'il ne puisse pas effectivement bénéficier d'un traitement approprié dans son pays ".

5. Il résulte des stipulations de l'article 6-7 de l'accord franco-algérien qu'il appartient à l'autorité administrative, lorsqu'elle envisage de refuser l'admission au séjour sur le fondement de ces stipulations, de vérifier, au vu de l'avis émis par le collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), que cette décision ne peut avoir de conséquences d'une exceptionnelle gravité sur l'état de santé de l'intéressé et, en particulier, d'apprécier, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la nature et la gravité des risques qu'entraînerait un défaut de prise en charge médicale dans le pays dont l'étranger est originaire. Lorsque le défaut de prise en charge risque d'avoir des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur la santé de l'intéressé, l'autorité administrative ne peut légalement refuser le titre de séjour sollicité que s'il existe des possibilités de traitement approprié de l'affection en cause dans son pays d'origine. Si de telles possibilités existent mais que l'étranger fait valoir qu'il ne peut en bénéficier, soit parce qu'elles ne sont pas accessibles à la généralité de la population, eu égard notamment aux coûts du traitement ou à l'absence de modes de prise en charge adaptés, soit parce qu'en dépit de leur accessibilité, des circonstances exceptionnelles tirées des particularités de sa situation personnelle l'empêcheraient d'y accéder effectivement, il appartient à cette même autorité, au vu de l'ensemble des informations dont elle dispose, d'apprécier si l'intéressé peut ou non bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans son pays d'origine.

6. En premier lieu, aux termes du dernier alinéa de l'article 6 de l'arrêté du 27 décembre 2016 : " L'avis émis [par le collège de médecins] à l'issue de la délibération est signé par chacun des trois médecins membres du collège. ". Il ressort des pièces du dossier que, contrairement à ce que soutient M. B..., l'avis émis par le collège de médecins de l'OFII le 13 mai 2022, que le préfet des Côtes d'Armor a produit, est revêtu de la signature des trois médecins ayant composé le collège. Le moyen tiré de ce qu'il n'aurait pas été signé par ces médecins doit être écarté comme manquant en fait.

7. En deuxième lieu, il ressort des mentions de l'avis du collège des médecins de l'OFII en date du 13 mai 2022 que M. B... a été convoqué à un examen médical au stade de l'établissement du rapport et que l'examen n'a pas été réalisé. Il ne ressort pas des pièces du dossier, ni n'est allégué par l'intéressé, que le médecin rapporteur n'aurait pas disposé des éléments utiles lui permettant d'établir son rapport médical, qu'il a rendu le 1er avril 2022, ni que l'absence d'un tel examen, dont la réalisation n'est pas systématique et obligatoire, aurait eu une incidence sur son appréciation ou celle du collège de médecins de l'OFII, ce collège ayant au demeurant considéré, dans son avis, que son état de santé nécessitait une prise en charge dont le défaut pouvait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité. Dès lors, M. B... ne peut utilement soutenir que les raisons pour lesquelles cet examen n'a pas été réalisé n'ont pas été précisées, une telle circonstance étant, par elle-même, sans incidence sur la régularité de l'avis émis par le collège de médecins de l'OFII.

8. En troisième lieu, pour rejeter la demande de titre de séjour que sollicitait M. B... pour raisons médicales, le préfet des Côtes d'Armor a estimé, au vu de l'avis émis par le collège des médecins de l'OFII du 13 mai 2022, que si son état de santé nécessitait une prise en charge médicale dont le défaut peut entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, il peut toutefois bénéficier effectivement d'un traitement approprié en Algérie, pays vers lequel il peut voyager sans risque.

9. Il ressort des pièces du dossier que M. B... souffre de problèmes psychiatriques et qu'il a fait l'objet d'une hospitalisation en soins psychiatriques sans son consentement au centre hospitalier Bon Sauveur de Bégard en date du 19 janvier 2022. Il produit un article du journal Le Soir d'Algérie pointant de manière générale les carences de la prise en charge de la psychiatrie dans cet Etat. Toutefois, cet article publié en décembre 2020 ne saurait suffire à remettre en cause l'appréciation portée par le collège des trois médecins de l'OFII, lesquels ont estimé, dans leur avis du 13 mai 2022 que M. B... peut effectivement bénéficier d'un traitement approprié à son état de santé en Algérie. Le requérant n'est dès lors pas fondé à soutenir que le préfet des Côtes d'Armor aurait fait une inexacte application des stipulations de l'accord franco-algérien ni qu'il aurait entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des conséquences de celle-ci sur son état de santé.

Sur la légalité de l'obligation de quitter le territoire français :

10. Aux termes de l'article L. 611-1du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : (...) / 3° L'étranger s'est vu refuser la délivrance d'un titre de séjour, le renouvellement du titre de séjour, du document provisoire délivré à l'occasion d'une demande de titre de séjour ou de l'autorisation provisoire de séjour qui lui avait été délivré ou s'est vu retirer un de ces documents ; / (...). ".

11. En deuxième lieu, si l'arrêté litigieux mentionne que M. B... est défavorablement connu au fichier des antécédents judiciaires pour diverses infractions d'atteintes aux biens et aux personnes entre 2015 et 2022, le préfet des Côtes d'Armor, qui n'a pas plus produit en appel qu'en première instance, n'apporte aucun élément pour établir la matérialité des faits ainsi reprochés à l'intéressé que ce dernier conteste. Il en va de même des mentions de l'arrêté litigieux selon lesquelles M. B... aurait été entendu le 24 novembre 2022 par les militaires de la gendarmerie de Guingamp dans le cadre d'une plainte déposée à l'encontre de l'intéressé par le conseil départemental qu'il aurait proféré la menace suivante : " je vais faire comme les frères Kouachi, j'vais partir en Belgique, vous verrez bien ce qui va se passer à Noël. " Dès lors, en l'absence de tout élément au dossier permettant d'asseoir de tels faits, il ne peut être tenu pour établi que la présence en France de M. B... représenterait une menace pour l'ordre public. Toutefois, il résulte de l'instruction que le préfet des Côtes d'Armor aurait pris la même décision s'il ne s'était fondé que sur le seul motif tiré de ce qu'il ne remplit pas les conditions pour se voir délivrer un titre de séjour en qualité d'étranger malade.

12. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance (...) ". Pour l'application de ces stipulations, l'étranger qui invoque la protection due à son droit au respect de sa vie privée et familiale en France doit apporter toute justification permettant d'apprécier la réalité et la stabilité de ses liens personnels et familiaux en France au regard de ceux qu'il a conservés dans son pays d'origine. Et aux termes de l'article 6 de l'accord franco-algérien : " Le certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " est délivré de plein droit : 5) au ressortissant algérien, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus ; (...) ".

13. Il ressort des pièces des dossiers que M. B... est entré une première fois en France le 11 juillet 2014, muni d'un passeport revêtu d'un visa touristique de court séjour, et qu'il est rapidement reparti en Kabylie avant de revenir sur le territoire français. Si le requérant se prévaut de la présence en France de ses parents et de sa fratrie en France, à l'exception d'un de ses frères résidant en Turquie et du fait qu'il a travaillé en France de 2014 à 2019 en tant qu'employé de restauration et payé ses impôts en France, il ressort néanmoins des pièces du dossier et notamment de son audition par les services de gendarmerie qu'à la date de l'arrêté litigieux et depuis un certain temps, il était sans emploi et sans ressource en France. Il ne ressort pas des pièces du dossier que M. B..., célibataire et sans enfant, âgé de près de trente ans, réside auprès des membres de sa famille résidant en France. En outre, il ressort des mentions non contestées de l'arrêté litigieux que M. B... a fait l'objet de deux précédentes mesures d'éloignement les 9 octobre 2017 et 29 janvier 2020. Enfin, si M. B... se prévaut du contrat à durée indéterminée qu'il a conclu en mars 2023 en tant qu'employée polyvalent, cette circonstance, postérieure à l'intervention de l'arrêté litigieux, est sans incidence sur sa légalité. Dans ces conditions, le préfet n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts en vue desquels il a pris la décision attaquée et n'a, dès lors, pas méconnu les stipulations mentionnées au point précédent.

14. En quatrième lieu, la circonstance que le préfet des Côtes d'Armor a estimé que M. B... ne démontrait pas de liens personnels et familiaux en France tels qu'ils devraient être considéré comme prioritaires par rapport aux liens conservés dans son pays d'origine ne permet pas de considérer qu'il n'aurait pas procédé à un examen particulier de sa situation personnelle et familiale.

15. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêté litigieux. Ses conclusions à fin d'injonction et la demande qu'il a présentée au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent être rejetées par voie de conséquence.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Rennes du 15 juin 2023 est annulé.

Article 2 : La demande de M. B... devant le tribunal administratif de Rennes est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Une copie sera transmise, pour information, au préfet des Côtes d'Armor.

Délibéré après l'audience du 4 juillet 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Brisson, présidente,

- M. Vergne, président-assesseur,

- Mme Lellouch, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 juillet 2024.

La rapporteure,

J. LELLOUCH

La présidente,

C. BRISSON

Le greffier,

R. MAGEAU

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23NT03173


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT03173
Date de la décision : 12/07/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BRISSON
Rapporteur ?: Mme Judith LELLOUCH
Rapporteur public ?: M. BERTHON
Avocat(s) : SELARL BOZETINE AMNACHE HALLAL

Origine de la décision
Date de l'import : 21/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-12;23nt03173 ?
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