Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... D... a demandé au tribunal administratif de Caen d'une part, de constater l'illégalité de l'emprise résultant de la présence d'un poteau électrique sur le terrain dont il est propriétaire, d'autre part d'enjoindre à la société Enedis de procéder, à sa charge, au démontage du poteau électrique et à la remise en état de son terrain dans un délai de six mois à compter de la notification du jugement, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard, ainsi qu'à l'enfouissement des réseaux aux droits de sa propriété.
Par un jugement n° 2201527 du 28 avril 2023, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 13 juin 2023, 28 novembre 2023 et 16 février 2024, M. D..., représenté par Me Eveno, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 28 avril 2023 du tribunal administratif de Caen ;
2°) de constater l'illégalité de l'emprise résultant de la présence d'un poteau électrique sur le terrain dont il est propriétaire ;
3°) d'enjoindre à la société Enedis de procéder, à sa charge, au démontage du poteau électrique et à la remise en état de son terrain dans un délai de six mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) d'enjoindre à la société Enedis de procéder à l'enfouissement des réseaux aux droits de sa propriété, ou à défaut, de procéder au déplacement du poteau électrique ;
5°) de mettre à la charge de la société Enedis la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'emprise résultant de la présence d'un poteau électrique sur sa propriété est irrégulière ; la convention dont se prévaut la société Enedis ne lui est pas opposable ;
- aucune régularisation de l'implantation du poteau litigieux n'est possible, dès lors notamment que la société Enedis n'a formé aucune proposition en ce sens ;
- le déplacement ou la démolition de l'ouvrage en cause n'entraine aucune atteinte excessive à l'intérêt général eu égard aux préjudices qui résultent de son implantation irrégulière.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 4 octobre 2023, 31 janvier 2024 et 5 mars 2024, la société Enedis, représentée par Me Paitier, conclut, dans le dernier état de ses écritures, au rejet de la requête de M. D... et à ce que soit mis à la charge de l'appelant la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le poteau électrique est régulièrement implanté, dès lors qu'une convention fonde cette implantation ; cette convention est opposable à l'appelant ;
- l'implantation du poteau litigieux est régularisable ;
- le déplacement ou la démolition de l'ouvrage en cause porte une atteinte excessive à l'intérêt général.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de l'énergie ;
- la loi du 15 juin 1906 sur les distributions d'énergie ;
- le décret n° 67-886 du 6 octobre 1967 portant règlement d'administration publique pour l'application de la loi du 15 juin 1906 sur les distributions d'énergie et la loi du 16 octobre 1919 relative à l'utilisation de l'énergie hydraulique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Lellouch,
- les conclusions de M. Berthon, rapporteur public,
- et les observations de Me Eveno, représentant M. D..., et de Me Ligneau, substituant Me Paitier, représentant la société Enedis.
Considérant ce qui suit :
1. M. C... D... s'est porté acquéreur, le 19 juin 2019, d'une maison d'habitation située sur le territoire de la commune de Sainte-Croix-sur-Mer (Calvados), I... sur les parcelles cadastrées F.... Par un courriel du 3 août 2019, il a sollicité les services de la société Enedis afin de signer une convention relative à l'implantation du poteau électrique situé sur sa propriété. En l'absence de réponse, l'intéressé a saisi le tribunal administratif de Caen d'une demande tendant notamment à obtenir la résiliation de la convention d'octobre 1967 dont se prévaut la société Enedis, relative à l'implantation du poteau électrique en litige, et à la constatation de l'irrégularité de l'emprise. Par un jugement du 15 octobre 2021, le tribunal administratif de Caen a rejeté les conclusions de sa demande tendant à la résiliation de cette convention comme étant portées devant une juridiction incompétente pour en connaître et le surplus des conclusions comme irrecevables. La cour administrative d'appel de Nantes a annulé ce jugement en ce qu'il avait rejeté le surplus des conclusions comme irrecevable et a renvoyé l'affaire devant le tribunal pour qu'il soit à nouveau statué sur la demande de M. D... dans cette mesure. Par un jugement du 28 avril 2023, dont M. D... relève appel, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.
Sur le cadre juridique :
2. Lorsqu'il est saisi d'une demande tendant à ce que soit ordonnée la démolition d'un ouvrage public dont il est allégué qu'il est irrégulièrement implanté par un requérant qui estime subir un préjudice du fait de l'implantation de cet ouvrage et qui en a demandé sans succès la démolition à l'administration, il appartient au juge administratif, juge de plein contentieux, de déterminer, en fonction de la situation de droit et de fait existant à la date à laquelle il statue, si l'ouvrage est irrégulièrement implanté, puis, si tel est le cas, de rechercher, d'abord, si eu égard notamment à la nature de l'irrégularité, une régularisation appropriée est possible, puis, dans la négative, en tenant compte de l'écoulement du temps, de prendre en considération, d'une part les inconvénients que la présence de l'ouvrage entraîne pour les divers intérêts publics ou privés en présence, notamment, le cas échéant, pour le propriétaire du terrain d'assiette de l'ouvrage, d'autre part, les conséquences de la démolition pour l'intérêt général, et d'apprécier, en rapprochant ces éléments, si la démolition n'entraîne pas une atteinte excessive à l'intérêt général.
Sur l'irrégularité de l'emprise :
3. Aux termes des dispositions de l'article 12 de la loi du 15 juin 1906 sur les distributions d'énergie, applicable lors de l'implantation des ouvrages, dont les dispositions sont désormais reprises par les articles L. 323-3 et suivants du code de l'énergie : " (...) La déclaration d'utilité publique d'une distribution d'énergie confère, en outre, au concessionnaire (...) le droit : / 1° D'établir à demeure des supports et ancrages pour conducteurs aériens d'électricité, soit à l'extérieur des murs ou façades donnant sur la voie publique, soit sur les toits et terrasses des bâtiments (...) ; / 2° De faire passer les conducteurs d'électricité au-dessus des propriétés privées (...) ; / 3° D'établir à demeure (...) des supports pour conducteurs aériens, sur des terrains privés non bâtis, qui ne sont pas fermés de murs ou autres clôtures équivalentes ; (...) / L'exécution des travaux prévus aux alinéas 1° à 4° ci-dessus doit être précédée d'une notification directe aux intéressés et d'une enquête spéciale dans chaque commune ; elle ne peut avoir lieu qu'après approbation du projet de détail des tracés par le préfet. / (...) ". L'article 1er du décret du 6 octobre 1967 portant règlement d'administration publique pour l'application de la loi du 15 juin 1906 sur les distributions d'énergie et de la loi du 16 octobre 1919 relative à l'utilisation de l'énergie hydraulique, applicable au litige, dispose que : " Une convention passée entre le concessionnaire et le propriétaire ayant pour objet la reconnaissance des servitudes d'appui, de passage, (...) prévues au troisième alinéa de l'article 12 de la loi du 15 juin 1906 susvisée peut remplacer les formalités prévues au quatrième alinéa dudit article. / Cette convention produit, tant à l'égard des propriétaires et de leurs ayants droit que des tiers, les effets de l'approbation du projet de détail des tracés par le préfet (...) ". Il résulte de ces dispositions que les servitudes mentionnées par l'article 12 de la loi du 15 juin 1906, codifié aux articles L. 323-3 et suivants du code de l'énergie, peuvent être instituées par une convention passée entre le concessionnaire d'un service de distribution d'énergie et le propriétaire de la parcelle concernée.
4. Si la société Enedis se prévaut d'une convention signée le 9 octobre 1967 entre M. G... E... et Electricité de France pour l'établissement d'un support pour conducteur aérien sur les parcelles cadastrées 49 et 50, H..., il est constant que le poteau électrique en litige est implanté sur la parcelle cadastrée n°A... appartenant désormais à M. D.... Ainsi, alors qu'il résulte de l'instruction que le signataire de la convention dont se prévaut la société Enedis était, à la date à laquelle elle a été conclue, propriétaire des seules parcelles cadastrées B...A 49 et 50 et non de la parcelle n° A... sur laquelle est implanté l'ouvrage litigieux, la société Enedis n'établit pas que la convention produite serait entachée d'une erreur de plume. La circonstance que M. D... avait connaissance de la présence de cet ouvrage lorsqu'il a acquis la propriété ne peut valoir acceptation de l'emprise ainsi constituée. Dans ces conditions, en l'absence d'une déclaration d'utilité publique ou d'une autre convention passée avec le propriétaire de la parcelle concernée, le poteau est irrégulièrement implanté sur le terrain de l'appelant.
Sur la régularisation de l'implantation de l'ouvrage litigieux :
5. Il résulte de l'instruction qu'aucune régularisation de l'implantation du poteau de distribution électrique sur la propriété privée de M. D... n'est possible, dès lors que celui-ci refuse de conclure une convention de servitude avec la société Enedis dans les conditions dans lesquelles cette société serait prête à le proposer et que cette société ne peut mettre en œuvre la procédure de déclaration d'utilité publique prévue à l'article L. 323-4 du code de l'énergie sur la parcelle comprenant la maison d'habitation de M. D..., la servitude d'établissement de conducteurs aériens instituée par cette procédure ne pouvant grever que des terrains non bâtis qui ne sont pas fermés de murs ou autres clôtures équivalentes, ainsi qu'il résulte des dispositions précitées du 3° du second alinéa de l'article L. 323-4 du code de l'énergie.
Sur l'injonction de déplacer le poteau électrique et de procéder à l'enfouissement des réseaux :
6. Il résulte de l'instruction que le poteau électrique litigieux, implanté dans l'enceinte de la propriété bâtie et close de murs de M. D..., jouxte sa maison d'habitation, qu'il est visible de la fenêtre et tout particulièrement depuis le jardin-terrasse de la parcelle n° A... d'une superficie de 149 m². Ainsi, l'intéressé, qui a saisi la société Enedis dès l'acquisition de sa propriété en 2019 à raison de ce poteau, justifie d'un préjudice visuel et d'agrément lié à la présence de l'ouvrage en cause, tenant notamment à l'existence de contraintes dans la jouissance et dans l'aménagement de sa parcelle. Si le requérant n'établit pas, en se bornant à produire deux factures émises par deux fournisseurs différents, que l'implantation de l'ouvrage en litige constitue un obstacle à la modification de son installation de stockage de gaz, il n'est toutefois pas sérieusement contesté que les travaux nécessitant l'intervention d'une machine encombrante, telle une grue, sont rendus, sinon impossibles, du moins très difficiles par la présence de la ligne électrique le long de la parcelle de M. D.... Par ailleurs, le surplomb du terrain par la ligne électrique présente des risques de sécurité, à supposer même que la réglementation applicable en l'espèce aurait été respectée. Si la société Enedis, qui produit en défense un devis actualisé à la date du 8 janvier 2024, a évalué le coût des travaux de suppression du poteau électrique en litige et d'enfouissement des réseaux électriques à un montant de 29 224,63 euros, et fait également valoir que le démontage du poteau entraînerait une interruption de l'éclairage public, il ne résulte toutefois pas de l'instruction que, tant le coût des opérations, que la gêne qui en résulterait pour les riverains de la rue du Bout Cain, liée notamment à l'interruption temporaire du réseau électrique et de la circulation routière, porteraient une atteinte excessive à l'intérêt général. Enfin, la société Enedis ne justifie pas davantage de difficultés techniques particulières auxquelles se heurteraient les travaux d'enfouissement ou de déplacement de la ligne électrique en cause. Par suite, dans les circonstances de l'espèce, au regard des désagréments résultant de l'implantation irrégulière de l'ouvrage et du caractère insuffisant des éléments apportés par la société Enedis quant aux inconvénients de son transfert, la démolition ou le déplacement du poteau électrique irrégulièrement implanté sur la propriété de M. D... ne saurait être regardée comme entraînant une atteinte excessive à l'intérêt général.
7. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant au démontage du poteau électrique irrégulièrement implanté sur sa propriété.
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'ordonner à la société Enedis de procéder, dans un délai de six mois à compter de la notification du présent arrêt, au démontage du poteau électrique en litige et à la remise en état du terrain du requérant, sans qu'il y ait lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Enedis le versement de la somme de 2 000 euros hors taxe à M. D... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. En revanche, ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. D..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que la société Enedis demande au titre de ces mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2201527 du tribunal administratif de Caen du 28 avril 2023 est annulé.
Article 2 : Il est enjoint à la société Enedis de procéder, dans un délai de six mois à compter de la notification du présent arrêt, au démontage du poteau électrique en litige et à la remise en état du terrain de M. D....
Article 3 : La société Enedis versera une somme de 2 000 euros hors taxe à M. D... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions de la société Enedis présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... D... et à la société Enedis.
Délibéré après l'audience du 4 juillet 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Brisson, présidente,
- M. Vergne, président-assesseur,
- Mme Lellouch, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 juillet 2024.
La rapporteure
J. LELLOUCH
La présidente
C. BRISSON
Le greffier,
R. MAGEAU
La présidente-rapporteure,
C. BRISSON
Le président-assesseur,
G-V. VERGNE
Le greffier,
R. MAGEAU
La République mande et ordonne au préfet du Calvados en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NT01735