Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... B... C... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 27 octobre 2023 par lequel le préfet du Finistère lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français sans délai et a fixé le pays de renvoi en cas d'éloignement d'office.
Par un jugement n° 2306601 du 16 février 2024, le tribunal administratif de Rennes a annulé l'arrêté préfectoral du 27 octobre 2023 et a enjoint au préfet du Finistère de réexaminer la situation de M. C... en le munissant dans l'attente d'une autorisation provisoire de séjour.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 8 mars 2024, le préfet du Finistère demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 27 octobre 2023,
2°) de rejeter les demandes de M. C... devant le tribunal administratif,
3°) de mettre à la charge de M. C... le remboursement de la somme mise à sa charge par le tribunal au titre de l'article L 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- bien qu'il ait délivré en exécution du jugement attaqué une autorisation provisoire de séjour à M. C..., sa requête d'appel a toujours un objet ;
- c'est à tort que le tribunal a considéré qu'il avait fait une inexacte application de l'article R. 431-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en estimant que les documents produits à l'appui de sa demande ne permettaient pas de justifier de son état civil.
Par un mémoire en défense, enregistré le 18 mai 2024, M. D... B..., représenté par Me Maony, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête d'appel du préfet ;
2°) d'enjoindre au préfet du Finistère de lui délivrer un titre de séjour dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir ou à défaut de réexaminer sa situation et de le munir dans l'attente une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
3°) en toute hypothèse, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le moyen invoqué par le préfet du Finistère n'est pas fondé ;
Dans l'hypothèse où le jugement n'était pas confirmé :
- le refus de titre de séjour est insuffisamment motivé et entaché d'un défaut d'examen particulier de sa situation ;
- il méconnaît l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ou est à tout le moins entaché d'erreur de droit et d'erreur manifeste d'appréciation ;
- il méconnaît en outre l'article L. 423-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ou est à tout le moins entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- il a en outre méconnu les stipulations de l'article 3.1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- l'obligation de quitter le territoire français doit être annulée par voie de conséquence de l'annulation du refus de séjour ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale a été accordée à M C... par une décision du 27 mai 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Lellouch,
- et les observations de M. A..., substituant Me Maony, représentant M. C....
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., de nationalité ivoirienne, a sollicité son admission au séjour sur le fondement des articles L. 435-3, L. 422-1 et L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 27 octobre 2023, le préfet du Finistère a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il est susceptible d'être éloigné d'office. Par un jugement du 16 février 2024, dont le préfet du Finistère relève appel, le tribunal administratif de Rennes a annulé l'arrêté du 27 octobre 2023.
Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal :
2. L'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. L'article 47 du code civil dispose quant à lui que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".
3. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le jugement produit aurait un caractère frauduleux.
4. Le préfet du Finistère a essentiellement fondé l'arrêté litigieux sur le défaut d'authenticité des actes d'état civil présentés par M. C... à l'appui de sa demande de titre de séjour et sur la fraude à l'identité dont l'intéressé aurait été l'auteur.
5. Afin de justifier de son identité et de son état civil, M. C... produit un jugement supplétif d'acte de naissance du 17 décembre 2020, l'extrait de l'acte de naissance n° 011 dressé le 14 janvier 2021 suivant ce jugement, une copie intégrale de cet acte de naissance n° 011 délivrée le 19 octobre 2022, un certificat de nationalité ivoirienne du 17 février 2021 et le passeport qui lui a été délivré le 16 mars 2022. Les mentions relatives à l'identité et à l'état civil de l'intéressé figurant sur ces documents sont toutes identiques et concordantes. Si les services compétents de la police aux frontières, qui ont conclu à l'authenticité du passeport de M. C..., ont remis en cause la régularité du jugement supplétif et de l'extrait d'acte de naissance au regard de la loi relative à l'état civil ivoirienne, les éléments mis en avant ne sont pas convaincants. Ainsi, la circonstance selon laquelle le jugement supplétif prescrit sa mention en marge de l'acte le plus proche n'apparaît pas en contradiction avec l'article 85 de la loi n° 2018-862 relative à l'état civil, lequel prévoit une mention de la décision " à la date du fait ", et n'est pas, en toute hypothèse, de nature à établir le caractère frauduleux du jugement supplétif. Il en va de même des circonstances tenant, d'une part, à ce que la date de délivrance de l'extrait d'acte de naissance n'est pas mentionnée en toutes lettres et d'autre part, à ce que les mentions relatives à la nationalité des parents, requises par le code de l'état civil ivoirien, pour les actes de naissance dressés dans les délais légaux sur déclaration à l'officier d'état civil ne figurent pas sur l'extrait d'acte de naissance dressé suivant jugement supplétif. Dans ces conditions, ni les motifs du jugement en assistance éducative du tribunal judiciaire de Brest confiant l'intéressé à l'aide sociale à l'enfance tout en indiquant que l'évaluation socio-éducative menée par les travailleurs sociaux a relevé que la " posture particulièrement confiante et affirmée du jeune correspondant à celle d'un majeur ", ni le relevé du fichier Visabio dont il ressort que M. C... avait vainement déposé avant son entrée en France une demande de visa sous une autre identité, ne suffisent à renverser la présomption d'authenticité des actes d'état civil présentés par M. C... à l'appui de sa demande de titre de séjour et à établir que les actes ainsi produits seraient frauduleux et de nature à remettre en cause l'identité sous laquelle il est pris en charge depuis son entrée en France. Le préfet du Finistère a dès lors commis une erreur d'appréciation en remettant en cause l'état civil de M. C....
6. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Finistère n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a annulé l'arrêté du 27 octobre 2023.
Sur les frais liés à l'instance :
7. M. C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros hors taxe à verser à Me Maony au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DECIDE :
Article 1er : La requête du préfet du Finistère est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à Me Maony une somme de 1 200 euros hors taxe au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à M. D... B... C....
Une copie en sera transmise, pour information, au préfet du Finistère.
Délibéré après l'audience du 20 juin 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Brisson, présidente,
- M. Vergne, président-assesseur,
- Mme Lellouch, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 juillet 2024.
La rapporteure,
J. LELLOUCH
La présidente,
C. BRISSON
Le greffier,
Y. MARQUIS
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24NT00700