La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

07/06/2024 | FRANCE | N°23NT00261

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 3ème chambre, 07 juin 2024, 23NT00261


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure



Mmes C... et E... D... et M. B... D... ont demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner le centre hospitalier Pierre Le Damany de Lannion (CH de Lannion) à leur verser une somme totale de 101 510,60 euros, assortie des intérêts de droit et de la capitalisation des intérêts, pour l'indemnisation des préjudices et frais ayant résulté de la prise en charge hospitalière fautive de Mme C... D....



Par un jugement n° 2001814 du 2 décembre 2022, le trib

unal administratif de Rennes a condamné le centre hospitalier de Lannion à verser à Mme C... D...,...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mmes C... et E... D... et M. B... D... ont demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner le centre hospitalier Pierre Le Damany de Lannion (CH de Lannion) à leur verser une somme totale de 101 510,60 euros, assortie des intérêts de droit et de la capitalisation des intérêts, pour l'indemnisation des préjudices et frais ayant résulté de la prise en charge hospitalière fautive de Mme C... D....

Par un jugement n° 2001814 du 2 décembre 2022, le tribunal administratif de Rennes a condamné le centre hospitalier de Lannion à verser à Mme C... D..., victime directe, une somme de 13 104,36 euros sous déduction de la provision qui lui avait été déjà versée, à Mme E... D... une somme de 9 069,80 euros, à M. B... D... une somme de 1 600 euros, ainsi qu'une somme de 23 751,73 euros, outre l'indemnité forfaitaire de gestion euros, à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) d'Ille-et-Vilaine en remboursement de ses débours.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés le 1er février 2023 et le 25 septembre 2023,

Mme C... D..., représentée par Me L'hostis, demande à la cour :

1°) de réformer ce jugement n° 2001814 en tant que le tribunal a limité à la somme de 13 104,36 euros l'indemnité au versement de laquelle il a condamné le centre hospitalier de Lannion en réparation du préjudice qu'elle a subi ;

2°) de condamner le centre hospitalier de Lannion à lui verser les sommes de

1 807,07 euros en réparation de ses préjudices patrimoniaux, 63 335 euros en réparation de ses préjudices extrapatrimoniaux et 10 000 euros en réparation de son préjudice d'impréparation, assorties des intérêts au taux légal à compter du 21 février 2020, date de sa demande indemnitaire préalable, avec capitalisation de ces intérêts ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Lannion une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement doit être confirmé en tant qu'il a retenu que l'hôpital avait entaché sa prise en charge d'un retard fautif de nature à engager sa responsabilité ;

- en revanche, l'indemnisation partielle de ses préjudices à laquelle ont procédé les premiers juges est critiquable dès lors que le dommage qu'elle a subi trouve son origine dans une maladresse fautive du chirurgien ayant provoqué une lésion de la veine splénique et qui ouvre droit à une réparation intégrale de ses conséquences ;

- il doit être aussi reproché au centre hospitalier la méconnaissance de son obligation d'information, en particulier sur le risque lésionnel et infectieux qui s'est réalisé, et le tribunal a, sur ce point renversé la charge de la preuve ;

- sur les préjudices, le tribunal a insuffisamment indemnisé certains postes de préjudices : comme victime directe, elle a droit à des sommes supérieures à celles accordées par les premiers juges, soit 1 807 euros au titre de ses préjudices patrimoniaux, sans application du taux de perte de chance retenu par le tribunal, et, s'agissant des préjudices extrapatrimoniaux, de

3 335 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire, 20 000 euros au titre des souffrances endurées, 30 000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent, 5 000 euros au titre du préjudice d'agrément, 5 000 euros au titre du préjudice sexuel et 10 000 euros au titre du préjudice d'impréparation.

Par un mémoire enregistré le 20 avril 2023, la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) des Côtes-d'Armor demande à la cour de réformer le jugement attaqué en condamnant le centre hospitalier de Lannion à lui verser, outre 1 162 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion, la somme de 29 689,66 euros au titre de ses débours ainsi que la somme de

3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que le jugement doit être confirmé en tant qu'il retient un retard fautif pour prendre en charge les complications de l'intervention chirurgicale du 8 avril 2013 mais que, contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, le centre hospitalier a également méconnu son obligation d'information.

Par un mémoire en défense, enregistré le 25 mai 2023, le centre hospitalier

Pierre Le Damany de Lannion, représenté par la société d'avocats Le Prado-Gilbert conclut au rejet de la requête d'appel de Mme D... et des conclusions d'appel de la caisse primaire d'assurance maladie des Côtes-d'Armor.

Il fait valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- l'arrêté du 14 décembre 2021 relatif aux montants minimal et maximal de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale pour l'année 2022 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Vergne,

- les conclusions de M. Berthon, rapporteur public,

- et les observations de Me Blanquet, représentant Mme D....

Considérant ce qui suit :

1. Mme C... D..., qui souffrait d'un reflux gastro-œsophagien lié à une hernie hiatale, a subi le 8 avril 2013, à l'âge de 63 ans, une intervention de fundoplicature au centre hospitalier (CH) Pierre Le Damany de Lannion, marquée par plusieurs complications et qui n'a pas permis de soulager cette patiente, celle-ci devant au contraire subir une nouvelle intervention chirurgicale en 2016 et restant atteinte, en raison de douleurs à l'effort assimilables à une dyspnée de type I et d'une dysphagie, d'une incapacité permanente partielle de l'ordre de 20 %. S'interrogeant sur les conditions de sa prise en charge par le CH de Lannion, Mme D... a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Rennes, qui a ordonné la réalisation d'une expertise confiée au docteur A..., spécialiste en chirurgie viscérale et digestive, dont le rapport a été déposé le 3 juin 2019. Par une ordonnance n° 2001993 du 19 février 2021, le juge des référés de ce tribunal a condamné l'hôpital à verser à Mme D... une provision d'un montant de 18 230 euros en réparation des conséquences dommageables de sa prise en charge hospitalière. Mme D... et ses enfants ayant adressé en vain à l'hôpital de Lannion une demande tendant à l'indemnisation de leurs préjudices, ont saisi le tribunal administratif de Rennes d'une requête au fond. Par un jugement du 2 décembre 2022, la juridiction, qui a retenu à l'encontre du centre hospitalier de Lannion un défaut de diagnostic d'un hématome et d'une pleurésie survenus au décours de l'intervention chirurgicale, ainsi qu'un retard de prise en charge de ces complications, l'un et l'autre à l'origine, pour Mme D..., d'une perte de chance de

80 % d'échapper à l'aggravation de son état de santé, a condamné cet établissement public à verser à l'intéressée, victime directe, une somme de 13 104,36 euros sous déduction de la provision qui lui avait été déjà accordée, et à ses deux enfants, E... et B... D..., les sommes de 9 069,80 euros et 1 600 euros. Mme D... relève appel de ce jugement, en tant qu'il n'a fait droit que très partiellement aux demandes qu'elle a présentées en son nom personnel. La caisse primaire d'assurance maladie, qui a obtenu en première instance le remboursement de ses débours à hauteur du taux de perte de chance de 80 % retenu par les premiers juges, présente en appel des conclusions tendant à ce que ces frais et dépenses de santé lui soient intégralement remboursés.

Sur la responsabilité :

En ce qui concerne la responsabilité pour faute du centre hospitalier :

2. D'une part, aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. (...) ".

3. D'autre part, aux termes de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique : " I. - Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. Elle est également informée de la possibilité de recevoir, lorsque son état de santé le permet, notamment lorsqu'elle relève de soins palliatifs au sens de l'article L. 1110-10, les soins sous forme ambulatoire ou à domicile. Il est tenu compte de la volonté de la personne de bénéficier de l'une de ces formes de prise en charge. Lorsque, postérieurement à l'exécution des investigations, traitements ou actions de prévention, des risques nouveaux sont identifiés, la personne concernée doit en être informée, sauf en cas d'impossibilité de la retrouver. / Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent l'en dispenser. ". Il résulte de ces dispositions que doivent être portés à la connaissance du patient, préalablement au recueil de son consentement à l'accomplissement d'un acte médical, les risques connus de cet acte qui, soit présentent une fréquence statistique significative, quelle que soit leur gravité, soit revêtent le caractère de risques graves, quelle que soit leur fréquence.

4. En premier lieu, il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que l'intervention chirurgicale du 8 avril 2013, qui devait être effectuée par coelioscopie, a dû être convertie en laparotomie en raison des difficultés rencontrées pour réduire la hernie hiatale, difficultés elles-mêmes dues à l'existence de cicatrices de césarienne et d'appendicite chez la patiente. Durant l'acte chirurgical, une veine splénique accessoire a été lésée, qui a été immédiatement suturée. Au décours immédiat de l'intervention, Mme D... a été victime de douleurs et d'une désaturation nécessitant l'administration d'oxygène et d'antalgiques, ainsi que de difficultés à respirer. La dyspnée et les douleurs basi-thoraciques se sont ensuite aggravées, notamment à partir du 10 avril, accompagnées d'une montée de température et d'une augmentation de la C réactive protéine, marqueur inflammatoire, qui ont été traitées par antibiothérapie. Les investigations réalisées plusieurs jours après, le 16 avril 2013, au moyen d'un angio-scanner pulmonaire et d'un scanner abdomino-pelvien, après qu'ont été écartées les hypothèses d'un foyer infectieux pulmonaire ou d'une embolie pulmonaire, ont permis d'identifier, malgré un premier diagnostic erroné d'hématome sous-capsulaire de la rate, un hématome sous diaphragmatique ayant entraîné un volumineux épanchement pleural sus-jacent réactionnel, cette pleurésie ayant pour cause originelle la lésion de la veine splénique survenue au cours de l'intervention du 8 avril 2013.

5. D'une part, il ne résulte pas de l'instruction que la lésion de la veine splénique à l'origine initiale des complications hémorragiques et infectieuses dont a souffert Mme D... résulterait d'un geste médical susceptible d'engager la responsabilité pour faute du centre hospitalier. L'expert, à qui était confiée la mission de dire si les soins prodigués à la patiente étaient consciencieux, attentifs, conformes aux données acquises de la science et aux règles de l'art et " d'une manière générale, de réunir tous les éléments devant permettre de déterminer si des fautes médicales, des fautes de soins ou des fautes dans l'organisation des services ont été commises ", n'a pas retenu ni même envisagé une quelconque défaillance du chirurgien sur ce point précis. Il qualifie d'ailleurs la chirurgie du reflux gastro-oesophagien d'" intervention délicate " dès lors qu'elle peut entraîner diverses complications connues. Alors que l'expert mentionne que " Au décours de l'intervention, il est décrit une hémorragie par plaie d'un vaisseau court splénique ", l'existence d'un geste fautif de l'opérateur à l'origine d'une lésion de la veine splénique ne saurait être déduite des seules circonstances qu'il indique dans son rapport que la complication per-opératoire n'est pas " clairement précisée " et que le centre hospitalier de Lannion ne pratique pas habituellement ce type de chirurgie.

6. En revanche, d'autre part, il résulte de l'instruction que la lésion hémorragique, bien que suturée en cours d'intervention, devait faire l'objet d'une surveillance particulière, comme il ressort d'ailleurs d'un courrier de l'unité de surveillance du CH de Lannion du 11 avril 2013, mentionnant la nécessité de la " surveillance de la patiente 24 heures en unité de surveillance continue ". Il résulte également de l'instruction que les douleurs et difficultés respiratoires ressenties par Mme D... ont été constatées dès le lendemain de l'intervention et se sont aggravées le 10 avril 2013 et que, en ne réalisant des examens complémentaires que le 16 avril 2013, soit 6 jours après la survenance des premières gênes importantes, le centre hospitalier n'a pas dispensé des soins diligents et adaptés. En outre, ainsi que l'énonce l'expert dans son rapport : " Le diagnostic initial de [l']hématome n'a pas été correctement fait lors du scanner du 16 avril, lui-même réalisé avec retard et sans balisage. La reprise chirurgicale (nettoyage de l'hématome sous diaphragmatique) qui aurait été nécessaire n'a pas été effectuée, entraînant la pérennisation de l'épanchement pleural et ses conséquences ". Dans ces conditions, la responsabilité du centre hospitalier de Lannion est engagée en raison du retard de diagnostic et de prise en charge des complications de Mme D... au décours de l'intervention du 8 avril 2013.

7. De même, si Mme D... a signé un formulaire de consentement éclairé le 20 février 2013 à l'occasion d'une consultation préopératoire, il est constant que ce formulaire ne comportait pas mention des risques prévisibles dans le cadre de l'intervention prévue le 8 avril 2013. Il est vrai que Mme D..., s'est essentiellement plainte, au cours des opérations d'expertise, d'un " manque d'information des médecins sur son état de santé en post-opératoire " et que, interrogée par l'expert, elle a répondu positivement à la question qui lui était posée pour savoir si elle avait reçu en préopératoire une information loyale et suffisante des risques concernant l'intervention. Mais ces éléments ne sont pas suffisants pour démontrer, alors que la charge de la preuve incombe sur ce point à l'hôpital, que l'intéressée a été informée du risque de lésion tissulaire qui s'est réalisé et qui est au nombre des risques repérés de la chirurgie viscérale et digestive mise en œuvre, l'expert évoquant dans son rapport, pour les interventions de cure de hernie hiatale et de reflux gastro-oesophagien, comme complications les plus fréquentes, " la lésion de la plèvre (3%), l'hémorragie par plaie de foie ou de rate (2%), la plaie digestive (2%), la pleurésie (2%) ". Il doit donc être considéré comme établi que le CH de Lannion a manqué à son obligation d'information et que sa responsabilité est engagée sur le fondement des dispositions de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique citées au point 3.

En ce qui concerne l'application d'un taux de perte de chance :

8. Dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu. La réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue.

9. Ainsi qu'il a été dit ci-dessus au point 5, la lésion de la veine splénique lors de l'intervention du 8 avril 2013 ne résulte pas d'une faute du chirurgien qui justifierait la prise en charge par le centre hospitalier de l'intégralité de ses conséquences, ainsi que le demande l'appelante.

10. En revanche, il résulte de l'expertise du docteur A... que le retard fautif dans la prise en charge de Mme D... au décours de l'intervention ainsi que l'erreur de diagnostic lors de la réalisation des scanners le 16 avril 2013 ont empêché la prise en charge rapide de l'épanchement pleural dont a été victime la patiente. Ces fautes ont compromis les chances de celle-ci d'échapper à une aggravation de son état de santé dans une proportion qu'il y a lieu d'évaluer, conformément à la proposition de l'expert, à 80 %. Par suite, Mme D... est seulement fondée à demander la condamnation de l'hôpital à l'indemniser à hauteur de 80 % des préjudices dont elle justifie, à la seule exception des frais du médecin conseil qui l'a assistée au cours de la procédure de référé-expertise et des frais de communication du dossier médical, dépenses que les premiers juges ont pertinemment mises à la charge du CH de Lannion sans faire application d'un taux de perte de chance, dès lors qu'elles résultent entièrement de la faute commise par l'établissement hospitalier.

11. Enfin, si Mme D..., ainsi qu'il a été dit au point 7, n'a pas été correctement informée des risques inhérents à l'intervention qu'elle a subie et notamment du risque de lésion de la veine splénique qui s'est réalisé, il ne résulte pas de l'instruction que ce défaut d'information, bien qu'il lui ait causé un préjudice d'ordre moral lié à la survenance de complications auxquelles elle n'était pas préparée, lui aurait fait perdre une chance de renoncer à l'intervention qu'elle a subie et aux complications survenues.

Sur l'évaluation des préjudices de Mme C... D... :

S'agissant des préjudices patrimoniaux :

12. L'évaluation par les premiers juges des préjudices correspondant pour 960 euros aux frais du médecin conseil de Mme D..., pour 80,12 euros aux frais de communication de son dossier médical, et pour 760,95 euros, soit 608,76 euros après application du taux de perte de chance, aux frais d'assistance par une tierce personne dans les suites des deux interventions de 2013 et 2016 ne font l'objet de contestation ni par l'appelante, ni par l'intimé, la première se bornant à demander l'infirmation du jugement en tant seulement qu'il a appliqué à ces sommes un taux de perte de chance, ce qu'il a fait à bon droit ainsi qu'il a été dit au point 9. Il y a donc lieu de retenir ces montants pour l'évaluation des préjudices de la requérante.

S'agissant des préjudices extra-patrimoniaux :

13. En premier lieu, il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise qu'en l'absence de complication, une cure chirurgicale de hernie hiatale requiert de 3 à 5 jours d'hospitalisation et un arrêt de travail qui ne saurait excéder trente jours. Il y a lieu de considérer, comme l'a fait l'expert, que le déficit fonctionnel temporaire strictement imputable aux fautes commises par le CH de Lannion a été total du 12 avril au 7 mai 2013 (27 jours) puis du 16 au

24 mars 2016 (9 jours), périodes au cours desquelles la patiente était hospitalisée. D'autre part, ce déficit fonctionnel temporaire a été de 10 % jusqu'au 30 avril 2016, soit 1 043 jours du 8 mai 2013 au 16 mars 2016 et 37 jours du 25 mars 2016 au 30 avril 2016, date de consolidation retenue par l'expert après la seconde intervention. Il en sera fait une juste appréciation en l'évaluant à la somme de 2 448 euros, soit 1 958 euros après application du taux de perte de chance.

14. En deuxième lieu, les souffrances endurées par Mme D... en lien avec les fautes commises par le CH de Lorient, qui ont été cotées par l'expert à 4 sur une échelle de 0 à 7 et dont il résulte de l'instruction qu'elles ont été vives, persistantes et génératrices d'angoisse chez la patiente, doivent être évaluées à la somme de 8 000 euros, soit 6 400 euros après application du taux de perte de chance.

15. En troisième lieu, s'il résulte du rapport d'expertise que Mme D... reste affectée d'un déficit fonctionnel permanent (DFP) évalué entre 15 % et 20 %, l'expert estime que ce DFP, correspondant à des dyspnées de type I, dont Mme D... souffrait d'ailleurs déjà avant l'intervention du 8 avril 2013, et à une dysphagie conduisant à un fractionnement des repas, correspond à une " complications connue de la chirurgie " et non aux fautes commises par le

CH de Lannion. Par suite, la demande de la requérante tendant à l'indemnisation de ce chef de préjudice ne peut être accueillie.

16. En quatrième lieu, la requérante ne demande pas la majoration des sommes qui lui ont été allouées par les premiers juges correspondant, d'une part, à l'interdiction puis la limitation la pratique de la marche et de la natation, et, d'autre part, à une altération de sa libido, ces préjudices ayant été évalués, pour le premier, à 2 000 euros, soit 1 600 euros après application du taux de perte de chance, et, pour le second, à 3 000 euros, soit 2 400 euros après application du taux de perte de chance. Il y a lieu pour évaluer le préjudice total de Mme D..., de retenir ces montants en l'absence de réelle contestation de ceux-ci par le CH de Lannion.

17. En cinquième lieu, ainsi qu'il a été dit au point 7, le CH de Lannion a méconnu son obligation d'information de Mme D... s'agissant du risque de lésion tissulaire qui s'est réalisé et qui est au nombre des risques repérés de la chirurgie viscérale et digestive mise en œuvre

18. Il sera fait une juste appréciation de la souffrance morale endurée par Mme D... lorsqu'elle a découvert, sans y avoir été préparée par une information préalable, les conséquences de l'intervention, auxquelles elle n'a pas pu se préparer, en lui accordant à ce titre la somme de 2 000 euros, sans qu'il y ait lieu d'y appliquer, eu égard à la nature particulière de ce préjudice, le taux de perte de chance de 80% défini ci-dessus.

19. Il résulte de ce qui précède que le centre hospitalier de Lannion doit être condamné à verser à Mme D... la somme de 16 006,88 euros en réparation de ses préjudices. La requérante est donc fondée à demander la réformation en ce sens du jugement du tribunal administratif de Rennes du 2 décembre 2022.

Sur les demandes de la caisse primaire d'assurance maladie d'Ille-et-Vilaine :

20. Le CH de Lannion, qui a été condamné par les premiers juges à verser à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) d'Ille-et-Vilaine la somme de 23 751,73 euros, montant déterminé après application du taux de perte de chance défini au point 10 du présent arrêt, demande que ce montant soit porté à la somme de 29 689,66 euros. Toutefois, ainsi qu'il a été dit ci-dessus au point 5, la lésion de la veine splénique lors de l'intervention du 8 avril 2013 ne résulte pas d'une faute du chirurgien qui justifierait la prise en charge par le centre hospitalier de l'intégralité de ses conséquences ainsi que le demande la CPAM. De même, si la CPAM fait valoir dans ses écritures, pour justifier de l'obligation du CH de Lannion de lui rembourser la totalité de ses débours, que contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, cet hôpital a méconnu son obligation d'information, il ne résulte pas de l'instruction, ainsi qu'il a été dit au point 11, que Mme D... aurait renoncé à être opérée si elle avait été mieux informée. Il suit de là que la CPAM d'Ille-et-Vilaine n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Rennes a limité à la somme susmentionnée de 23 751,73 euros le montant des dépenses de santé que le centre hospitalier de Lannion doit lui rembourser. Le présent arrêt ne faisant pas droit aux conclusions de la CPAM tendant à ce que les sommes auxquelles elle a droit soient portées à un montant supérieur à celui qui lui a été accordé par les premiers juges, les conclusions de cette caisse tendant à la révision de l'indemnité forfaitaire de gestion à laquelle elle a droit ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

21. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge du centre hospitalier de Lannion la somme de 1 200 euros qui sera versée à Mme D... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. En revanche, ces dispositions font obstacle à ce qu'il doit fait droit aux prétentions présentées au même titre par la CPAM d'Ille-et-Vilaine à l'encontre de l'hôpital.

D E C I D E :

Article 1er : La somme de 13 104,36 euros que le centre hospitalier de Lannion a été condamné à verser à Mme C... D... par le jugement du 2 décembre 2022 est portée à 16 006,88 euros.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Rennes du 2 décembre 2022 est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er ci-dessus.

Article 3 : Les conclusions d'appel présentées par la caisse primaire d'assurance maladie d'Ille-et-Vilaine sont rejetées.

Article 4 : Le centre hospitalier de Lannion versera à Mme D... la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent jugement sera notifié à Mme C... D..., au centre hospitalier de Lannion et à la caisse primaire d'assurance maladie d'Ille-et-Vilaine.

Délibéré après l'audience du 23 mai 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Brisson, présidente,

- M. Vergne, président-assesseur,

- Mme Lellouch, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 juin 2024.

Le rapporteur,

G.-V. VERGNE

La présidente,

C. BRISSON

Le greffier,

R. MAGEAU

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités, en ce qui la concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23NT0261


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT00261
Date de la décision : 07/06/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme BRISSON
Rapporteur ?: M. Georges-Vincent VERGNE
Rapporteur public ?: M. BERTHON
Avocat(s) : DI PALMA

Origine de la décision
Date de l'import : 16/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-06-07;23nt00261 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award