Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision née le 21 août 2023 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté son recours formé contre une décision de l'Ambassade de France à Téhéran (Iran) refusant de lui délivrer un visa d'entrée et de long séjour en France au titre de la réunification familiale.
Par un jugement n° 2313863 du 25 mars 2024, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 28 mars 2024, Mme B..., représentée par Me Kati, demande au juge des référés de la cour :
1°) d'ordonner sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution du jugement du 25 mars 2023 du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'ordonner sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de la décision née le 21 août 2023 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté son recours formé contre la décision du 1er juin 2023 de l'Ambassade de France à Téhéran (Iran) refusant de lui délivrer un visa d'entrée et de long séjour en France au titre de la réunification familiale ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur, à titre principal, de délivrer le visa sollicité dans un délai de cinq jours à compter de la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard et, à titre subsidiaire, de réexaminer la demande de visa dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la condition d'urgence est remplie, dès lors que la décision contestée préjudicie de manière grave et immédiate à sa situation ; elle est séparée de son mari depuis environ 8 ans ce dernier ne pouvant retourner en Afghanistan en raison des risques qu'il encourt dans ce pays ; il résulte de la lecture combinée des articles L. 561-2 et L. 561-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que le visa sollicité est de plein droit dès lors que les autorités françaises n'allèguent ni l'existence d'une menace à l'ordre public, ni d'une atteinte aux principes essentiels qui régissent la vie familiale en France ; elle est confrontée, en Afghanistan, à une grave crise humanitaire et à une dégradation de ses droits fondamentaux en tant que femme depuis la prise de pouvoir des Talibans le 15 août 2021 ; elle est regardée par les Talibans comme ayant prêté allégeance à l'Occident du fait de la demande de visa qu'elle a déposée et se trouve donc vulnérable ; comme l'a reconnu la CNDA, en tant que femme afghane, elle appartient à un " groupe social " en raison de son seul genre qui court un risque réel et sérieux de persécutions auquel elle est exposée en Afghanistan sans qu'il soit besoin de démontrer l'existence d'une persécution ou d'une atteinte grave passée ; elle se trouve dans un état de détresse psychologique alarmant et de dépression profonde en raison de la séparation durable avec son mari et du décès de ses deux nourrissons nés prématurément ; un traitement médicamenteux lui a été prescrit à cet effet ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée ; elle est entachée d'une erreur d'appréciation et méconnaît les dispositions de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors que son identité et son lien matrimonial avec le réunifiant sont établis ; elle méconnait les stipulations des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Vu :
- la requête au fond n° 24NT00929 enregistrée le 27 mars 2024, par laquelle Mme B... a demandé l'annulation du jugement n° 2313863 du 25 mars 2023 du tribunal administratif de Nantes ;
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Considérant ce qui suit :
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique du 30 avril 2024 à 14 heures 30 :
- le rapport de Mme Buffet, juge des référés,
- et les observations de Me Mordacq, sustituant Me Kati, avocat de Mme B....
La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience.
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".
2. Mme B..., ressortissante afghane, demande au juge des référés de la cour, d'une part, la suspension de la décision implicite née le 21 août 2023 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a confirmé la décision de l'Ambassade de France à Téhéran lui refusant la délivrance d'un visa d'entrée et de long séjour au titre de la réunification familiale et, d'autre part, la suspension du jugement du 25 mars 2023 du tribunal administratif de Nantes en tant qu'il a rejeté sa demande d'annulation de ces décisions.
Sur les conclusions tendant à la suspension du jugement du 25 mars 2023 du tribunal administratif de Nantes :
3. Il n'appartient pas au juge administratif de prononcer la suspension d'une décision juridictionnelle sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 521-1 du code de justice administrative. Dès lors, les conclusions de Mme B... tendant à ce que le juge des référés de la cour ordonne, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution du jugement du 25 mars 2023 du tribunal administratif de Nantes ne peuvent être que rejetées.
Sur les conclusions tendant à la suspension de l'exécution de la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France rejetant le recours formé contre la décision du 27 octobre 2023 par laquelle l'autorité consulaire française à Téhéran (République islamique d'Iran) a refusé de délivrer un visa d'entrée et de long séjour à Mme B... au titre de la réunification familiale :
En ce qui concerne l'urgence :
4. L'urgence justifie que soit prononcée la suspension d'un acte administratif lorsque l'exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés, saisi de conclusions tendant à la suspension d'un acte administratif, d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte litigieux sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue.
5. Pour justifier de l'urgence d'une suspension de l'exécution de la décision litigieuse, la requérante fait valoir qu'elle est séparée depuis huit ans de son mari qui dû fuir l'Afghanistan en 2016, de ses craintes pour sa sécurité et sa liberté en Afghanistan et la dégradation, établie par un certificat médical du 25 février 2024, de son état de santé psychique consécutif, notamment, au décès de ses deux nourrissons nés prématurément au bout de cinq mois et demi de grossesse. Compte tenu de l'ensemble de ces circonstances et eu égard à l'objectif de réunification familiale, à la durée et aux conditions de séparation, la condition d'urgence prévue à l'article L. 521-1 du code de justice administrative doit être regardée comme établie, Mme B... ne pouvant de surcroit être regardée comme ayant fait preuve dans ses démarches de réunification familiale, d'un manque de diligence tel qu'il dénuerait sa demande de caractère urgent.
En ce qui concerne l'existence d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux :
6. Aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; 2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue (...) ". Aux termes de l'article L. 561-5 de ce code : " Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. Ils produisent pour cela les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. / En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 121-9 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux ". La circonstance qu'une demande de visa de long séjour ait pour objet le rapprochement familial d'un conjoint ou des enfants d'une personne bénéficiaire de la protection subsidiaire ne fait pas obstacle à ce que l'autorité administrative refuse la délivrance du visa sollicité en se fondant, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, sur un motif d'ordre public. Figure au nombre de ces motifs le défaut de valeur probante des documents destinés à établir la réalité du lien matrimonial entre les époux ou du lien de filiation produits à l'appui des demandes de visa.
7. L'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. L'article 47 du code civil dispose quant à lui que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
8. Pour justifier de son identité et du lien matrimonial l'unissant à M. B..., la requérante produit une copie de son acte de naissance, une copie de sa tazkera électronique, la copie de l'acte de mariage afghan ainsi que la première page de son passeport délivré par les autorités afghanes. L'ensemble de ces documents indique que Mme B... est née le 1er janvier 1994 et non le 1er janvier 2000 comme mentionné, par erreur, sur le formulaire de demande d'asile et la fiche familiale de référence. Dès lors, et alors que cette divergence relevée concernant la date de naissance de Mme B... sur ces seuls documents renseignés les 17 octobre 2017 et 26 février 2018 par M. B... dans le cadre de sa demande d'asile a été signalée dès le 3 septembre 2018 et qu'il ressort du reste des documents versés aux débats que les mentions relatives notamment à sa date de naissance figurant dans ces divers documents sont concordantes entre elles, le moyen invoqué par la requérante à l'appui de la demande de suspension et tiré de ce qu'estimant que l'identité de Mme B... et partant son lien familial avec M. B... n'étaient pas établis, la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions précitées de même que le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales sont, en l'état de l'instruction, de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision implicite de la commission de recours.
9. Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu de suspendre l'exécution de la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France rejetant le recours formé contre la décision du 27 octobre 2023 par laquelle l'autorité consulaire française à Téhéran (République islamique d'Iran) a refusé de délivrer un visa d'entrée et de long séjour à Mme B... au titre de la réunification familiale.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
10. Compte tenu du sens de la présente décision et au regard de l'office du juge des référés, il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de réexaminer la demande de visa présentée par Mme B... dans le délai de 30 jours, sans qu'il soit nécessaire dans les circonstances de l'espèce d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
11. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
ORDONNE :
Article 1er : L'exécution de la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a refusé de délivrer à Mme B... un visa d'entrée et de long séjour au titre de la réunification familiale est suspendue.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de procéder au réexamen de la demande de visa de Mme B... dans un délai de 30 jours à compter de la notification de la présente ordonnance.
Article 3 : L'Etat versera à Mme B... la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Fait à Nantes, le 31 mai 2024.
La juge des référés
C. BUFFETLa greffière
M. C...
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24NT00941