La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

24/05/2024 | FRANCE | N°23NT01692

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 3ème chambre, 24 mai 2024, 23NT01692


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Le GAEC E... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 17 décembre 2020 par lequel le préfet de la région Bretagne a accordé à Mme B... une autorisation d'exploiter des terres d'une surface totale de 11 hectares 33 ares et 3 centiares à Pédernec (Côte d'Armor).



Par un jugement n° 2102706 du 11 avril 2023, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :


> Par une requête et un mémoire, enregistrés les 9 juin 2023 et 27 mars 2024, le GAEC E..., représenté par Me Penisson...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le GAEC E... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 17 décembre 2020 par lequel le préfet de la région Bretagne a accordé à Mme B... une autorisation d'exploiter des terres d'une surface totale de 11 hectares 33 ares et 3 centiares à Pédernec (Côte d'Armor).

Par un jugement n° 2102706 du 11 avril 2023, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 9 juin 2023 et 27 mars 2024, le GAEC E..., représenté par Me Penisson, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 11 avril 2023 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 17 décembre 2020 par lequel le préfet de la région Bretagne a accordé à Mme B... une autorisation d'exploiter 11 hectares 33 ares et 3 centiares à Pédernec ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement attaqué est irrégulier, en ce que les premiers juges ont méconnu le caractère contradictoire de la procédure en ne lui communiquant pas le dernier mémoire en défense du ministre dans lequel ce dernier justifiait de la compétence du signataire ;

- la décision litigieuse est entachée de l'incompétence de sa signataire ;

- elle procède à un retrait illégal car tardif de l'arrêté du 7 février 2020 refusant à Mme B... l'autorisation d'exploiter les terres en litige, qui a créé des droits à son profit ;

- elle est entachée manifeste d'appréciation en ce qu'il ne relevait pas de la priorité 1 et que Mme B... relevait de la priorité 6.

Par des mémoires, enregistrés le 30 août 2023 et le 17 avril 2024, Mme F... B..., représentée par Me Gobbe, demande à la cour de rejeter la requête du GAEC

E... et de mettre à sa charge la somme de 5 000 euros à son profit au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par le GAEC E... ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 5 mars 2024, le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par le GAEC E... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code rural et de la pêche maritime ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- l'arrêté du préfet de la région Bretagne du 4 mai 2018 arrêtant le schéma directeur régional des exploitations agricoles de Bretagne ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Lellouch,

- les conclusions de M. Berthon, rapporteur public,

- et les observations de Me Penisson, représentant le GAEC E....

Une note en délibéré, enregistrée le 17 mai 2024, a été présentée pour le GAEC

E....

Considérant ce qui suit :

1. Suivant acte notarié du 14 mai 2002, M. E... a conclu un bail à ferme pour plusieurs parcelles situées à Pédernec (Côtes d'Armor), d'une surface totale de 10 hectares 17 ares et 62 centiares. M. E... s'est toutefois vu délivrer par la nouvelle propriétaire des terres, Mme B..., un congé pour reprise de ce bail rural, par un acte du 27 mars 2019.

M. E... a contesté ce congé devant le tribunal paritaire des baux ruraux de Guingamp, qui a ordonné un sursis à statuer. Par un arrêté du 7 février 2020, le préfet de la région Bretagne a rejeté la demande d'autorisation d'exploiter ces terres, présentée par Mme B.... Cette dernière a présenté une nouvelle demande d'autorisation d'exploiter les mêmes parcelles, à laquelle il a été finalement fait droit par un arrêté du 17 décembre 2020. Le GAEC E... relève appel du jugement du 11 avril 2023 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté du 17 décembre 2020.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Le GAEC E... soutient que le jugement attaqué du tribunal administratif de Rennes aurait été rendu en méconnaissance du principe du contradictoire, en faisant valoir que, pour écarter le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté du 17 décembre 2020, ce jugement se réfère à un arrêté préfectoral de délégation de signature du 17 novembre 2020 et à un arrêté de subdélégation du 19 novembre 2020 sans que ces arrêtés aient fait l'objet d'une communication contradictoire. Toutefois, dès lors que, comme le relève expressément le jugement attaqué, les arrêtés des 17 et 19 novembre 2020 ont été régulièrement publiés au recueil des actes administratifs de la préfecture, et eu égard au caractère réglementaire de ces actes, le tribunal n'a pas méconnu le principe du caractère contradictoire de la procédure en se fondant sur l'existence de ces arrêtés sans avoir transmis le mémoire en défense en annexe duquel le préfet les avait produits.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

3. En premier lieu, le moyen tiré de l'incompétence de la signataire de l'arrêté litigieux, que le GAEC reprend en appel, peut être écarté par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges.

4. En deuxième lieu, la décision par laquelle le préfet refuse à un propriétaire l'autorisation d'exploiter ses terres ne crée aucun droit, ni au profit du propriétaire, ni à celui du preneur en place. Il s'ensuit que l'autorisation d'exploiter accordée à Mme B... par l'arrêté litigieux du 17 décembre 2020, qui revient sur le refus qui lui avait été précédemment opposé par arrêté du 7 février 2020, ne peut s'analyser en une abrogation d'un acte créateur de droits. Dès lors, le GAEC E... ne peut utilement soutenir que l'arrêté en litige est intervenu après l'expiration du délai de retrait et d'abrogation prévu par l'article L. 242-1 du code des relations entre le public et l'administration tel qu'il a été prorogé par l'ordonnance du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire.

5. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 331-3 du code rural et de la pêche maritime : " L'autorité administrative assure la publicité des demandes d'autorisation dont elle est saisie, selon des modalités définies par décret. / Elle vérifie, compte tenu des motifs de refus prévus à l'article L. 331-3-1, si les conditions de l'opération permettent de délivrer l'autorisation mentionnée à l'article L. 331-2 et se prononce sur la demande d'autorisation par une décision motivée ". Aux termes de l'article L. 331-3-1 du même code alors applicable : " L'autorisation mentionnée à l'article L. 331-2 peut être refusée : / 1° Lorsqu'il existe un candidat à la reprise ou un preneur en place répondant à un rang de priorité supérieur au regard du schéma directeur régional des structures agricoles mentionné à l'article L. 312-1 ; / 2° Lorsque l'opération compromet la viabilité de l'exploitation du preneur en place (...) ".

6. Il résulte de ces dispositions que, lorsqu'il est saisi de demandes d'autorisation concurrentes par un preneur en place ou un candidat à la reprise répondant à des ordres de priorités différents au regard des prescriptions du schéma directeur régional, le préfet fait en principe application de l'ordre de priorité fixé par le schéma pour rejeter la demande placée à un ordre de priorité inférieur. Il peut toutefois délivrer une autorisation concurrente à une demande de rang inférieur si l'intérêt général ou des circonstances particulières, en rapport avec les objectifs du schéma directeur, le justifient.

7. Il ressort des motifs de l'arrêté litigieux que le préfet de la région Bretagne doit être regardé comme ayant fondé l'autorisation d'exploiter les terres précédemment mises en valeur par le GAEC E... à Mme B..., d'une part, sur ce que le GAEC, ne répondait pas à un rang de priorité supérieur à celui dont relevait Mme B... au regard du schéma directeur régional des structures agricoles (SDREA), et d'autre part, sur ce que l'autorisation ne compromettait pas la viabilité économique de ce preneur en place. Le SDREA de Bretagne fixe neuf priorités au vu desquelles les demandes d'autorisation d'exploiter sont analysées.

En ce qui concerne le rang de priorité du GAEC E... :

8. D'une part, la priorité n°1 de ce schéma tend à privilégier le maintien de l'exploitation du preneur en place, lorsqu'une demande d'autorisation est de nature à porter gravement atteinte à l'équilibre structurel de son exploitation, dans plusieurs hypothèses limitativement énumérées, et notamment celle d'" opération de nature à retirer un parcellaire de parcours et de proximité à moins d'un kilomètre de bâtiments d'élevage, ou équestres, ou comportant des bâtiments et/ou installations de proximité difficilement remplaçables par l'exploitant ".

9. La commission départementale d'orientation agricole a estimé, dans son avis du 8 décembre 2020, que les parcelles visées par l'arrêté litigieux, jusqu'alors mises en valeur par le GAEC E..., ne peuvent être considérées comme un îlot de parcelles de parcours, dès lors qu'il s'agit de parcelles de grande culture (maïs et blé tendre) et ne peut en conséquence relever de la priorité 1. Le GAEC E..., qui se borne à faire valoir que la parcelle cadastrée section C n° 988 est située à moins de 500 mètres de ses bâtiments d'élevage, ne conteste pas que les parcelles concernées par l'arrêté litigieux sont exploitées en grande culture et qu'elles ne sont pas des parcelles de parcours. Dès lors, à supposer qu'il puisse être tenu pour établi que la parcelle C n° 988 soit située à moins de 500 mètres d'un bâtiment d'élevage du GAEC et puisse ainsi s'analyser en une parcelle de proximité d'un bâtiment d'élevage au sens du schéma directeur des exploitations agricoles de la région Bretagne, l'opération litigieuse n'est pas de nature à retirer au GAEC E... des " parcelles de parcours et de proximité " et le préfet de la région n'a pas commis d'erreur d'appréciation en estimant que le groupement ne pouvait se prévaloir de la priorité 1 du SDREA.

10. D'autre part, la priorité 7 du SDREA, qui a trait à " l'attribution de parcelle ou d'îlot de parcelles enclavé(e) " prévoit que " priorité sera donnée au demandeur pour la reprise de parcelle ou îlot de parcelles enclavé(e) ou de parcelle(s) de liaison tel que définies à l'article 1. Cette priorité ne concerne qu'une parcelle ou îlot de parcelle par type de demande. " Selon l'article 1 de ce schéma, la parcelle ou l'îlot de parcelles enclavé(e) se définit comme une " parcelle ou un îlot de parcelles situé(s) à une distance maximum de 1,5 km du siège d'exploitation du demandeur, d'une surface inférieure à 3 hectares, en limite immédiate et sur au moins 3/4 de son périmètre d'autres parcelles exploitées par le demandeur. ".

11. Si le GAEC fait valoir que l'autorisation d'exploiter accordée à Mme B... pour les parcelles en litige est de nature à compromettre l'accès à deux des parcelles qu'il exploite, n° 999 et 989, auxquelles il accédait auparavant par les parcelles n° 988 et 997 comprises dans le périmètre de l'autorisation en litige, il ne ressort pas des pièces du dossier, et notamment pas du constat d'huissier établi le 25 novembre 2020, que ces parcelles répondraient à la définition de parcelle ou d'îlot de parcelles enclavé(e) donnée à l'article 1er du SDREA cité au point précédent.

En ce qui concerne le rang de priorité de Mme B... :

12. L'article 3 du SDREA relatif aux priorités prévoit au titre de la priorité 6 " compensation des surfaces perdues de l'exploitation " que : " (...) / Les pertes compensées sont celles advenues sans que le demandeur en soit l'initiateur et trouvent notamment leur origine dans (...) l'exercice du droit de reprise par propriétaire ".

13. Il ressort des pièces du dossier que M. et Mme A... D..., propriétaires, de terres d'une superficie d'environ 19 hectares ont, le 26 septembre 2019, donné congé à effet du 20 septembre 2021 à Mme B... qui exploitait ces terres en vue de la reprise pour exploitation par leur fille, Mme C... D..., à qui le préfet a, par un arrêté du

17 septembre 2020 délivré une autorisation d'exploitation par un arrêté du 17 septembre 2020.

14. Ainsi, à la date de l'arrêté en litige, le congé délivré à Mme B..., ne prenant effet qu'au 29 septembre 2021, soit neuf mois après l'intervention de l'arrêté litigieux, n'était pas devenu définitif dès lors que Mme B... ne s'est désistée que postérieurement à l'intervention de l'arrêté contesté de l'action en nullité de ce congé qu'elle a engagée devant le tribunal paritaire des baux ruraux ainsi qu'il ressort des termes du jugement de ce tribunal rendu le 21 janvier 2021. Dans ces conditions, au 17 décembre 2020, les pertes de terres par Mme B... trouvant leur origine dans l'exercice par M. et Mme D... de leur droit de reprise n'étaient pas advenues au sens et pour l'application de la priorité 6 du SDREA. Dès lors, le préfet de région a commis une erreur d'appréciation en estimant que la demande de Mme B... relevait de la priorité 6.

15. Toutefois, il résulte des points 9 à 12 que le GAEC n'établit pas qu'il relève de la priorité 1, de la priorité 7, ni d'aucune autre priorité. Dès lors, la circonstance que Mme B... ne puisse se prévaloir du rang de priorité 6 à la date de l'arrêté litigieux ne suffit pas à remettre en cause le premier motif de la décision litigieuse selon lequel le GAEC E... ne relevait pas d'un rang de priorité supérieur.

16. Il en va de même de la circonstance selon laquelle Mme B... ne relèverait pas de la priorité 9. En tout état de cause, les éléments mis en avant par le GAEC E... selon lesquels Mme B... n'a pas fait connaître le nombre de jeunes bovins et génisses viande de son exploitation, alors que celle-ci fait valoir qu'ils sont tous nés sur l'exploitation et ne doivent pas être comptabilisés, ne permettent pas de considérer que Mme B... ne relèverait pas de la priorité 9.

17. Il résulte de tout ce qui précède que le GAEC E... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 17 décembre 2020.

Sur les frais liés à l'instance :

18. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par le GAEC E..., au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. En revanche, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du GAEC E... la somme demandée par Mme B..., au même titre.

DECIDE :

Article 1er : La requête du GAEC E... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par Mme B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au GAEC E..., au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, et à Mme F... B....

Une copie en sera transmise, pour information, au préfet de la région Bretagne.

Délibéré après l'audience du 6 mai 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Brisson, présidente,

- M. Vergne, président-assesseur,

- Mme Lellouch, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 mai 2024.

La rapporteure,

J. LELLOUCH

La présidente,

C. BRISSON

Le greffier,

R. MAGEAU

La République mande et ordonne au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23NT01692


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT01692
Date de la décision : 24/05/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BRISSON
Rapporteur ?: Mme Judith LELLOUCH
Rapporteur public ?: M. BERTHON
Avocat(s) : PENISSON SOLENE

Origine de la décision
Date de l'import : 02/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-05-24;23nt01692 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award