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06/05/2024 | FRANCE | N°24NT00241

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 3ème chambre, 06 mai 2024, 24NT00241


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme B... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 19 janvier 2024 par lequel le préfet d'Ille-et-Vilaine l'a obligée à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction d'un retour sur le territoire pendant un an ainsi que l'arrêté du même jour portant assignation à résidence.



Par un jugement n° 2400322 du 29 janvier 2024, le tribunal administratif de Rennes a annulé les

arrêtés du 19 janvier 2024 et enjoint au préfet d'Ille-et-Vilaine de réexaminer la situation de Mme B....

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 19 janvier 2024 par lequel le préfet d'Ille-et-Vilaine l'a obligée à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction d'un retour sur le territoire pendant un an ainsi que l'arrêté du même jour portant assignation à résidence.

Par un jugement n° 2400322 du 29 janvier 2024, le tribunal administratif de Rennes a annulé les arrêtés du 19 janvier 2024 et enjoint au préfet d'Ille-et-Vilaine de réexaminer la situation de Mme B... dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 30 janvier 2024, le préfet d'Ille-et-Vilaine demande à la cour d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 29 janvier 2024 en tant qu'il annule les arrêtés du 19 janvier 2024, lui enjoint de procéder au réexamen de la situation de Mme B... et met à sa charge la somme de 1 500 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée du tribunal administratif de Rennes a retenu les moyens tirés de l'erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de l'obligation de quitter le territoire français sur la situation personnelle de Mme B... et de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 1er mars 2024, Mme A... B..., représentée par Me Berthaut, demande à la cour :

1°) à titre principal, de rejeter la requête ;

2°) à titre subsidiaire, d'annuler les arrêtés préfectoraux du 19 janvier 2024 et d'enjoindre au préfet d'Ille-et-Vilaine de lui accorder un titre de séjour dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement à intervenir ou, à défaut, de procéder à un nouvel examen de sa situation et de lui remettre, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour ;

3°) de mettre à la charge de l'État le versement au profit de son conseil d'une somme de 1 500 euros au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

à titre principal :

- les moyens invoqués par le préfet d'Ille-et-Vilaine ne sont pas fondés ;

à titre subsidiaire,

- l'obligation de quitter le territoire français est entachée d'un défaut d'examen particulier de sa situation personnelle et d'une insuffisance de motivation ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation quant à ses conséquences sur sa situation personnelle et méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision lui refusant un délai de départ volontaire doit être annulée par voie de conséquence de l'annulation de l'obligation de quitter le territoire français ;

- la décision fixant l'Algérie comme pays de destination doit être annulée par voie de conséquence de l'annulation de l'obligation de quitter le territoire français ;

- elle est insuffisamment motivée et entachée d'un défaut d'examen particulier de sa situation personnelle ;

- elle méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 2 avril 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Lellouch,

- et les observations de Me Berthaut, représentant Mme B..., et celles de Mme B... elle-même.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., ressortissante algérienne née le 13 septembre 1986, est entrée en France le 8 juin 2021, sous couvert d'un visa D " regroupement familial ", valable du 20 mai 2021 au 8 juin 2021. La demande qu'elle a déposée pour obtenir la délivrance d'un titre de séjour en qualité d'étudiante, après que son époux a obtenu le divorce en Algérie, a fait l'objet d'une décision de refus, le 30 mai 2022, du préfet du Calvados, assortie d'une décision portant obligation de quitter le territoire français. Mme B... s'est néanmoins maintenue depuis sur le territoire français. Par un arrêté du 19 janvier 2024, le préfet d'Ille-et-Vilaine l'a obligée à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction d'un retour en France pendant un an. Par un arrêté du même jour, il l'a assignée à résidence. Le préfet d'Ille-et-Vilaine relève appel du jugement du 29 janvier 2024 par lequel la magistrate désignée du tribunal administratif de Rennes a annulé ces arrêtés et a enjoint au préfet d'Ille-et-Vilaine de procéder au réexamen de la situation administrative de Mme B... dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement.

Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif :

2. Aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : (...) 3° L'étranger s'est vu refuser la délivrance d'un titre de séjour, le renouvellement du titre de séjour, du document provisoire délivré à l'occasion d'une demande de titre de séjour ou de l'autorisation provisoire de séjour qui lui avait été délivré ou s'est vu retirer un de ces documents ; (...) 6° L'étranger qui ne réside pas régulièrement en France depuis plus de trois mois a méconnu les dispositions de l'article L. 5221-5 du code du travail. ".

3. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Pour l'application de ces stipulations, l'étranger qui invoque la protection due à son droit au respect de sa vie privée et familiale en France doit apporter toute justification permettant d'apprécier la réalité et la stabilité de ses liens personnels et familiaux en France au regard de ceux qu'il a conservés dans son pays d'origine.

4. Il ressort des pièces du dossier que Mme B..., titulaire d'un diplôme d'ingénieure agronome obtenu en Algérie, résidait en France depuis moins de trois ans à la date des arrêtés litigieux. Entrée en France le 8 juin 2021, sous couvert du visa d'entrée et de long séjour qui lui avait été délivré au titre du regroupement familial pour rejoindre son époux en France, le divorce a été prononcé en Algérie sur requête de son ancien époux le 24 novembre 2021. Mme B... a ensuite sollicité un titre de séjour en qualité d'étudiante qui lui a été refusé par un arrêté du 30 mai 2022, et le préfet a assorti ce refus d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours. L'intéressée s'est toutefois maintenue sur le territoire français et a obtenu un master 2 en Nutrition et Sciences des Aliments à l'université de Caen Normandie à l'issue de l'année universitaire 2021-2022. Du fait de la précarité de sa situation, elle a travaillé en qualité d'agent d'entretien d'une maison de retraite du 30 janvier au 30 décembre 2023 dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée qui a pris fin en raison de sa situation administrative et a, en outre, exercé qu'en tant qu'agent à domicile, dans le cadre d'un second contrat. Il est constant qu'elle a utilisé une fausse carte d'identité italienne afin de se faire embaucher. Enfin, si elle fait valoir qu'après son premier divorce en 2017, elle a été contrainte de vivre cloîtrée chez son père du fait de son statut de femme divorcée, il ressort des pièces du dossier qu'elle s'est remariée avec un ressortissant algérien vivant en France en 2019 qu'elle a rejoint sur le territoire français le 8 juin 2021. Compte tenu de la durée et des conditions de séjour en France de l'intéressée, en l'absence d'attaches personnelles et familiales fortes sur le territoire français, et sans remettre en cause les difficultés inhérentes au statut de femme divorcée en Algérie, le préfet d'Ille-et-Vilaine n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de la situation personnelle de Mme B... ni porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en décidant de l'obliger à quitter le territoire sur le fondement des dispositions du 3° et du 6° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, du champ d'application desquelles elle relevait.

5. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que le tribunal administratif de Rennes s'est fondé sur ces motifs pour annuler les arrêtés litigieux. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par Mme B... tant en première instance qu'en appel.

Sur les autres moyens invoqués par Mme B... :

6. En premier lieu, l'obligation de quitter le territoire français vise les dispositions du 3° et du 6° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile sur lesquelles elle se fonde, et rappelle les éléments de la situation personnelle, familiale et du parcours de Mme B... qui font qu'elle relève des hypothèses, visées par ces dispositions, dans lesquelles l'autorité préfectorale peut légalement décider de prendre une mesure d'obligation de quitter le territoire français. La mesure d'éloignement en litige comporte ainsi les considérations de droit et de fait sur lesquelles elle est fondée

7. En deuxième lieu, il ressort des motifs de l'arrêté contesté que le préfet

d'Ille-et-Vilaine a procédé à un examen particulier de sa situation, notamment pour en déduire que la mesure d'éloignement ne portait pas une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale.

8. En troisième lieu, l'obligation de quitter le territoire français n'étant pas annulée par le présent arrêt, Mme B... n'est pas fondée à soutenir que la décision lui refusant un délai de départ volontaire et la décision fixant le pays de destination de la mesure d'éloignement devraient être annulées par voie de conséquence de l'annulation de la mesure d'éloignement.

9. En quatrième lieu, la décision fixant le pays à destination duquel Mme B... est susceptible d'être éloignée d'office comporte les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Elle est ainsi suffisamment motivée.

10. En dernier lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ". L'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose que : " Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950.

11. Sans remettre en cause, ainsi qu'il a été dit au point 4, les difficultés rencontrées et les pressions sociétales subies par les femmes divorcées en Algérie, celles-ci ne peuvent être regardées comme des traitements inhumains et dégradants au sens et pour l'application de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

12. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet d'Ille-et-Vilaine est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a annulé les arrêtés du 19 janvier 2024.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Rennes en date du 29 janvier 2024 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par Mme B... devant le tribunal administratif de Rennes et devant la cour est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Mme A... B....

Une copie en sera transmise, pour information, au préfet d'Ille-et-Vilaine.

Délibéré après l'audience du 11 avril 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Brisson, présidente,

- M. Vergne, président-assesseur,

- Mme Lellouch, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 mai 2024.

La rapporteure,

J. LELLOUCH

La présidente,

C. BRISSON

Le greffier,

R. MAGEAU

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 24NT00241


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 24NT00241
Date de la décision : 06/05/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BRISSON
Rapporteur ?: Mme Judith LELLOUCH
Rapporteur public ?: M. BERTHON
Avocat(s) : BERTHAUT

Origine de la décision
Date de l'import : 12/05/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-05-06;24nt00241 ?
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