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17/11/2023 | FRANCE | N°23NT01344

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 17 novembre 2023, 23NT01344


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du

24 octobre 2022 par lequel le préfet du Finistère a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.

Par un jugement n° 2205771 du 24 mars 2023, le tribunal administratif de Rennes a rejeté la requête de M. A....

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 1

0 mai 2023 et 5 octobre 2023 M. B... A..., représenté par Me Vervenne, demande à la cour :

1°) d'annuler ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du

24 octobre 2022 par lequel le préfet du Finistère a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.

Par un jugement n° 2205771 du 24 mars 2023, le tribunal administratif de Rennes a rejeté la requête de M. A....

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 10 mai 2023 et 5 octobre 2023 M. B... A..., représenté par Me Vervenne, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 24 mars 2023 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 24 octobre 2022 par lequel le préfet du Finistère a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination ;

3 ) d'enjoindre au préfet du Finistère à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour avec autorisation de travailler, dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement sous astreinte de 50 euros par jour de retard, à titre subsidiaire, de procéder à un nouvel examen de sa demande dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement sous la même astreinte et de lui délivrer dans cette attente une autorisation provisoire de séjour avec autorisation de travailler ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à son avocat sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

En ce qui concerne le refus de titre de séjour :

- l'allégation de fraude sur son âge et son état civil fondant la décision litigieuse est entachée d'erreur de fait et de droit ;

- le fait que les premiers juges lui aient opposé l'absence de production du jugement supplétif du 12 juin 2017, estimant un tel document nécessaire à la solution du litige sans le mettre en mesure de produire ce document méconnaît le principe du contradictoire et les stipulations de l'article 6 §1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la durée de conservation des données le concernant dans la base Visabio méconnaît l'article R. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les dispositions des articles 3 et 4 (5°) de la loi n°78-17 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés ; à la date de la décision contestée, ces données ne pouvaient plus être conservées ni utilisées ;

- la décision méconnait les articles L. 811-2, R. 431-10 et R. 431-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle méconnaît l'article 47 du code civil ;

- elle méconnaît l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle méconnaît l'article 21 de l'accord franco-ivoirien de coopération en matière de justice du 24 avril 1961 ;

- elle méconnaît l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :

- cette décision est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant refus de titre de séjour ;

- elle n'est pas motivée ;

En ce qui concerne la fixation du pays de destination :

- cette décision est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dont le préfet n'a pas fait application.

Par un mémoire enregistré le 12 octobre 2023, le préfet du Finistère conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'aucun moyen n'est fondé.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du

14 avril 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Vergne,

- les conclusions de M. Berthon, rapporteur public ;

- et les observations de Me Guilbaud, représentant M. A....

Une note en délibéré, présentée pour M A..., a été enregistrée le 31 octobre 2023.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... A..., ressortissant ivoirien, déclare être né le 7 janvier 2003 à Adjamé (Côte-d'Ivoire) et être entré en France le 23 juin 2018, à l'âge de quinze ans. Il a été pris en charge en tant que mineur étranger isolé. Le procureur de la République de Quimper, après avoir obtenu des éléments de nature à établir que l'intéressé avait engagé en Côte-d'Ivoire des démarches de demande de visa sous une identité le faisant apparaître comme étant majeur, a saisi le juge des enfants du tribunal judiciaire de Quimper le 21 novembre 2018 aux fins de mainlevée des mesures de protection prises antérieurement. Le placement de M. A... à l'aide sociale à l'enfance (ASE) a toutefois été ordonné par ce juge, par un jugement en assistance éducative du 8 février 2019. M. A... s'est inscrit en 2019 en première année de certificat d'aptitude professionnelle (CAP) " Métiers du plâtre et de l'isolation " au centre de formation des apprentis du bâtiment de Quimper et a obtenu ce diplôme en juin 2021. Devenu majeur, il a sollicité, le

12 janvier 2021, auprès de la préfecture du Finistère, la délivrance d'une carte de séjour sur le fondement des dispositions des articles L. 313-11 2° bis et 7°, L. 313-15 et L. 313-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, recodifiés aux articles L. 423-22, L. 423-23, L. 435-3 et L. 422-1 de ce code. Par un arrêté du 24 octobre 2022, le préfet du Finistère a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. M. A... relève appel du jugement du 24 mars 2023 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa requête tendant à l'annulation de ces décisions.

Sur la légalité de l'arrêté du 24 octobre 2022 :

2. D'une part, aux termes de l'article R. 431-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente à l'appui de sa demande : 1° les documents justifiant de son état civil ; 2° les documents justifiant de sa nationalité ; (...) ". L'article L. 811-2 du même code prévoit que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. L'article 47 du code civil précise que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. ". La force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis.

3. D'autre part, il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le jugement produit aurait un caractère frauduleux.

4. Le préfet du Finistère a rejeté la demande de titre de séjour présentée par M. A... au motif principal que la consultation du fichier Visabio prévu à l'article L. 611-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile lui avait permis de constater, en se fondant sur la correspondance des empreintes digitales, que l'intéressé avait précédemment sollicité un visa sous l'identité de M. B... A..., né le 10 décembre 1984 à Williamsville (Côte-d'Ivoire), de sorte qu'il existait un doute sérieux sur l'identité du requérant et que la minorité de celui-ci à son entrée en France et à la date de sa prise en charge par l'aide sociale à l'enfance n'était pas établie.

5. M. A... produit la copie d'un extrait d'acte de naissance délivré par les autorités ivoiriennes le 26 avril 2018, faisant référence à un jugement supplétif n° 4672 du 12 juin 2017 du tribunal d'Abidjan-Plateau, la copie d'un certificat de nationalité daté du 16 avril 2019, ainsi qu'un passeport biométrique qui lui a été délivré le 12 décembre 2019. Ces documents comportent tous la mention d'une date de naissance de l'intéressé le 7 janvier 2003 à Adjamé (Côte-d'Ivoire), et, s'agissant de l'extrait d'acte de naissance, dont il ressort des pièces du dossier qu'il a été examiné en septembre 2018 à la demande du Parquet de Quimper par le service de la direction zonale de la police aux frontières, il n'est pas fait état d'anomalies qui auraient attiré l'attention de ce service et déterminé celui-ci à émettre un avis négatif sur son authenticité. Le préfet fait valoir, il est vrai, que la consultation du fichier Visabio lui a permis de constater, en se fondant sur la correspondance des empreintes digitales, que M. A... a sollicité et obtenu un visa de court de séjour le 28 mars 2018, valable du 4 au 30 avril 2018, auprès des autorités françaises en Côte d'Ivoire, en se déclarant né le 10 décembre 1984, donc âgé de 33 ans. Mais l'apparence physique du demandeur et bénéficiaire du visa, telle que révélée par sa photo sur la fiche d'identification Visabio produite par l'administration, est très différente, sans confusion possible, de celle du requérant sur toutes les photographies figurant sur les documents qu'il produit, notamment ses récépissés de demande de titre de séjour, et correspond à celle d'un homme manifestement plus âgé, plausiblement né en 1984, et non à un jeune homme qui serait né en 2003, 19 ans plus tard. La portée de cette demande de visa pour établir l'âge et l'identité réels du requérant s'en trouve donc très affaiblie et il n'est pas établi que le requérant serait entré en France sous couvert de ce visa comme le soutient l'administration, et non par un parcours migratoire passant par le Mali, l'Algérie, la Libye et la traversée de la Méditerranée en passant par l'Italie comme il l'a soutenu dans son récit d'exil. De même, la minorité du requérant n'a pas été considérée comme exclue ou non vraisemblable, ni par le service d'accueil des mineurs isolés qui l'a recueilli et accompagné, ni par le juge des enfants qui l'a rencontré à l'audience du

7 février 2019. Au contraire, l'état de minorité du requérant a été constaté dans un jugement du 8 février 2019, qui rappelle la position en ce sens du service départemental de l'aide sociale à l'enfance, mentionnant néanmoins que, si les radiographies osseuses réalisées pouvaient faire conclure à la minorité de l'intéressé, l'examen dentaire concluait à sa majorité, mais que le doute devait lui profiter. Enfin, si l'authenticité ou la valeur probante de l'extrait d'acte de naissance produit par M. A... pour justifier de son âge et de son identité, en date du 26 avril 2018, est contestée, ce document mentionne qu'il a été établi au vu d'un jugement supplétif tenant lieu d'acte de naissance n° 4672 rendu le 12 juin 2017 par le tribunal d'Abidjan-Plateau, qui est produit en appel, et la production tardive de ce document ne permet pas d'en écarter la validité. Cette décision juridictionnelle est accompagnée d'un extrait du registre de transcription du

24 avril 2018 de la commune d'Adjamé. L'administration n'établit pas le caractère frauduleux de ces documents, dont les mentions correspondent à celles de l'ensemble des autres documents produits par le requérant. Dès lors, l'état civil de celui-ci doit être regardé comme établi. Par suite, le refus de titre en litige est entaché d'une erreur de fait s'agissant du caractère établi de l'identité et de l'âge du requérant.

5. En second lieu, il ne résulte pas de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision en ne se fondant que sur les autres motifs de refus d'admission au séjour opposés à

M. A....

6. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens soulevés, que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation du refus de titre de séjour du 24 octobre 2022 ainsi que, par voie de conséquence, de la décision portant obligation de quitter le territoire français et de celle fixant le pays de destination.

Sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte :

7. Le présent arrêt implique seulement, eu égard au motif qui le fonde, que le préfet du Finistère réexamine la demande d'admission au séjour de M. A... et le munisse dans l'attente d'une autorisation provisoire de séjour et de travail. Il y a lieu de lui enjoindre d'y procéder dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

8. M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Ainsi, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État le versement de la somme de 1 200 euros à Me Vervenne, avocat de M. A..., dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2205771 du 24 mars 2023 du tribunal administratif de Rennes et l'arrêté du 25 février 2022 pris à l'encontre de M. A... sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet du Finistère de réexaminer la demande d'admission au séjour de M. A..., dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, et, dans l'attente de ce réexamen, de munir l'intéressé d'une autorisation provisoire de séjour et de travail.

Article 3 : L'État versera à Me Vervenne une somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet du Finistère.

Délibéré après l'audience du 19 octobre 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Brisson, présidente,

- M. Vergne, président-assesseur,

- Mme Lellouch, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 novembre 2023.

Le rapporteur,

G.-V. VERGNE

La présidente,

C. BRISSON

La greffière,

A. MARTIN

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, et à tous mandataires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23NT01344


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT01344
Date de la décision : 17/11/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BRISSON
Rapporteur ?: M. Georges-Vincent VERGNE
Rapporteur public ?: M. BERTHON
Avocat(s) : VERVENNE

Origine de la décision
Date de l'import : 22/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2023-11-17;23nt01344 ?
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