Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 20 décembre 2022 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert vers la Hongrie, responsable de sa demande d'asile.
Par un jugement n° 2300701 du 27 janvier 2023, la magistrate désignée du tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de M. B....
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 29 juin 2023, M. A... B..., représenté par Me Arnal, demande à la cour :
1°) d'ordonner, sur le fondement de l'article R. 811-17 du code de justice administrative, le sursis à exécution du jugement n° 2300701 du 27 janvier 2023 par lequel la magistrate désignée du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté du 20 décembre 2022 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert vers la Hongrie, responsable de sa demande d'asile ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat (préfecture de Maine-et-Loire) la somme de 1 500 euros en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Il soutient que les conditions posées par l'article R. 811-17 du code de justice administrative sont remplies.
L'exécution du jugement aurait des conséquences difficilement réparables car la décision de transfert vers la Hongrie peut à tout moment être exécutée d'office et il est d'ailleurs convoqué pour un vol devant avoir lieu le 11 juillet 2023 alors qu'il est fort probable que sa demande d'asile ne soit pas régulièrement examinée en Hongrie et qu'il soit expulsé, avec un risque élevé de refoulement vers son pays d'origine.
Il développe des moyens sérieux de nature à douter de la légalité de l'arrêté du préfet de Maine-et-Loire du 20 décembre 2022 décidant son transfert aux autorités hongroises : - cette décision méconnaît les dispositions du paragraphe 2 de l'article 3 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, moyen auquel le jugement attaqué n'a pas répondu, compte tenu de la situation des demandeurs d'asile renvoyés vers la Hongrie, - elle méconnaît également l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, - elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013.
La requête de M. B... a été communiquée au préfet de Maine-et-Loire, qui n'a pas présenté de mémoire en défense.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 3 juillet 2023.
Vu :
- les autres pièces du dossier ;
- la requête n° 23NT00964 par laquelle M. A... B... a demandé l'annulation du jugement de la magistrate désignée du tribunal administratif de Nantes n° 2300701 du 27 janvier 2023.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. En application du dernier alinéa de l'article R. 711-2 du code de justice administrative, par une décision du 3 juillet 2023 le délai d'avertissement a été réduit à deux jours, en raison de l'urgence.
Ont été entendus au cours de l'audience publique du 7 juillet 2023 à 10 H :
- le rapport de M. Lainé, président de chambre ;
- et les observations de Me Perrot, substituant Me Arnal, représentant M. B....
En application du deuxième alinéa de l'article R. 613-2 du code de justice administrative, la clôture d'instruction est intervenue après les observations orales présentées à l'audience.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B..., ressortissant azerbaïdjanais né le 21 octobre 1996, est, selon ses déclarations, entré en France le 16 octobre 2022 et a présenté une demande d'asile à la préfecture de la Loire-Atlantique le 24 octobre suivant. La consultation du fichier Visabio a fait apparaître qu'il se trouvait en possession d'un visa, périmé depuis moins de six mois, délivré par les autorités hongroises. Ces dernières, saisies le 9 novembre, ont donné leur accord explicite à la prise en charge de l'intéressé le 14 décembre. Par un arrêté du 20 décembre 2022, notifié le 3 janvier 2023, le préfet de Maine-et-Loire a décidé le transfert de M. B... en Hongrie, en application du premier alinéa du paragraphe 4 de l'article 12 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013. Par un jugement du 27 janvier 2023, la magistrate désignée du tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande d'annulation de cet arrêté. M. B..., qui a par ailleurs sollicité l'annulation de ce jugement, demande à la cour, par la présente requête, de surseoir à son exécution.
Sur les conclusions à fin de sursis à exécution :
2. Aux termes du deuxième alinéa de l'article R. 222-25 du code de justice administrative : " Par dérogation à l'alinéa précédent, (...) le président de chambre statue en audience publique et sans conclusions du rapporteur public sur les demandes de sursis à exécution mentionnées aux articles R. 811-15 à R. 811-17. ". Par ailleurs, aux termes de l'article R. 811-17 du même code : " Dans les autres cas, le sursis peut être ordonné à la demande du requérant si l'exécution de la décision de première instance attaquée risque d'entraîner des conséquences difficilement réparables et si les moyens énoncés dans la requête paraissent sérieux en l'état de l'instruction. ".
3. Aux termes du 2 de l'article 3 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride : " (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. ". Par ailleurs, aux termes de l'article L. 572-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La procédure de transfert vers l'Etat responsable de l'examen de la demande d'asile ne peut être engagée dans le cas de défaillances systémiques dans l'Etat considéré mentionné au 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013. ".
4. Compte tenu des modalités particulières selon lesquelles le législateur a défini les modalités de contestation d'une décision de transfert, qui excluent notamment la possibilité d'en demander la suspension au juge des référés, il est loisible à un étranger demandeur d'asile ayant fait l'objet d'une telle décision de demander au juge d'appel le sursis à l'exécution d'un jugement rejetant ses conclusions tendant à son annulation.
5. D'une part, l'exécution du jugement du 27 janvier 2023 rejetant la demande d'annulation de la décision de transfert de M. B... en Hongrie, qui met fin au caractère suspensif du recours devant le magistrat désigné du tribunal administratif et rend ainsi possible la mise en œuvre à tout moment, y compris d'office, de la décision de transfert, est susceptible d'entraîner pour le requérant des conséquences difficilement réparables, notamment quant au respect des droits fondamentaux et garanties qu'il tient des règles du droit européen de l'asile.
6. D'autre part, plusieurs éléments importants et convergents caractérisent en Hongrie l'existence pour les demandeurs d'asile, depuis plusieurs années, et la persistance de pratiques et de règlementations tendant à une privation des garanties de procédure et des conditions minimales d'accueil dont ils ont en principe le droit de bénéficier, entraînant souvent, compte tenu des obstacles irréguliers qui leur sont opposés, la privation de fait de la possibilité même de présenter leur demande de protection internationale. Ainsi, saisie par la Commission européenne, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), dans un arrêt C-808/18 du 17 décembre 2020 rendu en grande chambre, a constaté que " La Hongrie a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 5, de l'article 6, paragraphe 1, de l'article 12, paragraphe 1, et de l'article 13, paragraphe 1, de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, de l'article 6, de l'article 24, paragraphe 3, de l'article 43 et de l'article 46, paragraphe 5, de la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale, et des articles 8, 9 et 11 de la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale : - en prévoyant que les demandes de protection internationale émanant de ressortissants de pays tiers ou d'apatrides qui, arrivant de Serbie, souhaitent accéder, sur son territoire, à la procédure de protection internationale, ne peuvent être présentées que dans les zones de transit de Röszke (Hongrie) et de Tompa (Hongrie), tout en adoptant une pratique administrative constante et généralisée limitant drastiquement le nombre de demandeurs autorisés à pénétrer quotidiennement dans ces zones de transit ; - en instaurant un système de rétention généralisée des demandeurs de protection internationale dans les zones de transit de Röszke et de Tompa ", au besoin en y reconduisant les demandeurs de protection sans respecter les garanties d'une procédure de retour, " (...) - en permettant l'éloignement de tous les ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier sur son territoire, à l'exception de ceux d'entre eux qui sont soupçonnés d'avoir commis une infraction, sans respecter les procédures et garanties prévues à l'article 5, à l'article 6, paragraphe 1, à l'article 12, paragraphe 1, et à l'article 13, paragraphe 1, de la directive 2008/115 ; - en subordonnant à des conditions contraires au droit de l'Union l'exercice, par les demandeurs de protection internationale (...) de leur droit de rester sur son territoire. ". A la suite de cet arrêt, l'Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures (Frontex) a décidé, le 27 janvier 2021, de suspendre ses opérations de protection des frontières extérieures de l'Union européenne (UE) en Hongrie, afin de ne pas les compromettre avec des actions qui ne seraient pas conformes au droit de l'Union européenne.
7. Par ailleurs, dans un arrêt C-821/19 du 16 novembre 2021, rendu également en grande chambre, la Cour de justice de l'Union européenne a constaté que la Hongrie avait commis les mêmes manquements que ceux déjà constatés dans l'arrêt précité du 17 décembre 2020. Elle a en outre jugé que " la Hongrie a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 33, paragraphe 2, de la directive 2013/32, en permettant de rejeter comme étant irrecevable une demande de protection internationale au motif que le demandeur est arrivé sur son territoire par un Etat dans lequel il n'est pas exposé à des persécutions ou à un risque d'atteintes graves, ou dans lequel un degré de protection adéquat est assuré ". Le 12 novembre 2021, la Commission européenne a saisi la Cour de justice de l'Union européenne afin d'ordonner à la Hongrie le paiement des sanctions pécuniaires pour non-respect de l'arrêt du 17 décembre 2020, notamment en ne prenant pas de mesures pour garantir un accès effectif à la procédure d'asile. Dans une lettre du 10 juin 2022 adressée au ministre de l'intérieur hongrois, la Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe mentionne des renvois quotidiens vers la Serbie par la police aux frontières hongroise de personnes venant de pays déchirés par la guerre comme la Syrie, l'Afghanistan ou l'Irak, en soulignant que " Les représentants du gouvernement font systématiquement la distinction entre les Ukrainiens, qualifiés de " vrais réfugiés ", et les personnes fuyant les atrocités et la guerre qui sévissent dans d'autres pays, qualifiées de " migrants économiques ". Cette distinction est problématique et contraire au principe fondamental selon lequel la raison d'être des droits humains est de protéger toutes les personnes de la même manière, quelles que soient leur origine nationale ou ethnique, leur couleur ou leurs convictions ". Elle déplore également la situation des ressortissants de pays tiers ou des apatrides qui n'ont pas la possibilité de demander l'asile ou une autre forme de protection internationale en Hongrie. De même, dans son intervention du 17 mars 2023 pour une affaire pendante devant la Cour européenne des droits de l'homme, le Haut-Commissariat aux Réfugiés des Nations Unies précise à son point 2.3.2 que " les personnes arrivant à l'aéroport de Budapest et exprimant leur souhait de solliciter l'asile sont soumis à un renvoi automatique vers la Serbie " et conclut que " la législation et la pratique actuelles en Hongrie aboutissent à l'expulsion automatique d'individus ayant potentiellement besoin d'une protection internationale en l'absence de toute évaluation du risque de refoulement direct ou indirect. En outre, elle refuse sommairement l'accès à une procédure d'asile équitable et efficace, comme le démontrent les données quantitatives disponibles. Enfin, elle ne fournit pas aux demandeurs d'asile faisant l'objet d'une mesure d'éloignement un recours juridique efficace. ".
8. La perpétuation des pratiques et règlementations hongroises contraires aux droits et garanties des demandeurs d'asile issus du droit de l'Union européenne est encore confirmée par un arrêt de la CJUE du 22 juin 2023 rendu dans l'affaire C-823/21 Commission c/ Hongrie, qui constate en son point 59 que " le fait de contraindre des ressortissants de pays tiers ou des apatrides, qui séjournent en Hongrie ou qui se présentent aux frontières de cet État membre, à se déplacer vers l'ambassade dudit État membre à Belgrade ou à Kiev afin de pouvoir, par la suite, retourner en Hongrie pour y présenter une demande de protection internationale constitue une atteinte manifestement disproportionnée au droit de ces personnes de présenter une demande de protection internationale dès leur arrivée à une frontière hongroise, tel qu'il est consacré à l'article 6 de la directive 2013/32, ainsi qu'à leur droit de pouvoir, en principe, rester sur le territoire de cet État membre au cours de l'examen de leur demande, conformément à l'article 9, paragraphe 1, de cette directive. " et conclut qu'ainsi " En subordonnant la possibilité, pour certains ressortissants de pays tiers ou apatrides se trouvant sur le territoire de la Hongrie ou aux frontières de cet État membre, de présenter une demande de protection internationale au dépôt préalable d'une déclaration d'intention auprès d'une ambassade hongroise située dans un pays tiers et à l'octroi d'un document de voyage leur permettant d'entrer sur le territoire hongrois, la Hongrie a manqué aux obligations qui lui incombent (...) ".
9. Dans ces conditions, il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs d'asile. Par suite, présente un caractère sérieux paraissant, en l'état de l'instruction, de nature à justifier l'annulation du jugement attaqué, le moyen tiré de ce que, en décidant le transfert de M. B... aux autorités hongroises, le préfet de Maine-et-Loire a méconnu les dispositions, citées au point 3, du deuxième alinéa du paragraphe 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.
10. Dès lors il y a lieu, par application des dispositions de l'article R. 811-17 du code de justice administrative, d'ordonner le sursis à exécution du jugement du 27 janvier 2023 par lequel la magistrate désignée du tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de M. B... tendant à l'annulation de l'arrêté du 20 décembre 2022 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert vers la Hongrie.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
11. M. B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Arnal, avocate de M. B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'Etat (préfecture de Maine-et-Loire) le versement à Me Arnal de la somme de 1 500 euros.
DECIDE :
Article 1er : Jusqu'à ce qu'il ait été statué sur l'appel de M. B... contre le jugement n° 2300701 du 27 janvier 2023 de la magistrate désignée du tribunal administratif de Nantes, il sera sursis à l'exécution de ce jugement.
Article 2 : L'Etat (préfecture de Maine-et-Loire) versera à Me Arnal une somme de 1 500 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Arnal renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. A... B..., à Me Arnal et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Une copie en sera transmise pour information au préfet de Maine-et-Loire.
Fait à Nantes, le 7 juillet 2023.
Le président de la 4ème chambre
L. LAINÉ
Le greffier,
C. WOLF
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NT01942