La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

29/11/2022 | FRANCE | N°21NT00722

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 6ème chambre, 29 novembre 2022, 21NT00722


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner l'Etat, en sa qualité d'employeur, à lui verser les sommes de 15 000 et 12 000 euros augmentées des intérêts légaux capitalisés, en réparation du préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence qui résultent de la carence fautive de l'Etat (ministère de la défense) à l'avoir exposé pendant de nombreuses années à l'inhalation de poussières d'amiante sans aucun moyen de protection efficace, et de mettre à la cha

rge de l'Etat une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner l'Etat, en sa qualité d'employeur, à lui verser les sommes de 15 000 et 12 000 euros augmentées des intérêts légaux capitalisés, en réparation du préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence qui résultent de la carence fautive de l'Etat (ministère de la défense) à l'avoir exposé pendant de nombreuses années à l'inhalation de poussières d'amiante sans aucun moyen de protection efficace, et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1803999 du 7 janvier 2021, le tribunal administratif de Rennes a condamné l'Etat à lui verser la somme de 8 000 euros en réparation de son seul préjudice moral, a mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 800 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus des conclusions de la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 12 mars 2021 et 11 mars 2022, la ministre des armées demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 7 janvier 2021, en tant qu'il a prononcé des condamnations à son encontre ;

2°) de rejeter la demande présentée devant le tribunal administratif par M. C....

Elle soutient que :

- il y a lieu, tout d'abord, d'opposer à la créance de M. C... sur l'Etat l'exception de prescription quadriennale ; s'agissant du préjudice d'anxiété lié à l'exposition aux poussières d'amiante, le juge judiciaire et le juge administratif estiment que la date de naissance de ce préjudice correspond nécessairement au moment où la personne a concrètement et légitimement pris conscience du risque qu'elle courait de déclarer, un jour, une pathologie liée à l'amiante ; ces juges estiment que lorsque la victime est éligible à un régime de retraite anticipé au titre de son exposition à l'amiante, lui permettant d'obtenir l'allocation spécifique de cessation anticipée pour certains ouvriers de l'Etat et agents civils du ministère de la défense ou l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante, alors la prise de conscience du risque de tomber malade est considérée comme objectivement effective au plus tard à la date de publication au JO de l'arrêté ministériel ayant inscrit l'établissement dans lequel travaillait la personne sur la liste de ceux permettant d'être éligible ; or les anciens militaires de la marine nationale ne sont pas éligibles au régime de préretraite amiante ; s'il n'a pas été jugé nécessaire de mettre en place un régime de préretraite pour ces agents, c'est que leur exposition à l'amiante n'est pas considérée comme un risque majeur inhérent à leur activité professionnelle ; par conséquent, la responsabilité de l'Etat ne saurait être engagée à leur égard dans les mêmes conditions que les anciens ouvriers de l'Etat éligibles aux allocations précitées ; c'est à tort que le tribunal a estimé que le point de départ de la prescription devait être fixé au 29 octobre 2012, date d'émission de l'attestation d'exposition à l'amiante délivrée à

M. C... ; l'usage de cette substance a été progressivement restreint par la réglementation dès 1977 et ce, jusqu'à son interdiction en 1996 ; et dès 1997, ainsi que le relève M. C... lui-même, les établissements utilisant de l'amiante ont mis en place de nouvelles procédures pour assurer la protection des agents ; à compter de cette date, l'intéressé ne pouvait ignorer que les bâtiments sur lesquels il servait contenaient des matériaux amiantés ;

- la seule attestation délivrée par la direction du personnel militaire de la marine nationale (DPMM), qui s'inscrit dans le cadre d'un suivi médical post-professionnel, ne saurait valoir reconnaissance de l'exposition à l'inhalation de poussières d'amiante ou de contact avec des matériaux renfermant cette substance ; elle ne suffit pas à établir que l'Etat devait prendre des mesures de protection et de prévention de ses agents, d'autant qu'elle diffère de l'attestation prévue à l'article R. 4412-94 du code du travail, qu'elle n'est pas établie conjointement avec le médecin de prévention et qu'elle se borne à indiquer que l'intéressé a embarqué sur des navires renfermant de l'amiante, ce qui ne signifie pas qu'il a été exposé à l'émission de fibres d'amiante ; on ne saurait déduire de la délivrance de cette attestation, mesure à vocation sociale et à caractère purement gracieux, une faute de l'Etat ; la faute de l'Etat n'est dès lors pas démontrée et sa responsabilité ne saurait ainsi être engagée en l'absence de carence fautive dans la mise en œuvre de mesure de protection et de prévention de ses agents ; la seule circonstance que l'agent ait embarqué à bord de navires contenant de l'amiante ne saurait donc suffire à établir la responsabilité de l'administration ;

- l'exposition effective de M. C... aux poussières d'amiante n'est pas établie par les pièces du dossier ; l'étude publiée dans la revue Pneumologie ne concerne pas seulement la marine française ; les témoignages produits par le requérant n'ont aucune valeur probante ; seuls les agents dont l'exposition est avérée dans le cadre de leurs fonctions bénéficient, outre du suivi médical post-professionnel, d'un suivi médical professionnel, ce qui n'est pas le cas de l'intéressé dont l'activité ne nécessitait aucune mesure de protection et de prévention ; il était électrotechnicien, fonction qui ne saurait l'avoir exposé aux poussières d'amiante ; ces fonctions consistaient à exploiter et entretenir les réseaux de production et de distribution électrique nécessaires à la propulsion et à la navigation du bateau mais aussi à la vie courante ;

- seule l'exposition avérée à l'inhalation de poussières d'amiante déconfinées, et non le seul risque d'exposition personnelle à l'amiante, peut être à l'origine d'un préjudice d'anxiété ; le préjudice doit être en lien direct et certain avec la faute ; M. C... n'a sollicité la délivrance de l'attestation en cause qu'en 2012 alors que sa dernière affectation date de 1998, soit 4 années plus tard, et n'a jamais demandé à bénéficier d'un suivi post-professionnel préventif ; les termes généraux et non circonstanciés du certificat médical versé au dossier par l'intéressé n'établissent pas qu'il aurait bénéficié d'un suivi médical en lien avec son angoisse de développer une maladie liée à une exposition aux poussières d'amiante ;

- l'intéressé ne produit aucune pièce permettant de justifier un bouleversement dans ses conditions d'existence.

Par un mémoire en défense, enregistré le 26 mai 2021, M. C..., représenté par Me Quinquis, conclut au rejet de la requête, et, par la voie de l'appel incident, à ce que la somme de 8 000 euros allouée par le tribunal administratif de Rennes soit portée à la somme totale de 27 000 euros, assortie des intérêts à compter de la saisine de la commission des recours des militaires et de leur capitalisation, enfin, à ce que la somme de 3 500 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que la prescription quadriennale doit être écartée et que les autres moyens ne sont pas fondés.

Par un mémoire, enregistré le 8 novembre 2022, la ministre des armées demande à la cour de constater son désistement dans la présente instance.

Par un mémoire enregistré le 8 novembre 2022 M. C... indique maintenir son appel incident et l'ensemble de ses conclusions.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;

- le décret n° 77-949 du 17 août 1977 modifié ;

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. B... ;

- et les conclusions de Mme Malingue, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. C... a exercé les fonctions d'électrotechnicien sur des bâtiments de la Marine nationale à plusieurs reprises entre les années 1982 et 1998. En décembre 2017, il a sollicité, en vain, de la ministre des armées la réparation du préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence résultant de son exposition aux poussières d'amiante sans aucun moyen de protection efficace fourni par l'employeur. Par un jugement du 7 janvier 2021, le tribunal administratif de Rennes a condamné l'Etat à verser à M. C... la somme de 8 000 euros, tous intérêts confondus, en réparation de son préjudice moral et a rejeté le surplus de ses conclusions. Le ministre des armées relève appel de ce jugement.

Sur les conclusions de la ministre des armées tendant à ce qu'il lui soit donné acte de son désistement :

2. Par un mémoire enregistré le 8 novembre 2022, le ministre des armées a indiqué à la cour qu'il entendait se désister purement et simplement de sa requête d'appel tendant à l'annulation du jugement n° 1803999 du 7 janvier 2021 par lequel le tribunal administratif de Rennes l'a condamnée à indemniser M. C... à hauteur de 8 000 euros. Ce désistement est pur et simple, rien ne s'oppose à ce qu'il en soit donné acte.

Sur les conclusions d'appel incident de M. C... :

En ce qui concerne le cadre juridique général :

3. La personne qui recherche la responsabilité d'une personne publique en sa qualité d'employeur et qui fait état d'éléments personnels et circonstanciés de nature à établir une exposition effective aux poussières d'amiante susceptible de l'exposer à un risque élevé de développer une pathologie grave et de voir, par là même, son espérance de vie diminuée, peut obtenir réparation du préjudice moral tenant à l'anxiété de voir ce risque se réaliser. Dès lors qu'elle établit que l'éventualité de la réalisation de ce risque est suffisamment élevée et que ses effets sont suffisamment graves, la personne a droit à l'indemnisation de ce préjudice, sans avoir à apporter la preuve de manifestations de troubles psychologiques engendrés par la conscience de ce risque élevé de développer une pathologie grave.

4. Doivent ainsi être regardées comme faisant état d'éléments personnels et circonstanciés de nature à établir qu'elles ont été exposées à un risque élevé de pathologie grave et de diminution de leur espérance de vie, dont la conscience suffit à justifier l'existence d'un préjudice d'anxiété indemnisable, les personnes qui justifient avoir été, dans l'exercice de leurs fonctions, conduites à intervenir sur des matériaux contenant de l'amiante et, par suite, directement exposées à respirer des quantités importantes de poussières issues de ces matériaux. Doivent également être regardés comme justifiant d'un préjudice d'anxiété indemnisable, eu égard à la spécificité de leur situation, les marins qui, sans intervenir directement sur des matériaux amiantés, établissent avoir, pendant une durée significativement longue, exercé leurs fonctions et vécu, de nuit comme de jour, dans un espace clos et confiné comportant des matériaux composés d'amiante, sans pouvoir, en raison de l'état de ces matériaux et des conditions de ventilation des locaux, échapper au risque de respirer une quantité importante de poussières d'amiante.

5. Le montant de l'indemnisation du préjudice d'anxiété prend notamment en compte, parmi les autres éléments y concourant, la nature des fonctions exercées par l'intéressé et la durée de son exposition aux poussières d'amiante.

En ce qui concerne la responsabilité de l'Etat en qualité d'employeur :

6. La responsabilité de l'administration, notamment en sa qualité d'employeur, peut être engagée à raison de la faute qu'elle a commise, pour autant qu'il en résulte un préjudice direct et certain. A le caractère d'une faute, le manquement à l'obligation de sécurité à laquelle l'employeur est tenu envers son agent, lorsqu'il a ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé ce dernier et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver. Il n'est pas contesté que la nocivité de l'amiante et la gravité des maladies dues à son exposition étaient pour partie déjà connues avant 1977 et que le décret susvisé du 17 août 1977 relatif aux mesures d'hygiène particulières applicables dans les établissements où le personnel est exposé à l'action des poussières d'amiante, a imposé des mesures de protection de nature à réduire l'exposition des agents aux poussières d'amiante ainsi que des contrôles de la concentration en fibres d'amiante dans l'atmosphère des lieux de travail.

7. Il résulte de l'instruction que, sur les navires de la marine nationale construits jusqu'à la fin des années quatre-vingt, l'amiante était utilisée de façon courante comme isolant pour calorifuger tant les tuyauteries que certaines parois et certains équipements de bord, de même que les réacteurs et moteurs des avions de l'aéronavale. Ces matériaux d'amiante avaient tendance à se déliter du fait des contraintes physiques imposées à ces matériels, de la chaleur, du vieillissement du calorifugeage, ou de travaux d'entretien en mer ou au bassin. En conséquence, les marins servant sur les bâtiments de la marine nationale, qui ont vécu et travaillé dans un espace souvent confiné, sont susceptibles d'avoir été exposés à l'inhalation de poussières d'amiante.

8. Si la ministre des armées soutient que la responsabilité pour faute de l'Etat ne saurait être engagée, il y a lieu tout d'abord de constater que l'Etat n'apporte pas davantage en appel qu'en première instance la preuve que des mesures de protection et de prévention aient été effectivement mises en œuvre et reçu concrètement exécution au sein de la marine nationale durant les périodes d'affectation de M. C... à bord de divers frégates et sous-marins entre 1982 et 1998. A cet égard, la ministre se borne à se référer à la publication de dispositions visant à assurer notamment la protection individuelle et collective des marins contre les poussières d'amiante à compter de 1996. La ministre ne conteste pas notamment que les marins, présents de manière permanente et confinée sur les bâtiments, ne disposaient d'aucune protection spécifique pour l'exécution des tâches qui leur étaient confiées.

9. La ministre des armées soutient, pour écarter tout engagement de la responsabilité de l'Etat, que l'attestation délivrée le 29 octobre 2012 par la direction du personnel militaire de la marine nationale (DPMM) à M. C... selon laquelle " pendant ses affectations, l'intéressé a[vait] été exposé aux risques présentés par l'inhalation de poussières d'amiante " ne saurait valoir reconnaissance de l'exposition de cet agent à l'inhalation de poussières d'amiante ou de contact avec des matériaux renfermant cette substance dès lors que cette attestation, présentée comme une mesure à vocation sociale et à caractère purement gracieux, ne s'inscrit que dans le cadre d'un suivi médical post-professionnel, qu'elle diffère de l'attestation prévue à l'article R. 4412-94 du code du travail et n'est pas établie conjointement avec le médecin de prévention. Toutefois, ces différentes circonstances sont sans incidence sur le constat rapporté par l'administration militaire dans cette même attestation tenant au fait que M. C..., premier maître, avait, du 24 août 1982 au 13 décembre 1984, du 17 juin 1986 au 16 juin 1990, du 8 mai 1992 au 30 août 1993, du 2 janvier 1995 au 18 mars 1995, du 6 mai 1996 au 22 février 1998, du 14 septembre 1998 au 20 décembre 1998 été affecté ou mis pour emploi sur des sous-marins et frégates - " Tonnant", " Triomphant", " Latouche Treville " " Amethyste " et " Drogou " - " renfermant des matériaux à base d'amiante, notamment sous forme de calorifugeages ", matériaux dont il a été rappelé plus haut qu'ils avaient tendance à se déliter. Cet élément objectif indiqué dans cette attestation qui récapitule précisément les différentes affectations de M. C..., contrairement à ce qu'avance la ministre, permet de caractériser suffisamment l'existence du risque pour ce marin embarqué en contact quasi-permanent avec l'amiante sur son lieu de travail et dans tous les moments de sa vie quotidienne, notamment lors des repos et repas, d'avoir été exposé à l'inhalation de poussières d'amiante, dont la dispersion était d'ailleurs facilitée par les systèmes de ventilation en fonction et contre lequel, ainsi que dit au point précédent, aucune mesure de protection particulière n'a effectivement été mise en œuvre.

10. Il résulte de ce qui a été dit aux points 8 et 9 que l'Etat employeur doit être regardé comme ayant fait preuve d'une carence fautive dans la mise en œuvre effective, obligation qui lui incombait, des mesures de protection contre les poussières d'amiante auxquelles M. C... a pu être exposé. Cette carence est de nature à engager sa responsabilité.

Sur l'étendue des préjudices subis par M. C... :

11. M. C... a droit à l'indemnisation des préjudices qu'il subit, qui sont certains et résultent directement de la carence fautive de l'Etat.

En ce qui concerne le préjudice moral :

12. La personne qui recherche la responsabilité d'une personne publique en sa qualité d'employeur et qui fait état d'éléments personnels et circonstanciés de nature à établir une exposition effective aux poussières d'amiante susceptible de l'exposer à un risque élevé de développer une pathologie grave et de voir, par là même, son espérance de vie diminuée, peut obtenir réparation du préjudice moral tenant à l'anxiété de voir ce risque se réaliser. Dès lors qu'elle établit que l'éventualité de la réalisation de ce risque est suffisamment élevée et que ses effets sont suffisamment graves, la personne a droit à l'indemnisation de ce préjudice, sans avoir à apporter la preuve de manifestations de troubles psychologiques engendrés par la conscience de ce risque élevé de développer une pathologie grave.

13. Doivent ainsi être regardés comme faisant état d'éléments personnels et circonstanciés de nature à établir qu'ils ont été exposées à un risque élevé de pathologie grave et de diminution de leur espérance de vie, les marins qui, sans intervenir directement sur des matériaux amiantés, établissent avoir, pendant une durée significativement longue, exercé leurs fonctions et vécu, de nuit comme de jour, dans un espace clos et confiné comportant des matériaux composés d'amiante, sans pouvoir, en raison de l'état de ces matériaux et des conditions de ventilation des locaux, échapper au risque de respirer une quantité importante de poussières d'amiante.

14. Pour contester la somme de 8 000 euros mise à la charge de l'Etat en réparation du préjudice moral subi par M. C..., la ministre des armées soutient que ce dernier n'a jamais demandé à bénéficier d'un suivi post-professionnel préventif et que cet agent n'a sollicité la délivrance de l'attestation dont il s'est prévalu, évoquée au point 9, qu'en 2017 alors que sa dernière affectation date de 1998. Toutefois, ces circonstances sont sans incidence sur l'existence du préjudice d'anxiété que cet agent subit. En effet, d'une part, si M. C... indique qu'il n'a pas développé de pathologie asbestosique, il est désormais admis, sur le plan scientifique, que l'inhalation de poussières d'amiante, sur une durée longue, peut, à plus ou moins long terme, et parfois vingt à trente ans après l'exposition, être la cause de cancers bronchiques mortels, les études versées au débat montrant que les poussières d'amiante inhalées sont définitivement absorbées par les poumons sans que l'organisme puisse les éliminer. D'autre part, il résulte de l'instruction, en particulier des précisions données dans ses écritures, qui donnent une description des conditions de vie et de travail de M. C... pendant les années où, en sa qualité d'électrotechnicien, il a été affecté sur différents bâtiments de la marine nationale, que ce marin doit être regardé comme ayant effectivement été exposé à l'inhalation de poussières d'amiante. Il est ainsi, tout d'abord, rappelé qu'il était notamment amené à démonter et manipuler le calorifugeage, fabriquer et remplacer des joints à partir de plaques " Klingerit " qui contenaient de l'amiante. Il est ensuite rapporté que ces travaux se faisaient sans aucune protection individuelle (masque) ou collective. Enfin, il est indiqué que dans les mers froides, il se réchauffait, comme les autres marins, sur les tuyaux calorifugés des échappements des moteurs diesels sans aucune protection particulière. Aucune pièce apportée par l'administration ne permet de remettre sérieusement en cause ces éléments. Enfin, si la ministre indique que la marine nationale n'utilisait pas de peintures amiantées, elle ne conteste pas que les marins, présents de manière permanente et confinée sur les bâtiments, ne disposaient d'aucune protection spécifique pour l'exécution des travaux qu'ils devaient réaliser ou qui étaient réalisés dans les coursives, notamment, par leurs collègues ou par d'autres prestataires. Par suite, c'est à juste titre que les premiers juges ont estimé que M. C... justifiait de l'existence d'un préjudice en lien direct et certain avec son exposition aux poussières d'amiante sans protection tenant à l'anxiété due au risque élevé de développer une pathologie grave, et par là-même d'une espérance de vie diminuée.

15. Au regard de l'exposition quotidienne de M. C... au risque d'inhalation de poussières d'amiante pendant sa période d'activité sur les bâtiments de la Marine nationale renfermant des matériaux à base d'amiante, de la durée de son affectation, soit au total 9 ans, 11 mois et 1 jours, de ses fonctions le rendant particulièrement exposé et compte tenu du fait qu'il a accompli la totalité de sa carrière dans des sous-marins, il y a de confirmer l'évaluation faite par le tribunal administratif de Rennes à somme de 8 000 euros.

En ce qui concerne les troubles dans les conditions d'existence :

16. Il est établi de façon statistiquement significative le lien entre une exposition suffisamment longue d'un travailleur aux poussières d'amiante et la baisse de son espérance de vie. Toutefois, si les études statistiques générales établissent effectivement le lien entre une exposition suffisamment longue d'un travailleur aux poussières d'amiante et son espérance de vie ainsi que le risque de contracter une maladie grave, elles ne suffisent pas, à elles seules, à établir les troubles dans les conditions d'existence invoqués par l'agent du seul fait d'une diminution probable de son espérance de vie ou de la possible atteinte d'une telle maladie. Il lui appartient alors d'apporter des éléments complémentaires probants relatifs aux troubles subis dans ses conditions d'existence, tant du point de vue social que de son état de santé.

17. M. C... ne justifie pas davantage en appel qu'en première instance, être soumis à un suivi médical post-professionnel, dont la fréquence éventuelle de contrôles serait telle qu'elle entraîne pour lui un trouble dans ses conditions d'existence, ni éprouver une détresse telle qu'elle témoigne d'une perte d'élan vital accompagnée de perturbation dans son projet de vie. Les attestations de son médecin traitant et de son épouse, d'un ami, qu'il verse aux débats, faisant état de son anxiété et de l'appréhension qu'il éprouve à développer une maladie, ne permettent pas d'établir que la carence fautive de l'Etat serait à l'origine de troubles dans ses conditions d'existence distincts du préjudice moral évoqué ci-dessus et déjà indemnisé. Par suite, les conclusions d'appel incident présentées par M. C..., tendant à ce que la somme de 12 000 euros lui soit accordée en réparation de ce préjudice, ne peuvent qu'être rejetées.

18. Il résulte de tout ce qui précède, que la ministre des armées n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a condamné l'Etat à verser à M. C... la somme de 8 000 euros. En revanche, les conclusions d'appel incident présentées par l'intéressé doivent être rejetées, en tant qu'elles tendent à la majoration de l'indemnité accordée.

Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :

19. Compte tenu de ce qui a été indiqué aux points précédents, M. C... a droit aux intérêts au taux légal sur la somme de 8 000 euros à compter du 26 février 2018, ainsi qu'il le demande. Les intérêts seront capitalisés à compter du 26 février 2019, date à laquelle une année d'intérêt était due, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Sur les frais liés au litige :

20. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. C... d'une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Il est donné acte du désistement de la requête de la ministre des armées.

Article 2 : La somme de 8 000 euros, allouée par le tribunal administratif de Rennes en réparation des préjudices de M. C... sera assortie des intérêts au taux légal à compter du 26 février 2018 et de leur capitalisation à compter du 26 février 2019 puis à chaque échéance annuelle.

Article 3 : Le jugement n° 1803399 du tribunal administratif de Rennes en date du 7 janvier 2021 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : Le surplus des conclusions d'appel incident de M. C... est rejeté.

Article 5 : L'Etat versera à M. C... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié au ministre des armées et à M. A... C....

Délibéré après l'audience du 14 novembre 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Gaspon, président de chambre,

- M. Coiffet, président-assesseur,

- M. Giraud, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 novembre 2022.

Le rapporteur,

T. B...Le président,

O. GASPON

La greffière,

S. PIERODÉ

La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 21NT00722 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NT00722
Date de la décision : 29/11/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. GASPON
Rapporteur ?: M. Thomas GIRAUD
Rapporteur public ?: Mme MALINGUE
Avocat(s) : SCP MICHEL LEDOUX ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 04/12/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2022-11-29;21nt00722 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award