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15/11/2022 | FRANCE | N°22NT00018

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 6ème chambre, 15 novembre 2022, 22NT00018


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... C... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 23 novembre 2021 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités italiennes, responsables de l'examen de sa demande d'asile, ainsi que l'arrêté du même jour l'assignant à résidence pour une durée de quarante-cinq jours.

Par un jugement n° 2113266 du 6 décembre 2021, le magistrat désigné du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :
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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... C... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 23 novembre 2021 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités italiennes, responsables de l'examen de sa demande d'asile, ainsi que l'arrêté du même jour l'assignant à résidence pour une durée de quarante-cinq jours.

Par un jugement n° 2113266 du 6 décembre 2021, le magistrat désigné du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 4 janvier 2022, Mme C..., représenté par Me Roulleau, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné du tribunal administratif du 6 décembre 2021 ;

2°) d'annuler ces arrêtés ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil, qui renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- l'arrêté de transfert méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision de transfert a été prise en méconnaissance du §1 de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, à tout le moins, elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;

- elle a également été prise en méconnaissance des dispositions du paragraphe 2 de l'article 3 de ce règlement, de celles de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, des stipulations des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de celles du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention relative aux droits de l'enfant ;

- l'arrêté l'assignant à résidence est illégal dès lors qu'elle remplit les conditions pour bénéficier des dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

- la fréquence de l'obligation de pointage est injustifiée au regard de sa situation familiale et de son état de grossesse.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 14 mars et 13 juin 2022, le préfet de Maine-et-Loire conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par Mme C... ne sont pas fondés.

Mme C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 11 janvier 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de M. B... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme C..., ressortissante guinéenne, relève appel du jugement du 6 décembre 2021 par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 23 novembre 2021 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé sa remise aux autorités italiennes, responsables de l'examen de sa demande d'asile, ainsi que de l'arrêté du même jour l'assignant à résidence.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

En ce qui concerne l'arrêté de transfert aux autorités italiennes :

2. Aux termes de l'article 29 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil en date du 26 juin 2013 : " Le transfert du demandeur ou d'une autre personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point c) ou d), de l'Etat membre requérant vers l'Etat membre responsable s'effectue conformément au droit national de l'Etat membre requérant, après concertation entre les Etats membres concernés, dès qu'il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l'acceptation par un autre Etat membre de la requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou de la décision définitive sur le recours ou la révision lorsque l'effet suspensif est accordé conformément à l'article 27, paragraphe 3. /2. Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, l'Etat membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée e19t la responsabilité est alors transférée à l'Etat membre requérant. Ce délai peut être porté à un an au maximum s'il n'a pas pu être procédé au transfert en raison d'un emprisonnement de la personne concernée ou à dix-huit mois au maximum si la personne concernée prend la fuite. ".

3. D'autre part, l'introduction d'un recours devant le tribunal administratif contre la décision de transfert a pour effet d'interrompre le délai de six mois fixé à l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013, qui courait à compter de l'acceptation du transfert par l'Etat requis, délai qui recommence à courir intégralement à compter de la date à laquelle le tribunal administratif statue au principal sur cette demande, quel que soit le sens de sa décision. Ni un appel, ni d'ailleurs le sursis à exécution du jugement accordé par le juge d'appel sur une demande présentée en application de l'article R. 811-15 du code de justice administrative n'ont pour effet d'interrompre ce nouveau délai. Son expiration a pour conséquence qu'en application des dispositions du paragraphe 2 de l'article 29 du règlement, l'Etat requérant devient responsable de l'examen de la demande de protection internationale.

4. Le délai initial de six mois dont disposait le préfet de Maine-et-Loire pour procéder à l'exécution du transfert de Mme C... vers l'Italie a été interrompu par la saisine du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes. Ce délai a recommencé à courir à compter de la notification à l'administration du jugement du 21 décembre 2021 rendu par ce dernier. Il ressort des pièces du dossier que ce délai n'a pas fait l'objet d'une prolongation et que cet arrêté n'a pas reçu exécution pendant sa période de validité. Par suite, la décision de transfert litigieuse est devenue caduque sans avoir reçu de commencement d'exécution à la date du présent arrêt. La France est donc devenue responsable de l'examen de la demande d'asile de Mme C... sur le fondement des dispositions du 2 de l'article 29 du règlement n° 604/2013 rappelées ci-dessus. Le litige ayant perdu son objet, il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de Mme C... tendant à l'annulation du jugement du 21 décembre 2021, en tant qu'il a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du 23 novembre 2021 décidant son transfert aux autorités italiennes.

En ce qui concerne la décision d'assignation à résidence :

5. Mme C... en invoquant les articles 3 et 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être regardée comme soulevant, par la voie de l'exception, l'illégalité de la décision préfectorale du 23 novembre 2021 décidant son transfert aux autorités italiennes.

6. Aux termes du 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entrainent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable ". Ces dispositions doivent être appliquées dans le respect des droits garantis par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

7. Par ailleurs, eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un Etat autre que la France, que cet Etat a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire. La seule circonstance qu'à la suite du rejet de sa demande de protection par cet Etat membre l'intéressé serait susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement ne saurait caractériser la méconnaissance par cet Etat de ses obligations.

8. Si Mme C... fait état de l'existence de défaillances affectant les conditions d'accueil et de prise en charge des demandeurs d'asile en Italie, les documents qu'elle produit à l'appui de ces affirmations ne permettent pas de tenir pour établi, en ce qui la concerne personnellement, que sa demande d'asile serait exposée à un risque sérieux de ne pas être traitée par les autorités italiennes dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile, alors que l'Italie est un Etat membre de l'Union européenne, partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

9. Aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité (...) ".

10. Mme C... soutient que son compagnon, M. A..., un compatriote, avec qui elle a vécu en Guinée entre 2014 et 2017, séjourne régulièrement en France, et qu'elle n'a fait que passer par l'Italie pour le rejoindre. Elle produit par ailleurs deux photographies de la célébration d'un mariage religieux qu'elle présente comme étant intervenu le 21 août 2021, ainsi qu'un acte de reconnaissance avant naissance, établi par l'officier d'état civil de la commune de Laval le 25 novembre 2021, de l'enfant dont elle est enceinte depuis le début du mois d'août précédent, mentionnant que M. A... a déclaré être le père de cet enfant. Il ressort toutefois des pièces du dossier que M. A... a fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français le 18 juin 2018 et que la demande d'asile qu'il a présentée le 22 juin 2020 a été rejetée le 15 février 2021 par l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides. Ainsi, sans qu'ait d'incidence la circonstance que M. A... a formé un recours contre ce rejet devant la Cour nationale du droit d'asile le 14 avril 2021, il ne peut être regardé comme étant en situation de séjour régulier sur le territoire français. Dans ces conditions, la requérante n'est pas fondée à soutenir qu'en ne faisant pas usage des dispositions du premier paragraphe de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, le préfet de Maine-et-Loire aurait commis une erreur manifeste d'appréciation ou qu'il n'aurait pas procédé à un examen particulier de sa situation notamment au regard des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

11. En deuxième lieu, en vertu de l'article L. 751-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'autorité administrative peut assigner à résidence l'étranger faisant l'objet d'une décision de transfert s'il ne peut quitter immédiatement le territoire français mais que l'exécution de cette décision demeure une perspective raisonnable. Il ne ressort pas des pièces du dossier que l'exécution de la décision de transfert de Mme C... vers l'Italie ne constituait pas, à la date à laquelle elle a été prise, une perspective raisonnable.

12. En troisième lieu, aux termes de l'article R. 733-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative qui a ordonné l'assignation à résidence de l'étranger (...) lui désigne le service auquel il doit se présenter, selon une fréquence qu'elle fixe dans la limite d'une présentation par jour, en précisant si l'obligation de présentation s'applique les dimanches et les jours fériés ou chômés (...) ". Il ne ressort pas des pièces du dossier qu'en fixant à une fois par semaine la fréquence de présentation auprès du commissariat de police de Laval, le préfet de Maine-et-Loire aurait pris une mesure disproportionnée, à cette date, au regard de la situation de Mme C....

13. Il résulte de tout ce qui précède que Mme C... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de Maine-et-Loire du 23 novembre portant assignation à résidence. Par suite ses conclusions à fin d'annulation et d'injonction doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

14. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par Mme C... au profit de son avocate au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DECIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête de Mme C... aux fins d'annulation de la décision du 23 novembre 2021 portant transfert auprès des autorités italiennes.

Article 2 : Le surplus de la requête de Mme C... est rejeté.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... C... et au ministre de l'intérieur et des Outre-mer.

Une copie sera adressée pour information au préfet de Maine-et-Loire.

Délibéré après l'audience du 21 octobre 2021 à laquelle siégeaient :

- M. Gaspon, président de chambre,

- M. Coiffet, président-assesseur,

- M. Giraud, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 novembre 2015.

Le rapporteur,

T. B...

Le président,

O. GASPON

La greffière,

I. PETTON

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des Outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22NT00018


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT00018
Date de la décision : 15/11/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. GASPON
Rapporteur ?: M. Thomas GIRAUD
Rapporteur public ?: Mme MALINGUE
Avocat(s) : ROULLEAU

Origine de la décision
Date de l'import : 20/11/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2022-11-15;22nt00018 ?
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