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25/10/2022 | FRANCE | N°21NT03415

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 6ème chambre, 25 octobre 2022, 21NT03415


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 19 octobre 2021 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé sa remise aux autorités italiennes, responsables de l'examen de sa demande d'asile, ainsi que l'arrêté du même jour l'assignant à résidence dans le département du pour une durée de quarante-cinq jours.

Par un jugement n° 2111952 du 3 novembre 2021, le magistrat désigné du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devan

t la cour :

Par une requête enregistrée le 7 décembre 2021, M. A..., représenté par Me Guine...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 19 octobre 2021 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé sa remise aux autorités italiennes, responsables de l'examen de sa demande d'asile, ainsi que l'arrêté du même jour l'assignant à résidence dans le département du pour une durée de quarante-cinq jours.

Par un jugement n° 2111952 du 3 novembre 2021, le magistrat désigné du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 7 décembre 2021, M. A..., représenté par Me Guinel-Johnson, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné du tribunal administratif du 3 novembre 2021 ;

2°) d'annuler ces arrêtés ;

3°) d'enjoindre au préfet de Maine-et-Loire de reconnaître la France responsable de l'examen de sa demande d'asile, de lui délivrer une attestation de demande d'asile en procédure normale ainsi qu'un formulaire de demande d'asile dans un délai de cinq jours, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil, qui renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, d'une somme de 2 400 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

L'arrêté de transfert aux autorités italiennes :

- a été pris par une autorité incompétente ;

- est insuffisamment motivé ;

- est illégal dès lors que le préfet n'a pas procédé à un examen particulier de sa situation personnelle ;

- a été pris en méconnaissance du droit à l'information prévue par l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et l'article 29 du règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 ;

- l'entretien n'a pas eu lieu dans les conditions prévues par l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

- l'arrêté de transfert est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

- il porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale, protégé par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- L'arrêté portant assignation à résidence :

- a été pris par une autorité incompétente ;

- est insuffisamment motivé ;

- l'illégalité de l'arrêté de transfert aux autorités italiennes entache d'illégalité l'arrêté portant assignation à résidence ;

- l'obligation de présentation avec ses effets personnels à horaire fixe est dépourvue de base légale ;

- l'arrêté attaqué est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 25 mars 2022, le préfet de Maine-et-Loire conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.

En application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, les parties ont été informées le 4 mai 2022 de ce que l'arrêt à intervenir est susceptible d'être fondé sur un moyen, tiré du non-lieu à statuer sur les conclusions de la requête tendant à l'annulation du jugement en tant qu'il a rejeté les conclusions à fins d'annulation de l'arrêté de transfert en raison de l'expiration du délai de 6 mois prévu au 1 de l'article 29 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013.

Par un mémoire, enregistré le 5 mai 2022, M. A... s'en rapporte à ses précédentes écritures.

Par un mémoire, enregistré le 9 mai 2022, le préfet de Maine-et-Loire conclut au non-lieu à statuer en ce qui concerne l'arrêté de transfert.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 8 novembre 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de M. B... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. C... A..., ressortissant guinéen, relève appel du jugement du 3 novembre 2021 par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 19 octobre 2021 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé sa remise aux autorités italiennes, responsables de l'examen de sa demande d'asile, ainsi que de l'arrêté du même jour l'assignant à résidence.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

En ce qui concerne l'arrêté de remise aux autorités italiennes :

2. Aux termes de l'article 29 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil en date du 26 juin 2013 : " Le transfert du demandeur ou d'une autre personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point c) ou d), de l'Etat membre requérant vers l'Etat membre responsable s'effectue conformément au droit national de l'Etat membre requérant, après concertation entre les Etats membres concernés, dès qu'il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l'acceptation par un autre Etat membre de la requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou de la décision définitive sur le recours ou la révision lorsque l'effet suspensif est accordé conformément à l'article 27, paragraphe 3. /2. Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, l'Etat membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée e19t la responsabilité est alors transférée à l'Etat membre requérant. Ce délai peut être porté à un an au maximum s'il n'a pas pu être procédé au transfert en raison d'un emprisonnement de la personne concernée ou à dix-huit mois au maximum si la personne concernée prend la fuite. ".

3. D'autre part, l'introduction d'un recours devant le tribunal administratif contre la décision de transfert a pour effet d'interrompre le délai de six mois fixé à l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013, qui courait à compter de l'acceptation du transfert par l'Etat requis, délai qui recommence à courir intégralement à compter de la date à laquelle le tribunal administratif statue au principal sur cette demande, quel que soit le sens de sa décision. Ni un appel, ni d'ailleurs le sursis à exécution du jugement accordé par le juge d'appel sur une demande présentée en application de l'article R. 811-15 du code de justice administrative n'ont pour effet d'interrompre ce nouveau délai. Son expiration a pour conséquence qu'en application des dispositions du paragraphe 2 de l'article 29 du règlement, l'Etat requérant devient responsable de l'examen de la demande de protection internationale.

4. Le délai initial de six mois dont disposait le préfet de Maine-et-Loire pour procéder à l'exécution du transfert de M. A... vers l'Italie a été interrompu par la saisine du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes. Ce délai a recommencé à courir à compter de la notification à l'administration du jugement du 3 novembre 2021 rendu par ce dernier. Il ressort des pièces du dossier que ce délai n'a pas fait l'objet d'une prolongation et que cet arrêté n'a pas reçu exécution pendant sa période de validité. Par suite, la décision de transfert litigieuse est devenue caduque sans avoir reçu de commencement d'exécution à la date du présent arrêt. La France est donc devenue responsable de l'examen de la demande d'asile de M. A... sur le fondement des dispositions du 2 de l'article 29 du règlement n° 604/2013 rappelées ci-dessus. Le litige ayant perdu son objet, il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de M. A... tendant à l'annulation du jugement du 18 mai 2021, en tant qu'il a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du 19 octobre 2021 décidant son transfert aux autorités italiennes.

En ce qui concerne la décision d'assignation à résidence :

5. L'arrêté portant assignation à résidence de M. A... ayant reçu exécution, les conclusions tendant à son annulation conservent leur objet et il y a dès lors lieu d'y statuer.

S'agissant de l'exception d'illégalité de l'arrêté de transfert :

6. En premier lieu, aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) 2. L'État membre dans lequel une demande de protection internationale est présentée et qui procède à la détermination de l'État membre responsable, ou l'État membre responsable, peut à tout moment, avant qu'une première décision soit prise sur le fond, demander à un autre État membre de prendre un demandeur en charge pour rapprocher tout parent pour des raisons humanitaires fondées, notamment, sur des motifs familiaux ou culturels, même si cet autre État membre n'est pas responsable au titre des critères définis aux articles 8 à 11 et 16. Les personnes concernées doivent exprimer leur consentement par écrit ". Aux termes de l'article 11 du règlement du 26 juin 2013 : " Lorsque plusieurs membres d'une famille et/ou des frères ou sœurs mineurs non mariés introduisent une demande de protection internationale dans un même État membre simultanément, ou à des dates suffisamment rapprochées pour que les procédures de détermination de l'État membre responsable puissent être conduites conjointement, et que l'application des critères énoncés dans le présent règlement conduirait à les séparer, la détermination de l'État membre responsable se fonde sur les dispositions suivantes: a) est responsable de l'examen des demandes de protection internationale de l'ensemble des membres de la famille et/ou des frères et sœurs mineurs non mariés, l'État membre que les critères désignent comme responsable de la prise en charge du plus grand nombre d'entre eux; b) à défaut, est responsable l'État membre que les critères désignent comme responsable de l'examen de la demande du plus âgé d'entre eux ". Le g) de l'article 2 dudit règlement indique que les " membres de la famille " au sens des dispositions précitées comprennent le conjoint du demandeur ou ses enfants mineurs. Par suite, M. A... n'est pas fondé à se prévaloir de la circonstance que le préfet de Maine-et-Loire aurait dû examiner sa demande d'asile dès lors que son frère dont la qualité de réfugiée a été reconnu réside régulièrement en France où il a obtenu le statut de réfugié, dès lors que son frère n'est pas membre de la famille au sens et pour l'application des dispositions du règlement n°604/2013. Par suite, le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation dans l'application de l'article 17 précité du règlement (UE) n° 604/2013 doit être écarté.

7. En second lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. (...) ". M. A... se borne à se prévaloir de la présence de son frère en France. Ainsi, dans les circonstances de l'espèce, et eu égard notamment tant à la durée qu'aux conditions de séjour en France de l'intéressé, qui a quitté son pays d'origine à l'âge de 28 ans selon ses propres déclarations, la décision contestée n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels elle a été prise. Elle n'a donc pas méconnu les stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

S'agissant des autres moyens :

8. En premier lieu, l'obligation faite à l'intéressé de se présenter " avec tous ses effets personnels ", excède dans cette dernière mesure ce qui est nécessaire et adapté à la nature et à l'objet de cette présentation hebdomadaire, dont l'objectif est uniquement de s'assurer que l'intéressé n'a pas quitté le périmètre dans lequel il est assigné. Le requérant est par suite fondé à soutenir que le préfet de Maine-et-Loire, en lui imposant, par l'arrêté contesté, de se munir de ses effets personnels lors de sa présentation hebdomadaire à la permanence de la gendarmerie, a pris une mesure qui n'est ni nécessaire ni adaptée à l'objectif poursuivi. Il y a lieu en conséquence d'annuler la décision contestée dans cette seule mesure.

9. En dernier lieu, pour le surplus, M. A... se borne à reprendre devant le juge d'appel les mêmes moyens qu'invoqués en première instance sans plus de précisions ou de justifications et sans l'assortir d'éléments nouveaux. Il y a lieu d'écarter ces moyens par adoption des motifs retenus par le premier juge et tirés de ce que l'arrêté du 19 octobre 2021 décidant son transfert aux autorités italiennes sur la base duquel a été pris son arrêté d'assignation à résidence du 19 octobre 2021 ont été pris par une autorité compétente, sont suffisamment motivés, ne méconnaissent pas les articles 4, 5 et 11 et les dispositions du 1 de l'article 29 du règlement du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, que le préfet de Maine-et-Loire n'a pas fait une inexacte application des critères de détermination de l'État membre responsable énoncés par ce règlement, alors qu'il ressort des pièces du dossier que le transfert vers l'Italie de l'intéressé, lequel avait présenté pour la première fois une demande d'asile dans ce pays, est intervenu sur le fondement du d) du 1 de l'article 18 du règlement, qu'il méconnaîtrait les dispositions de l'article L. 751-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il y a lieu d'écarter ce moyen par adoption des motifs retenus par le premier juge.

10. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 19 octobre 2021 portant assignation à résidence en tant qu'elle lui fait obligation de se présenter " avec tous ses effets personnels " au commissariat central de police de Nantes.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

11. Le présent arrêt, qui annule partiellement la décision portant assignation à résidence pris à l'encontre de M. A... en tant qu'elle fixe certaines modalités de contrôle, n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions aux fins d'injonction présentées par le requérant doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

12. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions de M. A... présentées sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DECIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête de M. A... aux fins d'annulation de la décision du 19 octobre 2021 du préfet de Maine-et-Loire portant transfert auprès des autorités italiennes.

Article 2 : La décision du 19 octobre 2021 assignant à résidence M. A... est annulée en tant qu'elle lui fait obligation de se munir de tous ses effets personnels pour se présenter hebdomadairement au commissariat central de police de Nantes.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A... et au ministre de l'intérieur et de l'Outre-mer.

Une copie sera adressée pour information au préfet de Maine-et-Loire.

Délibéré après l'audience du 7 octobre 2022 à laquelle siégeaient :

- M. Gaspon, président de chambre,

- M. Coiffet, président-assesseur,

- M. T. Giraud, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 octobre 2022.

Le rapporteur,

T. B...Le président,

O. GASPONLe greffier,

S. PIERODE

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21NT03415


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NT03415
Date de la décision : 25/10/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. GASPON
Rapporteur ?: M. Thomas GIRAUD
Rapporteur public ?: Mme MALINGUE
Avocat(s) : CABINET ALTG19 GUINEL

Origine de la décision
Date de l'import : 30/10/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2022-10-25;21nt03415 ?
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