Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme D... B... née C... et M. A... B..., ont demandé au tribunal administratif d'Orléans de condamner le centre hospitalier régional universitaire de Tours à indemniser Mme B... des préjudices subis, à proportion de la perte de chance, fixée à 20 %, d'éviter la complication neurologique dont elle a souffert, d'ordonner une expertise à fin d'évaluer l'ensemble des préjudices subis par Mme B... et de condamner le même centre hospitalier à verser à Mme B... une indemnité provisionnelle d'un montant de 45 000 euros à valoir sur l'indemnisation définitive de ses préjudices.
Par un jugement n°1901437 du 23 juillet 2020, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 21 septembre 2020, Mme D... B... née C... et M. A... B..., représentés par la SELARL Coubris, Courtois et associés, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 23 juillet 2020 ;
2°) de condamner le centre hospitalier régional universitaire de Tours à indemniser Mme B... des préjudices subis à proportion de la perte de chance, fixée à 20 %, d'éviter la complication neurologique dont elle a souffert ;
3°) d'ordonner une expertise à fin d'évaluation de l'ensemble des préjudices de Mme B... ;
4°) de condamner le centre hospitalier régional universitaire de Tours à verser à Mme B... une indemnité provisionnelle d'un montant de 45 000 euros à valoir sur l'indemnisation définitive de ses préjudices ;
5°) de mettre à la charge du centre hospitalier régional universitaire de Tours la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- la responsabilité du centre hospitalier est engagée sur le fondement des articles L. 1142-1 et L. 1111-7 du code de la santé publique à raison des fautes commises ayant consisté en un défaut de diagnostic différentiel, en l'absence de réalisation d'examens médicaux complémentaires et en une prise en charge inadaptée résultant de l'absence de documents médicaux relatifs à la surveillance et au traitement administré à Mme B... entre le 18 et le 20 juin 2016 ;
- les fautes commises par l'équipe médicale sont à l'origine, pour la requérante, d'une perte de chance de 20 % d'éviter les complications neurologiques dont elle a souffert ainsi que, par voie de conséquence, les séquelles dont elle reste atteinte ;
- un collège d'experts devra être désigné pour évaluer les préjudices définitifs de Mme B... ;
- il sera alloué à la requérante une provision de 45 000 euros, calculée sur la base des préjudices temporaires tels qu'ils ont été évalués par les experts nommés par la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux.
Par un mémoire enregistré le 18 janvier 2021, le centre hospitalier régional universitaire de Tours, représenté par Me Le Prado, conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. L'hirondel,
- les conclusions de M. Berthon, rapporteur public,
- et les observations de Me Soubrié, représentant M. et Mme B....
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., qui était alors âgée de soixante-sept ans, a souffert à compter de 2015 d'une altération de son état général. Devant la persistance d'une thrombopénie fébrile avec perturbation du bilan hépatique, elle a été hospitalisée, le 4 mars 2016, à l'hôpital de Chinon. Le scanner réalisé mettra en évidence un épanchement intra et sous-péritonéal d'abondance modéré, des adénopathies coello-mésentériques supracentimétriques, une atteinte interstitielle des poumons prédominant au niveau du lobe supérieur gauche avec des foyers d'épaississement pariétal des bronches. A compter du 6 mars 2016, Mme B... a été prise en charge par le centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Tours. Le 7 mars 2016, le diagnostic de tuberculose a été porté et un traitement lui a alors été administré. Le scanner qui est réalisé montre par ailleurs trois lésions intracrâniennes évoquant des tuberculomes. Une corticothérapie a été introduite le 19 mars 2016. Les conclusions médicales ont retenu une tuberculose disséminée avec hépatite granulomatose et tuberculomes cérébraux. A compter de la mi-avril 2016, la corticothérapie a été arrêtée en raison de diffusion lésionnelle. Le 17 mai 2016, en raison de la persistance de l'asthénie et de la natrémie, il est proposé à la patiente une hospitalisation destinée à réaliser un bilan portant sur l'insuffisance rénale dans un contexte de tuberculose extra pulmonaire. Il est, en outre, décidé de reprendre la corticothérapie. L'hospitalisation aura lieu du 17 au 19 mai 2016.
2. Le 2 juin 2016, après qu'il a été diagnostiqué un développement d'un anévrisme sacciforme de la partie antérieure de l'aorte qui n'était pas présent sur le scanner de mars 2016, un traitement par endoprothèse de l'aorte thoracique lui est proposé. L'opération est réalisée le 13 juin 2016 au CHRU de Tours. Les suites opératoires sont assurées en unité de surveillance continue (USC) de neuro-traumatologie avec retour dans le service de chirurgie vasculaire le 15 juin 2016. Après que la patiente a présenté une hyponatrémie pour laquelle un avis a été demandé, elle a été réadmise en USC du 17 au 21 juin 2016 pour la prise en charge de ses troubles hydroélectriques sévères. Le 18 juin 2016, elle fait une crise convulsive et le scanner, réalisé en urgence, ne montre aucune anomalie pouvant expliquer cette symptomatologie. Le 21 juin 2016, elle est transférée en chirurgie vasculaire. Le 22 juin 2016, Mme B... est sujette à une crise d'épilepsie à l'issue de laquelle un déficit moteur des deux membres inférieurs a été constaté. Elle est alors transférée en réanimation polyvalente. Le 25 juin 2016, elle est de nouveau admise dans le service de médecine interne et de maladies infectieuses où elle y séjournera jusqu'au 28 juillet 2016, date de son transfert au sein de l'établissement de soins de suite et de réadaptation de Bel-Air.
3. Mme B..., qui est restée atteinte d'une paraplégie, et son mari ont, le
4 janvier 2017, saisi d'une demande d'indemnisation la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (CCI) du Centre-Val de Loire. Cette commission a ordonné, le 3 mars 2017, une expertise qui a été confiée à un spécialiste en chirurgie cardiovasculaire et thoracique et à un neurologue et psychiatre, qui se sont adjoints un sapiteur réanimateur infectiologue. Les experts ont établi leur rapport le 19 octobre 2017, à la suite duquel la commission de conciliation et d'indemnisation a, par une décision du 20 décembre 2017, rejeté leur demande. M. et Mme B... ont saisi le 23 avril 2019 le tribunal administratif d'Orléans d'une demande tendant à la condamnation du CHRU de Tours à indemniser Mme B... des préjudices subis à proportion de la perte de chance fixée par les experts à 20 % et à lui verser, à ce titre, une provision de 45 000 euros. Ils demandaient, en outre, qu'une expertise complémentaire soit ordonnée afin d'évaluer l'ensemble des préjudices définitifs de
Mme B.... Par un jugement du 23 juillet 2020, dont M. et Mme B... relèvent appel, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté leur demande.
Sur la responsabilité du centre hospitalier régional universitaire de Tours :
En ce qui concerne le retard de diagnostic et de prise en charge et l'absence de réalisation d'examens médicaux complémentaires :
4. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute ".
5. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport de l'expertise diligentée par la CCI du Centre-Val de Loire, que l'hypothèse d'une ischémie médullaire en rapport avec la pose de l'endoprothèse mise en place pour le traitement de l'anévrisme de l'aorte était peu probable et que l'équipe médicale du centre hospitalier régional universitaire de Tours aurait dû évoquer l'hypothèse, que les experts estiment comme la " plus vraisemblable ", d'une myélite tuberculeuse. Les requérants font alors grief à l'équipe médicale du centre hospitalier régional universitaire de Tours de ne pas avoir évoqué cette pathologie dès l'apparition du déficit moteur et sensitif et de ne pas avoir envisagé une réévaluation de la thérapie mise en place pour tenir compte d'un diagnostic certain, ou du moins probable, d'une myélite tuberculeuse associée ou non à une arachnoïdite.
6. Toutefois, les experts n'ont pas conclu qu'une modification du traitement antituberculeux et/ou du traitement corticoïde aurait pu permettre à la patiente soit une récupération partielle du déficit, soit empêcher ou prévenir son extension si le diagnostic de myélite ou d'arachnoïdite tuberculeuse avait été évoqué dès l'installation du déficit moteur et sensitif dès lors qu'ils ont sollicité sur cette question l'avis d'un sapiteur, réanimateur infectiologue. Selon le sapiteur, alors que cette infection tuberculeuse est difficile à diagnostiquer et à traiter, Mme B... a rapidement bénéficié d'un traitement antituberculeux prolongé et adapté s'agissant d'une mycobactérie multisensible. Le sapiteur qualifie ce traitement comme " optimal " et étant " celui recommandé. (...) Ce schéma correspond à ce qui est proposé dans les tuberculoses neuro-méningées : quadrithérapie pendant deux mois puis bithérapie pendant 10 mois ". Une corticothérapie a été, de plus, mise en place afin de permettre, associée à un traitement antituberculeux, de contrôler les phénomènes inflammatoires. Selon le sapiteur, cette stratégie thérapeutique a pour objectif de traiter toutes les autres localisations possibles de la tuberculose disséminée dont souffrait Mme B..., y compris celles qui n'auraient pas été identifiées initialement. Il conclut que, dans ces conditions, il n'y avait pas lieu d'apporter des modifications particulières au traitement antituberculeux mis en œuvre ainsi qu'à la posologie du corticoïde dès lors que ce traitement, était adapté pour limiter les conséquences des phénomènes inflammatoires, responsables des lourdes séquelles constatées au cours de tuberculoses disséminées telles que celle dont a souffert la requérante. Les experts indiquent, enfin, que le dommage est en rapport avec la maladie sous-jacente. Il s'ensuit que si l'équipe médicale n'a pas immédiatement posé le diagnostic de myélite tuberculeuse, et n'a pas davantage réalisé d'investigations supplémentaires afin d'identifier les autres localisations de la tuberculose disséminée dont souffrait Mme B..., notamment par un bilan clinique et un bilan d'imagerie, ces circonstances n'ont fait perdre à l'intéressée aucune chance d'éviter la paraplégie dont elle reste atteinte. Les requérants ne sont dès lors pas fondés à demander à être indemnisés de leurs préjudice sur le terrain de la faute tenant en un retard de diagnostic et de prise en charge et en l'absence de réalisation d'examens médicaux complémentaires.
En ce qui concerne le défaut de surveillance et d'administration de traitements adaptés entre le 18 et le 20 juin 2016 :
7. Aux termes de l'article L. 1111-7 du code de la santé publique : " Toute personne a accès à l'ensemble des informations concernant sa santé, détenues à quelque titre que ce soit par des professionnels et établissements de santé ".
8. En dehors des actes de soins courants où la faute peut être présumée lorsque ceux-ci ont des conséquences anormales sur l'état de santé de la personne, la responsabilité d'un établissement public de santé ne peut être engagée que sur le terrain de la faute prouvée. Lorsque la perte ou l'absence de production de la part de l'établissement d'éléments essentiels du dossier médical place le patient ou ses ayants droit dans l'impossibilité d'accéder aux informations de santé concernant celui-ci et, le cas échéant, d'établir l'existence d'une faute dans sa prise en charge, il appartient au juge, après avoir invité l'établissement à produire tous les éléments médicaux en sa possession de nature à justifier les modalités de la prise en charge, de former sa conviction sur la conformité des soins aux règles de l'art médical au vu des éléments versés ou non versés au dossier.
9. Le CHRU de Tours, en réponse à une demande d'instruction faite par les premiers juges, a produit une " pancarte et médicaments " couvrant la période du 9 au 22 juin 2016 ainsi qu'un listing portant sur l'administration des médicaments pour la période du 10 juin 2016 au 22 juin 2016. Il est constant que ces documents ne contiennent aucune information sur les soins accomplis du 18 au 20 juin 2016. Toutefois, il résulte de ces mêmes documents que Mme B... a bénéficié d'une surveillance constante entre le 9 et le 17 juin 2016 puis à compter du 21 juin 2016 et que les médicaments lui ont été régulièrement administrés lors de ces deux périodes. Il ne résulte pas de l'instruction que les soins et la surveillance ont cessé entre le 18 et le 20 juin 2016, dès lors que l'intéressée, qui a été changée de service chaque fois que son état de santé le nécessitait pour être prise en charge par celui le plus qualifié, était placée, lors de ces trois jours, en unité de surveillance continue (USC). Il ressort, en outre, du rapport des experts que lorsque Mme B... a été victime le 18 juin de convulsions, elle a pu bénéficier, en urgence, d'un scanner, ce qui est de nature à établir la surveillance dont elle faisait l'objet. Dans ces conditions, aucune faute tenant en un défaut de surveillance et d'administration de traitements adaptés ne peut être imputée au centre hospitalier régional universitaire de Tours. Au demeurant, si les experts précisent que les myélites tuberculeuses peuvent s'installer en quelques jours ou quelques semaines, il ne résulte également pas de l'instruction, et n'est au demeurant ni établi, ni même allégué, qu'elles auraient pu être identifiées entre le 18 et le 20 juin 2016, pour permettre ensuite d'adapter le traitement à la pathologie de la patiente, de sorte que le lien de causalité entre le défaut de surveillance allégué et les dommages subis par Mme B... n'est pas établi.
10. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'ordonner une expertise complémentaire, que M. et Mme B... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté leur demande. Doivent être rejetées par voie de conséquence les conclusions tendant à l'octroi d'une indemnité provisionnelle ainsi que celles tendant au bénéfice des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. et Mme B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme B..., au centre hospitalier régional universitaire de Tours et à la caisse primaire d'assurance maladie d'Indre-et-Loire.
Délibéré après l'audience du 18 novembre 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Salvi, président,
- M. L'hirondel, premier conseiller,
- M. Catroux, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 décembre 2021.
Le rapporteur
M. L'HIRONDEL
Le président
D. SALVI
Le greffier
R. MAGEAU
La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT02982