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19/11/2021 | FRANCE | N°21NT00964

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 19 novembre 2021, 21NT00964


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. K... H... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 24 février 2021 par lequel le préfet d'Eure-et-Loir l'a obligé à quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office et a décidé d'une interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de trois années.

Par un jugement n° 2101055 du 4 mars 2021, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rennes a annulé l'

arrêté du préfet d'Eure-et-Loir du 24 février 2021.

Procédure devant la cour :

Par une r...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. K... H... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 24 février 2021 par lequel le préfet d'Eure-et-Loir l'a obligé à quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office et a décidé d'une interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de trois années.

Par un jugement n° 2101055 du 4 mars 2021, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rennes a annulé l'arrêté du préfet d'Eure-et-Loir du 24 février 2021.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 8 avril 2021, le préfet d'Eure-et-Loir demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 4 mars 2021 ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. H... devant le tribunal administratif de Rennes.

Il soutient que :

- il n'a pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- aucun des autres moyens présentés par M. H... devant le tribunal administratif n'est fondé.

Par un mémoire en défense, enregistré le 17 juin 2021, M. K... H..., représenté par la SELARL BS2A Bescou et Sabatier avocats associés, conclut au rejet de la requête, à ce qu'il soit enjoint, sous astreinte, au préfet d'Eure-et-Loir de réexaminer sa situation et de lui délivrer dans cette attente une autorisation provisoire de séjour, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et à ce qu'il soit mis à la charge de l'État la somme de 1 200 euros à verser à son conseil, au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- le moyen du préfet d'Eure-et-Loir pour contester le bien-fondé du jugement attaqué n'est pas fondé ;

- l'arrêté méconnaît l'article 41 de la charte des droits fondamentaux et son droit à être entendu ;

En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :

- elle est entachée de défaut d'examen concernant sa situation au regard de l'intérêt supérieur de l'enfant ;

- elle méconnaît l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- elle porte atteinte à son droit au respect de sa vie privée et familiale et viole les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;

En ce qui concerne la décision de refus de délai de départ volontaire :

- elle est entachée d'illégalité par voie d'exception ;

- elle est entachée d'erreur de droit ;

- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation dans l'application des dispositions du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :

- elle est entachée d'illégalité par voie d'exception ;

En ce qui concerne la décision d'interdiction de retour sur le territoire :

- elle est entachée d'illégalité par voie d'exception ;

- elle est insuffisamment motivée ;

- elle est entachée d'erreur de droit ;

- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation dans l'application des dispositions du III du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour méconnaitre l'intérêt supérieur de l'enfant.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale de New-York du 26 janvier 1990 relative aux droits de l'enfant :

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. L'hirondel a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Le préfet d'Eure-et-Loir relève appel du jugement du 4 mars 2021 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rennes a annulé son arrêté du 24 février 2021 faisant obligation à M. K... H..., ressortissant géorgien né le 22 mars 1989, de quitter sans délai le territoire français, fixant le pays de destination et portant interdiction de retour de trois ans sur le territoire français.

Sur le moyen d'annulation retenu par le magistrat désigné :

2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. " ;

3. M. H... soutient qu'il n'a plus d'attaches familiales dans son pays d'origine et que toute sa famille réside en France, en l'occurrence sa fille C..., née le 26 novembre 2014 à Tours, de son union avec Mme B... G..., également de nationalité géorgienne, ses parents chez qui il réside et ses deux sœurs.

4. Toutefois, il ressort des énonciations non contestées de l'arrêté en litige que l'intéressé, qui est entré en France en 2004, a fait l'objet de six condamnations respectivement le 15 juin 2006 par le tribunal correctionnel de Poitiers à huit mois d'emprisonnement avec sursis pour violence commise en réunion sans incapacité et vol en réunion, le 7 février 2007 par le tribunal correctionnel de Blois à trois mois d'emprisonnement et à une interdiction du territoire français pendant un an pour soustraction à l'exécution d'une mesure de reconduite à la frontière, entrée ou séjour irrégulier d'un étranger en France, dégradation d'un monument ou objet d'utilité publique et vol aggravé par deux circonstances (récidive), le 26 mai 2010 par le tribunal correctionnel de Blois à deux ans d'emprisonnement pour refus de se prêter aux prises d'empreintes digitales ou de photographies lors d'une vérification d'identité, fourniture d'identité imaginaire, obtention frauduleuse de document administratif contractant un droit, une identité ou une qualité et entrée et ou séjour d'un étranger en France (récidive), le 15 avril 2014 par le tribunal correctionnel de Tours à quatre mois d'emprisonnement pour violence sur une personne chargée de mission de service public suivie d'incapacité n'excédant pas huit jours, le 25 septembre 2015 par le tribunal correctionnel de Tours à quatre mois d'emprisonnement pour vol aggravé par deux circonstances (récidive) et vol en réunion (récidive) et le 1er juillet 2020, par le tribunal correctionnel de Tours à douze mois d'emprisonnement pour usage illicite de stupéfiants, récidive et vol par effraction dans un local d'habitation ou un entrepôt, tentative (récidive) et vol aggravé par deux circonstances (récidive). Le bulletin n°2 de son casier judiciaire mentionne, en outre, deux autres condamnations, l'une prononcée par la cour d'appel d'Orléans le 1er février 2011, condamnant l'intéressé à la peine de deux ans d'emprisonnement dont un an avec sursis pour vol en réunion, dégradation ou détérioration d'un bien d'autrui commise en réunion (récidive), l'autre par la cour d'appel de Paris le 7 mai 2018 à la peine de

3 mois d'emprisonnement pour recel d'un bien provenant d'un délit puni d'une peine n'excédant pas cinq ans d'emprisonnement. Par suite, le préfet d'Eure-et-Loir établit que le comportement de M. H..., multirécidiviste, est de nature à constituer une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'ordre public.

5. Par ailleurs, M. H... ne réside pas avec Mme B... G... dont il est séparé. La jeune C... a, quant à elle, été confiée seulement trois mois après sa naissance à une famille d'accueil. Si l'intimé soutient avoir un droit de visite qu'il exerce, ce droit est limité, ainsi qu'il ressort de l'attestation du président du conseil départemental d'Indre-et-Loire du 12 septembre 2019, à une visite d'une heure par mois dans les locaux de la maison départementale de la solidarité de Monconseil et, selon le calendrier de sorties de l'enfant établi par le même service le 2 mars 2020, tous les 15 jours à trois semaines sous le régime de la " visite en lieu neutre encadrée " au pôle de l'enfance pour une heure également. L'intimé n'établit pas, en dehors de ces heures de visite, de liens particulièrement stables et intenses qui l'uniraient à son enfant, ni avoir participé, au moins lorsqu'il était en liberté, à son entretien et à son éducation. Enfin, alors que M. H... est âgé de 32 ans à la date de l'arrêté contesté et avait antérieurement entamé une vie maritale, les circonstances qu'il réside encore chez ses parents et que ses sœurs soient domiciliées en France ne sont pas de nature à caractériser, pour l'application des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, une atteinte à sa vie familiale. Si M. H... fait valoir ne plus avoir d'autre famille dans son pays d'origine, il n'apporte au soutien de son allégation aucun élément de nature à en établir le bien-fondé alors qu'il ressort des pièces du dossier que, dans le cadre de l'exécution d'une mesure d'interdiction du territoire, il est retourné en Géorgie entre 2007 et 2009 sans que l'intéressé fasse état de difficultés particulières d'adaptation. Il résulte de ce qui précède qu'eu égard aux conditions de son séjour en France émaillé par de nombreuses condamnations pénales qui se sont succédées dans le temps à des intervalles rapprochés et même si des membres de sa famille résident régulièrement sur le territoire français, le préfet d'Eure-et-Loir, en prenant l'arrêté attaqué, n'a pas porté, dans les circonstances de l'espèce, une atteinte disproportionnée au droit de M. H... au respect de sa vie privée et familiale eu égard au but poursuivi et n'a ainsi, pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

6. Il s'ensuit que le préfet d'Eure-et-Loir est fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rennes a annulé son arrêté du 24 février 2021 pour avoir méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

7. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. H... devant le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rennes et devant la cour.

Sur les autres moyens invoqués par M. H... :

En ce qui concerne les moyens communs à l'ensemble des décisions en litige :

8. En premier lieu, par un arrêté du 25 janvier 2012, publié au recueil des actes administratifs de la préfecture d'Eure-et-Loir, Mme I... F..., préfet d'Eure-et-Loir, a donné délégation à M. E... D..., sous-préfet de l'arrondissement de Dreux, à l'effet notamment de signer, tous arrêtés et décisions relevant des attributions de l'État dans le département d'Eure-et-Loir en cas d'absence simultanée du département d'Eure-et-Loir de Mme F... et de M. Adrien Bayle, secrétaire général de la préfecture d'Eure-et-Loir. Il ne ressort pas des pièces du dossier que Mme F... et M. A... n'étaient pas absents du département d'Eure-et-Loir à la date de l'arrêté contesté. Dès lors, le moyen tiré de ce que le signataire de l'acte était incompétent doit être écarté.

9. En second lieu, aux termes de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l'Union. / Ce droit comporte notamment : / - le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre ; (...) ".

10. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne s'adresse uniquement aux institutions et organes de l'Union. Le moyen tiré de sa violation par une autorité d'un État membre est donc inopérant. Toutefois, il résulte également de cette jurisprudence que le droit d'être entendu fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union. Ce droit se définit comme celui de toute personne de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours d'une procédure administrative avant l'adoption de toute décision susceptible d'affecter de manière défavorable ses intérêts. Il n'implique toutefois pas systématiquement l'obligation pour l'administration d'organiser, de sa propre initiative, un entretien avec l'intéressé, ni même d'inviter ce dernier à produire ses observations, mais suppose seulement que, informé de ce qu'une décision lui faisant grief est susceptible d'être prise à son encontre, l'étranger soit en mesure de présenter spontanément des observations écrites ou de demander un entretien pour faire valoir ses observations orales. Enfin, une atteinte au droit d'être entendu n'est susceptible d'entraîner l'annulation de la décision faisant grief que si la procédure administrative aurait pu, en fonction des circonstances de fait et de droit spécifiques de l'espèce, aboutir à un résultat différent du fait des observations et éléments que l'étranger a été privé de faire valoir.

11. Il ressort du procès-verbal de l'audition menée le 15 janvier 2021 par les services de la gendarmerie de Châteaudun que ces services ont été réquisitionnés par le préfet d'Eure-et-Loir afin d'entendre au centre de détention de Châteaudun M. H... sur sa situation administrative. L'intéressé a été ainsi interrogé sur sa situation familiale, que ce soit sur sa famille présente en France ou à l'étranger, sur les motifs de son entrée sur le territoire français et les conditions de son séjour. Il a été ainsi en mesure de préciser quels étaient les membres de sa famille résidant en France et ceux restés à l'étranger, les motifs de son arrivée en France et les démarches qu'il avait entreprises pour régulariser sa situation administrative. Il a également été interrogé sur l'éventualité qu'une mesure de reconduite à la frontière puisse être prise à son encontre, l'intimé se bornant à répondre qu'une telle perspective n'est pas envisageable sans sa fille et qu'il désirait rester auprès d'elle et de ses parents. L'intéressé ne fait état d'aucun autre élément pertinent, susceptible d'influer sur le contenu de la décision en litige qu'il n'aurait eu la possibilité de présenter. Par suite, M. H... n'est pas fondé à soutenir que l'arrêté contesté aurait été pris à l'issue d'une procédure irrégulière pour avoir méconnu son droit à être entendu.

En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :

12. En premier lieu, l'arrêté litigieux vise les dispositions pertinentes du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dont il est fait application ainsi que les articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales Il précise la date supposée d'entrée en France de M. H... et indique très exactement les condamnations dont il a fait l'objet depuis qu'il séjourne sur le territoire français pour en déduire qu'il présente une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'ordre public. Le préfet constate, par ailleurs, dans son arrêté, que l'intéressé est démuni de tout document d'identité et de voyage. Il examine ensuite, la situation familiale de M. H..., en France et à l'étranger, y compris, contrairement à ce qu'affirme l'intimé, au regard de sa fille dont il est précisé qu'elle est placée en famille d'accueil à Bourgueil depuis sa naissance et que l'autorité judiciaire avait estimé nécessaire, dans l'intérêt supérieur de l'enfant, de la séparer de son père. Par suite, et alors même qu'il soutient que le préfet aurait dénaturé la teneur de la décision du juge des enfants, M. H... n'est pas fondé à soutenir que la décision contestée a été prise sans avoir été procédé à un examen particulier, réel et sérieux de sa situation.

13. En deuxième lieu, aux termes des stipulations du premier paragraphe de

l'article 3 de la convention internationale de New-York du 26 janvier 1990 relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatives, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. ".

14. Pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point 5 pour ce qui qui concerne la situation de la jeune C..., il y a lieu d'écarter le moyen tiré de la violation des stipulations citées ci-dessus.

15. En troisième et dernier lieu, pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point 5, l'arrêté en litige n'est pas entaché d'une erreur manifeste dans l'appréciation portée par le préfet sur les conséquences de la décision sur la situation personnelle de M. H....

En ce qui concerne la décision portant refus de délai de départ volontaire :

16. En premier lieu, compte tenu de l'absence d'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français, M. H... ne saurait exciper de l'illégalité de cette décision à l'appui de sa contestation de la décision portant refus de délai de départ volontaire.

17. En second lieu, aux termes des dispositions du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur : " L'étranger auquel il est fait obligation de quitter le territoire français dispose d'un délai de départ volontaire de trente jours à compter de la notification de l'obligation de quitter le territoire français. (...) / Toutefois, l'autorité administrative peut, par une décision motivée, décider que l'étranger est obligé de quitter sans délai le territoire français : / 1° Si le comportement de l'étranger constitue une menace pour l'ordre public (...) 3° S'il existe un risque que l'étranger se soustraie à cette obligation. Ce risque peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : / a) Si l'étranger, qui ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour ; (...) / f) Si l'étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce qu'il ne peut présenter des documents d'identité ou de voyage en cours de validité, qu'il a refusé de communiquer les renseignements permettant d'établir son identité ou sa situation au regard du droit de circulation et de séjour ou a communiqué des renseignements inexacts, qu'il a refusé de se soumettre aux opérations de relevé d'empreintes digitales ou de prise de photographie prévues au deuxième alinéa de l'article L. 611-3, qu'il ne justifie pas d'une résidence effective et permanente dans un local affecté à son habitation principale ou qu'il s'est précédemment soustrait aux obligations prévues aux articles L. 513-4, L. 513-5, L. 552-4, L. 561-1, L. 561-2 et L. 742-2 ; (...) / h) Si l'étranger a explicitement déclaré son intention de ne pas se conformer à son obligation de quitter le territoire français (...) ".

18. D'une part, pour refuser d'accorder un délai de départ volontaire à M. H..., le préfet d'Eure-et-Loir s'est notamment fondé sur les dispositions du 1° et des a) f) et h) du 3° du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et sur les circonstances que le comportement de l'intéressé constituait une menace pour l'ordre public, qu'il n'a jamais été en mesure d'apporter la preuve de son entrée en France en 2009 et de présenter les documents sous couvert desquels il a voyagé, qu'il est démuni de tout document d'identité ou de voyage en cours de validité et qu'au surplus, il n'a jamais remis durant sa détention un document d'identité, qu'il n'établit pas résider chez ses parents comme il l'affirme et qu'il séjourne irrégulièrement sur le territoire français. Par suite, le préfet a pu, sans commettre d'erreur de droit, se fonder sur les dispositions précitées pour refuser d'accorder à l'intéressé un délai de départ volontaire.

19. D'autre part, compte tenu des très nombreuses infractions commises par M. H... depuis son arrivée en France alors que, de plus, certaines ont été commises en état de récidive et que la dernière est récente, ce qui lui a valu les condamnations citées au point 4, le préfet a pu, à bon droit, estimé que le comportement de l'intimé était de nature à constituer une menace pour l'ordre public. Ce motif est à lui seul suffisant pour justifier le refus d'accorder un délai de départ volontaire. Il ressort des pièces du dossier que le préfet aurait pris la même décision s'il n'avait retenu que ce seul motif. Par suite, la circonstance que les autres motifs seraient erronés est, à la supposer établie, sans incidence sur la légalité de la décision. M. H... n'est, par suite, pas fondé à soutenir que la décision contestée serait entachée d'une erreur d'appréciation.

En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :

20. Compte tenu de l'absence d'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français sans délai de départ, M. H... ne saurait exciper de l'illégalité de cette décision à l'appui de sa contestation de la décision fixant le pays de destination.

En ce qui concerne la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :

21. En premier lieu, compte tenu de l'absence d'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français sans délai de départ, M. H... ne saurait exciper de l'illégalité de cette décision à l'appui de sa contestation de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français.

22. En deuxième lieu, aux termes du III. de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur : " L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de sa notification, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger ou lorsque l'étranger n'a pas satisfait à cette obligation dans le délai imparti. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour. / (...) / La durée de l'interdiction de retour mentionnée au premier alinéa du présent III ainsi que le prononcé et la durée de l'interdiction de retour mentionnée au quatrième alinéa sont décidés par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français (...) ".

23. Il ressort des termes mêmes de ces dispositions que l'autorité compétente doit, pour décider de prononcer à l'encontre de l'étranger soumis à l'obligation de quitter le territoire français une interdiction de retour et en fixer la durée, tenir compte, dans le respect des principes constitutionnels, des principes généraux du droit et des règles résultant des engagements internationaux de la France, des quatre critères qu'elles énumèrent, sans pouvoir se limiter à ne prendre en compte que l'un ou plusieurs d'entre eux. La décision d'interdiction de retour doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement de sorte que son destinataire puisse à sa seule lecture en connaître les motifs. Si cette motivation doit attester de la prise en compte par l'autorité compétente, au vu de la situation de l'intéressé, de l'ensemble des critères prévus par la loi, aucune règle n'impose que le principe et la durée de l'interdiction de retour fassent l'objet de motivations distinctes, ni que soit indiquée l'importance accordée à chaque critère.

24. Il incombe ainsi à l'autorité compétente qui prend une décision d'interdiction de retour d'indiquer dans quel cas susceptible de justifier une telle mesure se trouve l'étranger. Elle doit par ailleurs faire état des éléments de la situation de l'intéressé au vu desquels elle a arrêté, dans son principe et dans sa durée, sa décision, eu égard notamment à la durée de la présence de l'étranger sur le territoire français, à la nature et à l'ancienneté de ses liens avec la France et à la menace à l'ordre public que présente le comportement de l'étranger. Elle peut, le cas échéant, prendre en compte les précédentes mesures d'éloignement dont il a fait l'objet. En revanche, si, après prise en compte de ce dernier critère, elle ne retient pas cette circonstance au nombre des motifs de sa décision, elle n'est pas tenue, à peine d'irrégularité, de le préciser expressément.

25. La décision prononçant à l'encontre de M. H... une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans vise le III de l'article L. 511-1 précité. Elle mentionne, ainsi qu'il a été dit, la date présumée de son arrivée en France et, par suite, la durée de son séjour, le comportement de l'intéressé qui constitue une menace pour l'ordre public et ses liens familiaux en France. Elle fait état également du jugement du tribunal correctionnel de Blois du 7 février 2007 condamnant l'intéressé pour soustraction à l'exécution d'une mesure de reconduite à la frontière, entrée ou séjour irrégulier d'un étranger en France. Alors même que le préfet n'aurait pas précisé expressément si M. H... avait déjà fait ou non l'objet d'une mesure d'éloignement, la décision en litige atteste de la prise en compte par le préfet de l'ensemble des critères prévus par la loi. Par suite, les moyens tirés de ce que la décision prononçant une interdiction de retour à l'encontre de M. H... serait insuffisamment motivée et entachée d'une erreur de droit au regard des dispositions précitées du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour ne pas avoir pris en compte l'ensemble des critères prévus par ces dispositions doivent être écartés.

26. En troisième lieu, il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi d'un moyen en ce sens, de rechercher si les motifs qu'invoque l'autorité compétente sont de nature à justifier légalement dans son principe et sa durée la décision d'interdiction de retour et si la décision ne porte pas au droit de l'étranger au respect de sa vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise

27. Pour alléguer que la décision contestée lui faisant interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de trois ans serait illégale, M. H... reprend les moyens précédemment développés en invoquant la présence de sa fille en France. Toutefois, eu égard à l'ensemble des critères pris en compte par le préfet rappelé au point 24 et à ce qui a été dit au point 5 s'agissant des relations de l'intimé avec sa fille, la durée de trois ans d'interdiction de retour en France en litige n'est pas disproportionnée.

28. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet d'Eure-et-Loir est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rennes a annulé son arrêté du 24 février 2021.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

29. Le présent arrêt n'impliquant pas de mesures d'exécution, les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte présentées par M. H... doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

30. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'État, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement, par application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, à l'avocat de M. H... J... la somme demandée au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D É C I D E:

Article 1er : Le jugement n°2101055 rendu le 4 mars 2021 par le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rennes est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. H... devant le tribunal administratif de Rennes et ses conclusions d'appel sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. K... H... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera transmise au préfet d'Eure-et-Loir.

Délibéré après l'audience du 4 novembre 2021, à laquelle siégeaient :

- M. Salvi, président,

- M. L'hirondel, premier conseiller,

- M. Catroux, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 novembre 2021.

Le rapporteur,

M. L'HIRONDELLe président,

D. SALVI

La greffière,

A. MARTIN

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 21NT00964


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NT00964
Date de la décision : 19/11/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. SALVI
Rapporteur ?: M. Michel LHIRONDEL
Rapporteur public ?: M. BERTHON
Avocat(s) : CENTAURE AVOCATS CLAISSE

Origine de la décision
Date de l'import : 30/11/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2021-11-19;21nt00964 ?
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