Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société à responsabilité limitée (SARL) Kerinvest a demandé au tribunal administratif de Rennes de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre des années 2010 à 2012, pour un montant de 82 447 euros.
Par un jugement n° 1503210 du 29 novembre 2017, le tribunal administratif de Rennes a prononcé cette décharge.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 27 février 2018 et 7 janvier 2019, le ministre de l'action et des comptes publics demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de remettre à la charge de la SARL Kerinvest, en droits et pénalités, les rappels de taxe sur la valeur ajoutée.
Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal administratif de Rennes a considéré que la société n'avait pas été mise en mesure de saisir l'interlocuteur régional et a, pour ce motif tiré de l'irrégularité de la procédure d'imposition, prononcé la décharge des impositions en litige ;
- les rappels de taxe sur la valeur ajoutée contestés ne portant pas sur la période de quatre mois ayant fait l'objet d'une imposition d'office ; la critique de la société sur le recours à cette procédure de taxation d'office est dès lors inopérante ;
- la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires n'était pas compétente en matière de taxe sur la valeur ajoutée ;
- le rappel de taxe sur la facture " Solis " est justifié par le fait que le logement était occupé par M. et Mme C... de longue date ;
- s'agissant de la régularisation de la taxe déduite sur les aménagements du domaine de Patras, la documentation administrative ne peut utilement être invoquée dès lors qu'elle concerne les immeubles ; la société ne peut invoquer l'existence d'un cas de force majeure, dès lors que la rectification n'a pas fait l'objet d'une taxation d'office ;
- il en va de même pour la régularisation des aménagements du centre équestre.
Par un mémoire en défense enregistré le 26 octobre 2018, la société Kerinvest, représentée par Me B..., demande à la cour de rejeter la requête et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que les moyens invoqués ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- et les conclusions de Mme Chollet, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La SARL Kerinvest a fait l'objet d'une vérification de comptabilité qui a porté en matière de taxe sur la valeur ajoutée sur la période du 1er janvier 2010 au 30 septembre 2012. L'administration a procédé à des rappels de taxe sur la valeur ajoutée pour non-respect des règles gouvernant le droit à déduction. Après la mise en recouvrement des rappels et le rejet de sa réclamation préalable, la société a demandé au tribunal administratif de Rennes de prononcer la décharge de ces rappels de taxe sur la valeur ajoutée, pour un montant, en droits et pénalités, de 82 447 euros. Le tribunal administratif de Rennes a fait droit à sa demande par un jugement du 29 novembre 2017. Le ministre de l'action et des comptes publics relève appel de ce jugement.
2. Aux termes du dernier alinéa de l'article L. 10 du livre des procédures fiscales : " Avant l'engagement d'une des vérifications prévues aux articles L. 12 et L. 13, l'administration des impôts remet au contribuable la charte des droits et obligations du contribuable vérifié ; les dispositions contenues dans la charte sont opposables à l'administration ". Le paragraphe 5 du chapitre III de cette charte indique que : " Si le vérificateur a maintenu totalement ou partiellement les redressements envisagés, des éclaircissements supplémentaires peuvent vous être fournis si nécessaire par l'inspecteur principal (...) Si après ces contacts des divergences importantes subsistent, vous pouvez faire appel à l'interlocuteur départemental qui est un fonctionnaire de rang élevé spécialement désigné par le directeur dont dépend le vérificateur ".
3. La SARL Kerinvest a sollicité le 25 mars 2014 un entretien avec le chef de la 3ème brigade départementale de vérification de Valence. A la suite de cet entretien, qui a eu lieu le 3 juin 2014, un compte-rendu daté du 19 août 2014 a été adressé par voie postale au siège de la société. L'administration produit l'accusé de réception de ce courrier faisant état d'une distribution du pli le 21 août 2014.
4. La société fait d'abord valoir qu'elle avait informé l'administration fiscale, dès le mois d'avril 2014, de son élection de domicile auprès d'un mandataire, le cabinet d'avocats Dévès-Quino. Toutefois, en dépit de cette élection de domicile, la notification du compte-rendu de l'entretien avec le supérieur hiérarchique au siège de la société est réputée régulière s'il est établi que le pli de notification a été effectivement retiré par le contribuable ou par l'un de ses préposés.
5. La société fait ensuite valoir que le pli n'a pas été réceptionné par un préposé et qu'elle n'a pas pu identifier la personne qui a réceptionné le pli. Toutefois, et contrairement à ce que soutient la société, il lui appartient de démontrer que la personne qui a réceptionné le pli n'était pas habilitée pour ce faire. Dès lors, la société n'établit pas qu'elle n'a pas reçu le compte-rendu de l'entretien avec le chef de brigade. Au demeurant, l'administration a versé aux débats un courrier daté du 15 avril 2014, que la société a admis avoir reçu, et dont l'accusé de réception porte la même signature que celle figurant sur l'accusé de réception du 21 août 2014.
6. Il résulte de ce qui précède que la société doit être regardée comme ayant eu connaissance du compte-rendu de l'entretien avec le chef de la 3ème brigade départementale de vérification de Valence le 21 août 2014. Elle était ainsi informée, à cette date, de la persistance d'un désaccord avec le service et était donc en mesure de saisir l'interlocuteur régional. Par suite, le ministre est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Rennes s'est fondé, pour prononcer la décharge des impositions litigieuses, sur le fait que la société n'avait pas été mise en mesure de saisir l'interlocuteur régional.
7. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la SARL Kerinvest tant devant le tribunal administratif de Rennes que devant la cour.
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
8. En premier lieu, il est constant que si la société a fait l'objet d'une taxation d'office pour les mois de juillet 2010, février 2012, mars 2012 et juin 2012 en raison de l'absence de dépôt de déclaration de taxe sur la valeur ajoutée dans le délai légal, les rappels de taxe sur la valeur ajoutée en litige ne portent pas sur ces quatre mois. Par suite, la société ne peut utilement contester le recours à la procédure de taxation d'office.
9. En second lieu, la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires n'est pas compétente pour connaître des matières autres que celles pour lesquelles sa compétence est expressément prévue par les dispositions du I de l'article L. 59 A du livre des procédures fiscales. Elle n'est ainsi pas compétente pour se prononcer sur les litiges relatifs à la taxe sur la valeur ajoutée. Si la société Kerinvest fait valoir qu'elle a seulement sollicité la commission pour qu'elle se prononce sur l'existence d'un cas de force majeure, il n'en demeure pas moins que le litige portait sur des rappels de taxe sur la valeur ajoutée. La commission départementale n'était donc pas compétente pour en connaître. Il suit de là que la société Kerinvest n'est pas fondée à soutenir qu'elle a été privée de la possibilité de saisir la commission départementale.
Sur le bien-fondé des impositions :
En ce qui concerne l'application de la loi fiscale :
10. En premier lieu, aux termes de l'article 205 de l'annexe II au code général des impôts : " La taxe sur la valeur ajoutée grevant un bien ou un service qu'un assujetti à cette taxe acquiert, importe ou se livre à lui-même est déductible à proportion de son coefficient de déduction. ". L'article 206 de cette même annexe prévoit que : " I. Le coefficient de déduction mentionné à l'article 205 est égal au produit des coefficients d'assujettissement, de taxation et d'admission. II. Le coefficient d'assujettissement d'un bien ou d'un service est égal à sa proportion d'utilisation pour la réalisation d'opérations imposables. Les opérations imposables s'entendent des opérations situées dans le champ d'application de la taxe sur la valeur ajoutée en vertu des articles 256 et suivants du code général des impôts, qu'elles soient imposées ou légalement exonérées (...) IV. 1. Le coefficient d'admission d'un bien ou d'un service est égal à l'unité, sauf dans les cas décrits aux 2 à 4. 2. Le coefficient d'admission est nul dans les cas suivants : (...) 2° Lorsque le bien ou le service est relatif à la fourniture à titre gratuit du logement des dirigeants ou du personnel de l'entreprise, à l'exception de celui du personnel de gardiennage, de sécurité ou de surveillance sur les chantiers ou dans les locaux de l'entreprise (...) ".
11. Le 27 janvier 2010, la SARL Kerinvest a vendu le domaine des Patras, qu'elle avait acquis le 6 février 1995, à la société civile immobilière (SCI) Cortiazo Invest pour un montant de 1 200 000 euros. L'agence Solis immobilier a établi une facture de 120 000 euros toutes taxes comprises pour son intervention dans la vente du domaine. La taxe sur la valeur ajoutée de cette facture a été déduite par la société. Le service a toutefois constaté que l'équivalent du quart du montant de ce domaine était mis à disposition, à titre gratuit, des dirigeants de la société, M. et Mme C.... Il a alors remis en cause la déduction du quart du montant de la taxe sur la valeur ajoutée de la facture établie par l'agence Solis. La société Kerinvest conteste cette remise en cause, en faisant valoir que le logement utilisé par M. et Mme C... était en réalité un logement censé être mis à disposition du personnel de gardiennage et qu'il n'a pu l'être en raison d'un cas de force majeure. Elle précise que M. C..., entre mars 2009 et octobre 2012, n'aurait pas dû être gérant de la société, comme l'a reconnu la cour d'appel de Grenoble dans son arrêt du 17 octobre 2012, et que l'occupation de ce logement ne saurait donc être prise en compte. Toutefois, l'administration fait valoir sans être contredite que le logement situé dans le domaine de Patras était occupé de longue date par M. et Mme C.... Ainsi, à supposer même que l'occupation de ce logement par M. et Mme C... entre 2009 et 2012 ne pût être pris en compte, la société n'établit pas, en tout état de cause, que le logement était occupé, avant cette période, par le personnel de gardiennage. Il suit de là que c'est à bon droit que l'administration a remis en cause cette déduction.
12. En deuxième lieu, aux termes de l'article 207 de l'annexe II au code général des impôts : " I. Sous réserve des dispositions qui suivent, la déduction opérée dans les conditions mentionnées aux articles 205 et 206 est définitivement acquise à l'entreprise. II.1. Pour les biens immobilisés, une régularisation de la taxe initialement déduite est opérée chaque année pendant cinq ans, dont celle au cours de laquelle ils ont été acquis, importés, achevés, utilisés pour la première fois ou transférés entre secteurs d'activité constitués en application de l'article 209. 2. Chaque année, la régularisation est égale au cinquième du produit de la taxe initiale par la différence entre le coefficient de déduction de l'année et le coefficient de déduction de référence mentionné au 2 du V. Elle prend la forme d'une déduction complémentaire si cette différence est positive, d'un reversement dans le cas contraire. 3. Par dérogation à la durée mentionnée au 1 et à la fraction mentionnée au 2, cette régularisation s'opère pour les immeubles immobilisés par vingtième pendant vingt années. (...) III.1. Une régularisation de la taxe initialement déduite et grevant un bien immobilisé est également opérée : 1°) Lorsqu'il est cédé ou apporté, sans que cette opération soit soumise à la taxe sur le prix total, sur la valeur totale ou dans les conditions fixées à l'article 268 du code général des impôts, ou est transféré entre secteurs d'activité constitués en application de l'article 209 ; 2° Lorsqu'il est cédé ou apporté, et que cette opération est soumise à la taxe sur le prix total, sur la valeur totale ou dans les conditions fixées à l'article 268 du code général des impôts ; 3° Lorsque la réglementation modifie la valeur de son coefficient d'admission en cours d'utilisation ; 4° Lorsqu'il vient en cours d'utilisation à être utilisé à des opérations ouvrant droit à déduction ou, sous réserve du 5°, lorsqu'il cesse d'être utilisé à des opérations ouvrant droit à déduction ; 5° Lorsqu'il cesse d'être utilisé à des opérations imposables (...) ".
13. Après l'acquisition du domaine de Patras, la société Kerinvest a entrepris des travaux d'aménagement et de construction qui ont donné lieu à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée. La vente de ce domaine n'ayant pas été soumise à la taxe sur la valeur ajoutée, une régularisation par vingtième aurait dû être opérée, en application des dispositions citées ci-dessus. Constatant que cette régularisation n'avait pas été effectuée, le service a ainsi procédé aux rappels de taxe qui en découlent. La société, pour contester ces rappels de taxe sur la valeur ajoutée, oppose l'existence d'un cas de force majeure. Elle fait plus précisément valoir que la vente de ce domaine a été décidée par le gérant de l'époque, M. C..., qui avait irrégulièrement pris le contrôle de la société. La cour d'appel de Grenoble, dans un arrêt du 17 octobre 2012, a effectivement jugé que M. C... avait irrégulièrement réalisé le nantissement des parts de la société Kerinvest à son profit, et n'était donc pas propriétaire de ces parts pendant cette période. Toutefois, cette circonstance ne saurait être prise en compte par l'administration dès lors qu'il est constant que la vente du domaine n'a pas été annulée. La société n'utilisant plus ce bien depuis sa vente en 2010, l'administration était fondée à remettre en cause les déductions relatives aux aménagements réalisés sur ce bien, indépendamment de la régularité du mandat de gestion détenu par M. C... en 2010. En outre, aucune majoration n'a été appliquée par le service. Par suite, la société n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que l'administration a procédé aux rappels de taxe relatifs à cette régularisation.
14. En troisième lieu, la société Kerinvest a fait réaliser des aménagements équestres sur des parcelles louées depuis 1995 à M. D.... Le bail rural à long terme a été résilié le 1er novembre 2010. La société Kerinvest a alors renoncé à percevoir une indemnité pour les aménagements qu'elle avait réalisés sur ce terrain. Estimant que la société aurait dû procéder à des régularisations des déductions de taxe sur la valeur ajoutée en application de l'article 207 de l'annexe II au code général des impôts, le service a procédé aux rappels qui en découlent. Aucune majoration n'a été appliquée par le service. Pour contester ces rappels, la société Kerinvest invoque de nouveau l'existence d'un cas de force majeure. Toutefois, pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 13 du présent arrêt, cet argument ne saurait valablement faire obstacle à l'imposition ici en cause.
En ce qui concerne l'interprétation administrative de la loi fiscale :
15. Si la société se prévaut d'une note de l'administration du 17 juillet 1984 (III D-5-84) et de la documentation administrative référencée 3 D 1411 n° 22 du 2 novembre 1996, le seul fait que le mandat de M. C... était irrégulier au moment de la cession du domaine de Patras et de la résiliation du bail rural ne saurait constituer un vol ou un détournement.
16. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'action et des comptes publics est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a prononcé la décharge, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à la charge de la SARL Kerinvest au titre des années 2010 à 2012, pour un montant de 82 447 euros et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais liés au litige.
Sur les frais liés au litige :
17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit à la demande présentée par la société Kerinvest, partie perdante, au titre des frais liés au litige.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Rennes du 29 novembre 2017 est annulé.
Article 2 : Les rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à la charge, en droits et pénalités, de la SARL Kerinvest au titre des années 2010 à 2012 sont remis à la charge de la société.
Article 3 : Les conclusions d'appel de la SARL Kerinvest tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société à responsabilité limitée Kerinvest et au ministre de l'action et des comptes publics.
Délibéré après l'audience du 6 janvier 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Bataille, président de chambre,
- M. Geffray, président assesseur,
- M. A..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 23 janvier 2020.
Le rapporteur,
H. A...Le président,
F. Bataille
Le greffier,
C. Croiger
La République mande et ordonne au ministre de l'action et des comptes publics, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18NT00878