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19/03/2019 | FRANCE | N°18NT03694

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 6ème chambre, 19 mars 2019, 18NT03694


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B...A...a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler les arrêtés du 18 septembre 2018 du préfet du Calvados portant transfert aux autorités italiennes et l'assignant à résidence.

Par un jugement n° 1802225 du 21 septembre 2018, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Caen a annulé ces deux arrêtés et a enjoint au préfet de réexaminer le cas de M. A...et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés respectivement le 4 octobre 2018 et le 7 décembre 2018, l...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B...A...a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler les arrêtés du 18 septembre 2018 du préfet du Calvados portant transfert aux autorités italiennes et l'assignant à résidence.

Par un jugement n° 1802225 du 21 septembre 2018, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Caen a annulé ces deux arrêtés et a enjoint au préfet de réexaminer le cas de M. A...et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés respectivement le 4 octobre 2018 et le 7 décembre 2018, le préfet du Calvados demande à la cour d'annuler ce jugement de la magistrate désignée du 21 septembre 2018.

Le préfet soutient que :

- c'est à tort que le premier juge a estimé que l'état de santé de M. A...justifiait qu'il soit fait application de l'article 17 du règlement dit " Dublin 3 ". En effet, cet état de santé n'interdisait pas un déplacement vers l'Autriche.

- le premier juge a commis une erreur de droit en lui enjoignant de délivrer à M. A... une autorisation provisoire de séjour alors que ce dernier ne peut pas y prétendre dès lors qu'il relève du régime des demandeurs d'asile.

Par un mémoire en défense enregistré le 23 novembre 2018, M.A..., représenté par Me Lelouey, conclut au rejet de la requête et à ce que lui soit versée une somme de 1200 euros en application de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Il soutient qu'aucun des moyens allégués par le préfet n'est fondé.

Par décision du 18 décembre 2018, M. A...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- l'arrêté du 9 octobre 2015 pris en application de l'article L. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Lenoir, président

- les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M.A..., ressortissant géorgien, est entré irrégulièrement sur le territoire français le 20 juin 2018 et a sollicité la reconnaissance du statut de réfugié auprès de la préfecture du Calvados le 11 juillet 2018. La consultation du fichier Eurodac a révélé que ses empreintes avaient été relevées une première fois en Autriche. Le préfet du Calvados a alors saisi le 18 juillet 2018 les autorités de ce pays d'une demande de reprise en charge de cet étranger sur le fondement du b) du 1 de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Les autorités autrichiennes ont explicitement accepté cette reprise en charge le 20 juillet 2018. Par un arrêté du 18 septembre 2018, le préfet du Calvados a prononcé la remise de M. A... aux autorités autrichiennes considérées comme étant responsables de sa demande d'asile et, par un deuxième arrêté en date du même jour, a assigné ce dernier à résidence dans les limites du département du Calvados en lui faisant obligation de se présenter à l'hôtel de police de Caen trois jours par semaine. Par jugement du 21 septembre 2018, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Caen a annulé ces arrêtés. Le 4 octobre 2018, le préfet du Calvados a demandé à la cour de prononcer l'annulation de ce jugement.

Sur le bien-fondé de l'annulation prononcée par le premier juge :

2. Aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement ". La faculté ainsi laissée à chaque Etat membre de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile. Ces derniers ne peuvent critiquer le refus qui leur a été opposé que s'ils démontrent que le préfet a commis, en refusant de faire application de cet article, une erreur manifeste d'appréciation.

3. En l'occurrence, il ressort des pièces du dossier et n'est contesté par le préfet que M. A..., victime d'un choc traumatique permanent causé par une blessure par balles, doit se déplacer avec une sonde urinaire, souffre de douleurs aigues persistantes et peut difficilement se mouvoir ou se tenir debout. Par ailleurs, le requérant démontre, par la production de certificats médicaux circonstanciés, qui ne sont pas utilement démentis par le préfet, qu'il n'était pas en mesure, à la date à laquelle a été prise la décision de le transférer vers l'Autriche, de voyager à destination de ce pays. Par suite, c'est à bon droit que le premier juge a estimé que le préfet du Calvados avait commis une erreur manifeste en ce qui concerne son appréciation quant à la possibilité pour M. A...de voyager vers l'Autriche et en refusant en conséquence de faire application des dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 en ce qui concerne l'examen du cas de ce demandeur d'asile.

Sur le bien-fondé de l'injonction prononcée par le premier juge :

4. L'article L.741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose, dans sa rédaction applicable à la présente espèce, que : " Tout étranger présent sur le territoire français et souhaitant demander l'asile se présente en personne à l'autorité administrative compétente, qui enregistre sa demande et procède à la détermination de l'Etat responsable en application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ou en application d'engagements identiques à ceux prévus par le même règlement, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat (...) Lorsque l'enregistrement de sa demande d'asile a été effectué, l'étranger se voit remettre une attestation de demande d'asile dont les conditions de délivrance et de renouvellement sont fixées par décret en Conseil d'Etat. La durée de validité de l'attestation est fixée par arrêté du ministre chargé de l'asile (...). Selon l'article L. 742-1 du même code, applicable dans les mêmes conditions : " Lorsque l'autorité administrative estime que l'examen d'une demande d'asile relève de la compétence d'un autre Etat qu'elle entend requérir, l'étranger bénéficie du droit de se maintenir sur le territoire français jusqu'à la fin de la procédure de détermination de l'Etat responsable de l'examen de sa demande et, le cas échéant, jusqu'à son transfert effectif à destination de cet Etat. L'attestation délivrée en application de l'article L. 741-1 mentionne la procédure dont il fait l'objet. Elle est renouvelable durant la procédure de détermination de l'Etat responsable et, le cas échéant, jusqu'à son transfert effectif à destination de cet Etat (...) ". L'article L. 742-6 du même code, applicable dans les mêmes conditions, dispose que : " Si la décision de transfert est annulée (...) L'autorité administrative statue à nouveau sur le cas de l'intéressé ". L'article R. 742-2 du même code, applicable selon les mêmes modalités que précédemment, précise que : (...) le demandeur d'asile est mis en possession de l'attestation de demande d'asile mentionnée à l'article L. 742-1. Elle précise que l'étranger fait l'objet d'une procédure en application du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013. Cette attestation ne permet pas de circuler librement dans les autres Etats membres de l'Union européenne. ". Enfin, selon l'article 2 de l'arrêté du 9 octobre 2015 mentionné plus haut : " La durée initiale de l'attestation de demande d'asile visée à l'article L. 742-1 du même code est fixée à un mois. Elle est renouvelable par période de quatre mois ".

5. Il résulte de l'ensemble de ces dispositions que l'étranger demandeur d'asile susceptible de faire l'objet, en application de l'article L. 742-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, d'une décision de transfert vers un autre pays membre de l'Union européenne, bénéficie du droit de se maintenir sur le territoire français jusqu'à son transfert effectif vers ce pays. Ce droit est matérialisé par la délivrance de l'attestation de demandeur d'asile mentionnée par le même article, laquelle doit être renouvelée, selon les modalités prévues par l'article 2 de l'arrêté du 9 octobre 2015, jusqu'au transfert effectif de l'étranger vers le pays susceptible de l'accueillir, et doit donc être renouvelée si nécessaire lorsque le préfet, par application de l'article L. 742-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, statue à nouveau sur le cas de l'étranger. En revanche, et depuis la mise en oeuvre, au 1er novembre 2015, des nouvelles rédactions des articles R. 742-1 et R. 742-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, il n'est aucunement prévu par ces textes que l'étranger demandeur d'asile se voit attribuer une autorisation provisoire de séjour spécifique.

6. Dès lors que, par le jugement attaqué, le premier juge a annulé l'arrêté du 18 septembre 2018 du préfet du Calvados ordonnant le transfert de M. A...aux autorités autrichiennes, l'exécution de cette décision impliquait seulement que cette autorité se prononce à nouveau sur la situation de cet étranger, avec comme conséquence nécessaire l'octroi ou le renouvellement à celui-ci de l'attestation mentionnée au point 5. Par suite, le préfet est fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'article 3 du jugement attaqué, le premier juge lui a enjoint de délivrer à M. A...une autorisation provisoire de séjour et donc à demander l'annulation de ce jugement dans cette seule mesure.

Sur les frais liés au litige :

7. M. A...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale et peut être considéré comme étant la partie principalement gagnante dans cette instance. Son avocate peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Lelouey, avocate de l'intéressé, d'une somme de 1 000 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1802225 du 21 septembre 2018 de la magistrate désignée du tribunal administratif de Caen est annulé en tant seulement que, par son article 3, il a enjoint au préfet de délivrer à M. A... une autorisation provisoire de séjour.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête du préfet du Calvados est rejeté.

Article 3 : Il est mis à la charge de l'Etat le versement à Me Lelouey, dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991, d'une somme de 1 000 euros en application de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M.A....

Copie en sera transmise, pour information, au préfet du Calvados.

Délibéré après l'audience du 1er mars 2019, à laquelle siégeaient :

- M. Lenoir, président de chambre,

- M. Francfort, président-assesseur,

- M. Pons, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 19 mars 2019.

Le président- rapporteur,

H. LENOIRLe président-assesseur

J. FRANCFORT

La greffière,

E. HAUBOIS

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 18NT03694


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 18NT03694
Date de la décision : 19/03/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LENOIR
Rapporteur ?: M. Hubert LENOIR
Rapporteur public ?: M. LEMOINE
Avocat(s) : LELOUEY

Origine de la décision
Date de l'import : 21/03/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2019-03-19;18nt03694 ?
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