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07/04/2015 | FRANCE | N°13NT02434

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 07 avril 2015, 13NT02434


Vu la requête, enregistrée le 20 août 2013, présentée pour Mme D...A..., demeurant au..., par Me Teissonnière, avocat au barreau de Paris ;

Mme A... demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1201177 du 9 juillet 2013 par lequel le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande tendant l'annulation de la décision du 8 février 2012 par laquelle le ministre de la défense et des anciens combattants a rejeté sa demande présentée sur le fondement de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléa

ires français ;

2°) d'annuler cette décision ;

3°) d'enjoindre au ministre de...

Vu la requête, enregistrée le 20 août 2013, présentée pour Mme D...A..., demeurant au..., par Me Teissonnière, avocat au barreau de Paris ;

Mme A... demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1201177 du 9 juillet 2013 par lequel le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande tendant l'annulation de la décision du 8 février 2012 par laquelle le ministre de la défense et des anciens combattants a rejeté sa demande présentée sur le fondement de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ;

2°) d'annuler cette décision ;

3°) d'enjoindre au ministre de saisir le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) pour qu'il procède à l'évaluation des préjudices de toute nature imputables à la maladie radio-induite dont était atteint M. B...A... ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les dépens incluant les frais de timbres ;

elle soutient que :

- les conditions posées par la loi du 5 janvier 2010 pour bénéficier de la présomption d'imputabilité de la maladie sont remplies : condition médicale (cancer du poumon) et condition géographique (résidence entre le 25 avril et le 26 septembre 1972 sur l'atoll d'Hao) ;

- il appartient au ministre de prouver que le risque était négligeable et de justifier de la méthode retenue ;

- la méthode d'évaluation du risque retenue vide la loi de sens ;

- la notion de dose de rayonnement a été réintroduite alors qu'elle avait été écartée par la loi ;

- les résultats de dosimétrie externe ou d'ambiance ne rendent pas compte de la contamination par inhalation et ingestion de poussières et de gaz ; les examens de contamination interne ont été effectués plusieurs semaines après la fin de la campagne de tirs de 1972 ;

- les rapports de synthèse relatifs aux campagnes de tirs ont montré une volonté de dissimulation de la réalité de la contamination de la part des autorités militaires ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 12 mai 2014, présenté par le ministre de la défense, qui conclut au rejet de la requête ;

il soutient que :

- il n'est pas contesté que M. A...bénéficiait de la présomption de causalité ;

- mais l'ensemble des conditions d'exposition de l'intéressé permet de renverser cette présomption ;

- le calcul de probabilité de causalité est effectué conformément aux dispositions de l'article 7 du décret du 11 juin 2010 ;

- une probabilité de causalité inférieure à 1 % conduit au rejet de la demande ;

Vu le courrier en date du 20 octobre 2014 adressé aux parties en application de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative ;

Vu l'ordonnance en date du 20 novembre 2014 portant clôture immédiate de l'instruction en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ;

Vu le décret n° 2010-653 du 11 juin 2010 modifié pris en application de la loi relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 17 mars 2015 :

- le rapport de M. Madelaine, faisant fonction de premier conseiller,

- les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public ;

- les observations de MeC..., représentant MmeA... ;

1. Considérant que M.A..., appelé du contingent, a été affecté, en qualité de décontamineur, à la base de Hao du Centre d'expérimentations du Pacifique, du 25 avril au 26 septembre 1972, pendant une campagne d'essais nucléaires durant laquelle ont eu lieu cinq tirs; qu'il a été atteint d'un cancer du poumon, diagnostiqué en 1999 et dont il est décédé en novembre 2000 ; que sa veuve a présenté une demande d'indemnisation sur le fondement de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ; que, lors de sa séance du 1er juin 2011, le Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) a estimé que le risque attribuable aux essais nucléaires dans la survenue du cancer pouvait être regardé comme négligeable ; qu'au vu de cette recommandation, le ministre de la défense et des anciens combattants a, par décision du 8 février 2012, rejeté cette demande ; que Mme A...relève appel du jugement du 9 juillet 2013 par lequel le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa requête tendant, d'une part, à l'annulation de cette décision et, d'autre part, à ce que le tribunal ordonne une expertise médicale en vue de l'indemnisation intégrale des préjudices subis par son mari ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 5 janvier 2010 susvisée : " Toute personne souffrant d'une maladie radio-induite résultant d'une exposition à des rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et inscrite sur une liste fixée par décret en Conseil d'Etat conformément aux travaux reconnus par la communauté scientifique internationale peut obtenir réparation intégrale de son préjudice dans les conditions prévues par la présente loi. " ; qu'aux termes de l'article 2 de cette loi dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision contestée : " La personne souffrant d'une pathologie radio-induite doit avoir résidé ou séjourné : (...) 2° Soit entre le 2 juillet 1966 et le 31 décembre 1998 dans les atolls de Mururoa et Fangataufa, ou entre le 2 juillet 1966 et le 31 décembre 1974 dans des zones exposées de Polynésie française inscrites dans un secteur angulaire ; 3° Soit entre le 2 juillet 1966 et le 31 décembre 1998 dans certaines zones de l'atoll de Hao ; 4° Soit entre le 19 juillet 1974 et le 31 décembre 1974 dans certaines zones de l'île de Tahiti. Un décret en Conseil d'Etat délimite les zones périphériques mentionnées au 1°, les zones inscrites dans le secteur angulaire mentionné au 2°, ainsi que les zones mentionnées aux 3° et 4° " ; que, selon l'article 4 de cette loi : " I. - Les demandes individuelles d'indemnisation sont soumises à un comité d'indemnisation (...). / II. - Ce comité examine si les conditions de l'indemnisation sont réunies. Lorsqu'elles le sont, l'intéressé bénéficie d'une présomption de causalité à moins qu'au regard de la nature de la maladie et des conditions de son exposition le risque attribuable aux essais nucléaires puisse être considéré comme négligeable. Le comité procède ou fait procéder à toute investigation scientifique ou médicale utile, sans que puisse lui être opposé le secret professionnel. Il peut requérir de tout service de l'Etat, collectivité publique, organisme gestionnaire de prestations sociales ou assureur communication de tous renseignements nécessaires à l'instruction de la demande. (...) / III. - (...) le comité présente au ministre de la défense une recommandation sur les suites qu'il convient de (...) donner. (...) le ministre, au vu de cette recommandation, notifie son offre d'indemnisation à l'intéressé ou le rejet motivé de sa demande. (...) " ; qu'aux termes de l'article 1er du décret du 11 juin 2010 susvisé, pris en application de cette loi, en vigueur à la date de la décision contestée : " La liste des maladies mentionnée à l'article 1er de la loi du 5 janvier 2010 susvisée est annexée au présent décret " ; qu'aux termes de cette annexe : " Liste des maladies radio-induites mentionnées à l'article 1er de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français / Désignation des maladies / (...) / Cancer du poumon (...) " ; que l'article 7 du décret du 11 juin 2010 dispose que : " La présomption de causalité prévue au II de l'article 4 de la loi du 5 janvier 2010 susvisée bénéficie au demandeur lorsqu'il souffre de l'une des maladies radio-induites mentionnées à l'annexe du présent décret et qu'il a résidé ou séjourné dans l'une des zones définies à l'article 2 de la loi du 5 janvier 2010 susvisée et à l'article 2 du présent décret. Cette présomption ne peut être écartée que si le risque attribuable aux essais nucléaires peut être considéré comme négligeable au regard de la nature de la maladie et des conditions de l'exposition aux rayonnements ionisants./ Le comité d'indemnisation détermine la méthode qu'il retient pour formuler sa recommandation au ministre en s'appuyant sur les méthodologies recommandées par l'Agence internationale de l'énergie atomique./ La documentation relative aux méthodes retenues par le comité d'indemnisation est tenue à la disposition des demandeurs. " ;

3. Considérant qu'il résulte des dispositions citées au point 2 du présent arrêt que le législateur a instauré une présomption de causalité au profit de la personne s'estimant victime des essais nucléaires si celle-ci souffre d'une maladie inscrite sur la liste fixée par le décret du 11 juin 2010 et a séjourné, au cours d'une période déterminée, dans l'une des zones géographiques de rayonnement ionisant ; que, toutefois, alors même que le demandeur remplit les conditions d'indemnisation fixées par l'article 1er de la loi du 5 janvier 2010, cette présomption peut être renversée si le ministre établit, au vu de la recommandation du comité d'indemnisation, à qui la demande a été soumise, que le risque attribuable aux essais nucléaires peut être regardé comme négligeable au regard de la nature de la maladie de l'intéressé et des conditions de son exposition aux rayonnements ionisants ; que, conformément à l'article 7 du décret du 11 juin 2010, le comité s'appuie sur les méthodes recommandées par l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) et se réfère à l'ensemble de la documentation scientifique disponible relative aux effets des rayons ionisants, ainsi qu'aux études épidémiologiques validées par la communauté scientifique internationale ;

4. Considérant qu'il est constant que M. A...a séjourné dans une des zones définies par les dispositions précitées, pendant une période prévue par ces mêmes dispositions et qu'il a été atteint d'une maladie radio-induite inscrite sur la liste annexée au décret du 11 juin 2010 ; que, pour rejeter sa demande d'indemnisation, le ministre a fait valoir que le risque attribuable aux essais nucléaires français était négligeable, conformément à la recommandation du CIVEN, selon laquelle, compte tenu du niveau de l'exposition aux rayonnements ionisants de l'intéressé, la probabilité, évaluée selon les recommandations de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), d'une relation de causalité entre cette exposition et la maladie dont il était atteint était très inférieure à 1 % ;

5. Considérant que, contrairement à ce que soutient MmeA..., la méthode utilisée par le CIVEN pour apprécier le risque attribuable aux essais nucléaires français et pour recommander, lorsqu'il estime que ce risque doit être regardé comme négligeable, au ministre de rejeter la demande d'indemnisation, ne repose pas exclusivement sur la constatation de la dose reçue par l'intéressé mais fait intervenir la prise en compte d'autres facteurs ; que son utilisation ne peut, dès lors, être regardée comme contraire aux dispositions de la loi du 5 janvier 2010 qui excluent l'institution d'un dispositif d'indemnisation fondé sur la notion de seuil d'exposition aux rayons ionisants mesurée par dosimétrie mais qui ne prohibent pas pour autant la prise en compte de la dose de rayonnements ; qu'il n'est pas contesté que cette méthode s'appuie sur les méthodologies, fondées sur la notion de probabilité de causalité, recommandées par l'AIEA ; que Mme A...ne propose pas de méthode alternative et reconnue comme préférable par la communauté scientifique internationale ; que la circonstance que certains dosimètres pourraient être défectueux, insuffisamment précis ou sensibles, ou encore mal utilisés, est sans incidence sur la validité de cette méthodologie ; que s'il est vrai que celle-ci n'implique pas systématiquement le recours aux résultats d'examens destinés à mesurer, non seulement, l'irradiation externe, mais également la contamination interne par ingestion ou inhalation, elle n'exclut pas la prise en compte de tels résultats et il appartient à l'administration de rapporter la preuve de ce que les conditions d'exposition aux effets des essais nucléaires de la personne dont elle rejette la demande d'indemnisation, en l'absence de résultats d'examens effectués au titre de la surveillance de la contamination interne, étaient de nature à justifier cette absence ; que lorsque la situation des intéressés a conduit à les soumettre à une surveillance de la contamination, il incombe à l'administration d'établir que les résultats de cette surveillance n'ont pas été négligés ; qu'enfin le parti de regarder comme caractérisant un risque négligeable une probabilité de causalité très inférieure à 1 % n'est pas davantage de nature à faire mettre en doute la validité de cette méthode ; que, par suite, Mme A...n'est pas fondée à soutenir que la méthodologie retenue par le CIVEN serait à écarter dans son principe même ;

6. Considérant que la recommandation du 1er juin 2011, sur laquelle s'est appuyé le ministre pour prendre la décision contestée, comporte toutes les informations utiles relatives à la situation individuelle de M.A..., telles que son statut militaire, son âge au début de la période d'exposition (20 ans), la nature de ses activités au cours de son affectation sur la base d'Hao (décontamineur), ainsi que les dates d'affectation ; que, pour regarder comme négligeable le risque attribuable aux essais nucléaires, le CIVEN s'est également fondé sur le délai de 28 années entre l'exposition de M. A...au risque et l'apparition de sa maladie et sur le niveau de son exposition aux rayonnements ionisants, tant ce qui concerne l'exposition externe, dont le niveau, s'élevant à 0,35 mSv, a été déterminé à partir des dosimètres dont l'intéressé était porteur pendant toute la période d'exposition, que les risques de contamination interne, qui ont été écartés au vu des résultats normaux des deux anthroporadiométries et de la radiotoxicologie urinaire réalisées au cours de la période ; que ces contrôles, effectués à des dates et avec une fréquence en rapport avec les conditions concrètes d'exposition de l'intéressé, dont aucun n'a relevé de traces d'irradiation ou de contamination incompatibles avec la poursuite de ses fonctions, étaient appropriés aux conditions de l'exposition de M. A...aux rayonnements ionisants ; que, si Mme A...fait état, en s'appuyant sur diverses études, des conséquences radiologiques des tirs atmosphériques en Polynésie française, se manifestant notamment par des retombées radioactives et des contaminations multiples, ainsi que de leur dissimulation par les autorités militaires, ces éléments ne sont pas de nature à infirmer les données retenues pour apprécier la situation de M.A... ; qu'ainsi, le ministre, qui a pris en compte cette recommandation, doit être regardé comme ayant apporté la preuve de l'existence du caractère négligeable, au sens des dispositions citées au point 2, du risque attribuable aux essais nucléaires et démontré que M. A...ne pouvait bénéficier de la présomption de causalité prévue par les dispositions du II de l'article 4 de la loi du 5 janvier 2010 et de l'article 7 du décret du 11 juin 2010 ;

7. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme A...n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 8 février 2012 par laquelle le ministre de la défense et des anciens combattants a rejeté sa demande présentée sur le fondement de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ; que les conclusions de la requête de Mme A...à fin d'injonction, ainsi que celles présentées sur le fondement des articles L. 761-1 et R. 761-1 du code de justice administrative, doivent, par voie de conséquence, être rejetées ;

DECIDE :

Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... A...et au ministre de la défense.

Délibéré après l'audience du 17 mars 2015, à laquelle siégeaient :

- M. Bachelier, président de la cour,

- M. Madelaine, faisant fonction de premier conseiller,

- Mme Tiger-Winterhalter, premier conseiller.

Lu en audience publique le 7 avril 2015.

Le rapporteur,

B. MADELAINELe président,

G. BACHELIER

Le greffier,

N. CORRAZE

La République mande et ordonne au ministre de la défense en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 13NT024342

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Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Références :

Publications
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Composition du Tribunal
Président : M. le Pdt. BACHELIER
Rapporteur ?: M. Bernard MADELAINE
Rapporteur public ?: M. GAUTHIER
Avocat(s) : CABINET D'AVOCATS TEISSONNIERE TOPALOFF LAFFORGUE

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Date de la décision : 07/04/2015
Date de l'import : 06/07/2015

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 13NT02434
Numéro NOR : CETATEXT000030547910 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2015-04-07;13nt02434 ?
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