Vu la requête, enregistrée le 10 juillet 2013, présentée pour la compagnie Allianz Iard, dont le siège est sis 87 rue de Richelieu à Paris Cedex (75002), et la SCA Normande, dont le siège est sis zone industrielle Nord à Lisieux (14101), par la SCP Soulie et Coste-Floret ; les sociétés Allianz Iard et SCA Normande demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 7 mai 2013 du tribunal administratif de Caen en tant qu'il n'a fait que partiellement droit à leur demande et n'a condamné l'Etat à verser que la somme de 67 377 euros à la compagnie Allianz Iard, en tant qu'assureur subrogé, et celle de 4 000 euros à la SCA Normande au titre du préjudice subi du fait des dégradations commises par des agriculteurs en mai et juin 2009 ;
2°) de condamner l'Etat à leur verser respectivement les sommes de 154 674,70 euros et de 101 733 euros ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
elles soutiennent que :
- le rapport de l'expert missionné à cet effet a distingué trois sinistres correspondant aux événements du 17 au 20 mai 2009, à celui du 27 mai 2009 et, enfin, à celui du 11 juin 2009 détaillant pour chacun l'ensemble des frais supplémentaires entrainés par les dégradations ainsi subies ;
- c'est à tort que les premiers juges n'ont pas retenu le préjudice issu de la perte de marchandises que la compagnie Allianz Iard a indemnisé à hauteur de 73 890 euros dès lors qu'un stock existant a été détruit et qu'il est établi que ces rebuts ont été transportés dans un centre d'enfouissement ;
- un lien de causalité existe entre les incidents et les frais divers tels qu'honoraires d'avocats ou réparation d'un véhicule de fonction ;
- les frais d'exploitation supplémentaires tels que frais de personnel, de transport et logistique sont nécessairement en lien avec les dégradations commises ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 29 octobre 2013, présenté par le préfet du Calvados, qui conclut au rejet de la requête ;
il fait valoir que :
- le préjudice résultant de la perte de fruits et légumes ne peut être pris en compte dès lors qu'il n'est pas fait mention d'un blocage continu et persistant et qu'il n'est pas démontré qu'une perte de marchandise résulte d'un retard de deux jours ;
- les sociétés requérantes ne démontrent pas un lien de causalité direct dans la mesure où les 54 tonnes de marchandises ont pu être détruites pour une autre raison ;
- la date d'entrée des produits n'est pas précisée ; en outre le dépérissement des fruits et légumes peut résulter d'un mauvais fonctionnement des chambres froides, le mois de mai ayant été particulièrement chaud ;
- les frais d'avocat sont en lien avec une procédure de référé judiciaire et n'ont pas eu d'effet utile ; les sociétés requérantes ne produisent pas de justificatifs ;
- les frais de réparation d'une automobile ne peuvent être regardés comme étant ceux d'un véhicule de société ;
- les frais supplémentaires et d'exploitation invoqués ne peuvent être pris en compte en l'absence d'explication sur un éventuel lien direct de causalité avec les incidents ;
Vu le courrier en date du 24 juin 2014 adressé aux parties en application de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative ;
Vu le mémoire, enregistré le 15 juillet 2014, présenté pour la compagnie Allianz Iard et la SCA Normande, qui concluent aux mêmes fins que précédemment, par les mêmes moyens ;
Vu l'ordonnance en date du 17 juillet 2014 portant clôture immédiate de l'instruction en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative ;
Vu la lettre en date du 25 août 2014 par laquelle, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, la cour a informé les parties qu'elle était susceptible de soulever d'office le moyen d'ordre public tiré de ce que les personnes morales de droit public ne peuvent jamais être condamnées à payer une somme qu'elles ne doivent pas, ce qui a été le cas, les conditions d'application de l'article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales n'étant pas remplies ;
Vu le mémoire, enregistré le 28 août 2014, présenté par la compagnie Allianz Iard et la SCA Normande qui persistent dans leurs précédentes conclusions ;
Vu le mémoire, enregistré le 1er septembre 2014 par lequel le préfet du Calvados fait valoir que la demande des sociétés requérantes tendant à faire reconnaître la responsabilité de l'Etat est infondée ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 26 septembre 2014 :
- le rapport de M. Auger, premier conseiller ;
- et les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public ;
1. Considérant que la compagnie Allianz Iard et la SCA Normande relèvent appel du jugement du 12 juin 2013 du tribunal administratif de Caen en tant qu'il n'a fait que partiellement droit à leur demande et n'a condamné l'Etat à leur verser que la somme de 67 377 euros à la compagnie Allianz Iard en qualité d'assureur subrogé ainsi que celle de 4 000 euros à la SCA Normande en réparation de préjudices subis entre les 17 mai et 11 juin 2009 du fait de manifestations de producteurs de lait ;
Sur la responsabilité de l'Etat :
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales dans sa rédaction alors en vigueur : " L'Etat est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens (...) " ; que l'application de ces dispositions est subordonnée à la condition que les dommages dont l'indemnisation est demandée résultent de manière directe et certaine de crimes ou de délits déterminés commis par des rassemblements ou des attroupements précisément identifiés ;
3. Considérant qu'il résulte de l'instruction, notamment des constats d'huissier versés aux débats, que, le 17 mai 2009 à partir de 22 heures 30, des agriculteurs ont bloqué les entrées et la sortie de la plateforme logistique à l'enseigne Leclerc gérée par la SCA Normande, détérioré la barrière d'entrée et détruit une pompe à carburant, procédé au déchargement d'un camion et endommagé le véhicule du directeur ; que, le 18 mai 2009, un barrage a été érigé à 7 heures 30 avec du fumier, divers détritus et des pneus enflammés en présence d'un groupe d'une vingtaine d'agriculteurs ; que, dans la soirée du 27 mai au 28 mai 2009, deux cents agriculteurs venus avec une quarantaine de tracteurs étaient présents sur le site et, le 28 mai 2009, ont bloqué les entrées et déchargé des plaquettes de beurre sur le trottoir ; qu'enfin, le 11 juin 2009, les entrées ont de nouveau été bloquées avec des remorques de tracteurs ou des tas de détritus par quatre-vingt agriculteurs venus avec vingt-deux tracteurs équipés de remorques ; que la circonstance que ces faits se soient déroulés dans un contexte de revendications des producteurs de lait ne suffit pas à établir que les agissements à l'origine des dommages dont l'indemnisation est demandée ont été commis par un attroupement ou un rassemblement au sens des dispositions précitées de l'article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales, dès lors qu'ils ont été manifestement prémédités et organisés par des groupes structurés venus avec des tracteurs équipés de remorques pour transporter du fumier, des pneus et divers détritus et prenant la plateforme logistique comme objectif de leur action ; que le seul fait que les manifestants aient commis des dégradations à l'extérieur de la centrale d'achat ne démontre pas davantage qu'il s'agirait d'un accès de violence spontané émanant d'un attroupement ou d'un rassemblement ;
4. Considérant que, compte tenu du caractère général des manifestations et actions de cette nature déclenchées par des producteurs laitiers en mai et juin 2009 sur le territoire national, un nombre important de commerces de la grande distribution été affecté par ces incidents ; que, par conséquent, les sociétés requérantes ne peuvent soutenir qu'elles auraient subi un préjudice anormal et spécial dont elles seraient fondées à demander réparation sur le fondement de la rupture de l'égalité devant les charges publiques, alors qu'il n'est au surplus pas démontré que la plateforme logistique a interrompu son activité pendant une durée significative ;
5. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la compagnie Allianz Iard et la SCA Normande ne sont pas fondées à demander, par la voie de l'appel principal, la réformation du jugement attaqué en tant qu'il a limité à 63 377 et 4 000 euros le montant de l'indemnité que l'Etat a été condamné à leur verser ; qu'en revanche le préfet du Calvados est fondé à demander, par la voie de l'appel incident, l'annulation de ce jugement ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
6. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que les sociétés requérantes demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Caen du 7 mai 2013 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par la compagnie Allianz Iard et la SCA Normande devant le tribunal administratif de Caen est rejetée.
Article 3 : La requête de la compagnie Allianz Iard et de la SCA Normande est rejetée.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la compagnie Allianz Iard, à la SCA Normande et au ministre de l'intérieur.
Une copie en sera adressée pour information au préfet du Calvados.
Délibéré après l'audience du 26 septembre 2014, à laquelle siégeaient :
- Mme Aubert, président de chambre,
- M. A..., faisant fonction de premier conseiller,
- M. Auger, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 17 octobre 2014.
Le rapporteur,
P. AUGERLe président,
S. AUBERT
Le greffier,
N. CORRAZE
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 13NT02006