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26/12/2008 | FRANCE | N°05NT00903

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 1ère chambre, 26 décembre 2008, 05NT00903


Vu la requête, enregistrée le 9 juin 2005, présentée pour la COMPAGNIE LAITIERE EUROPEENNE, dont le siège est à Condé-sur-Vire (50890), par Me Tournès, avocat au barreau des Hauts-de-Seine ; la COMPAGNIE LAITIERE EUROPEENNE demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 04-1084 du 12 avril 2005 par lequel le Tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à ce que l'Etat soit condamné à lui verser la somme de 2 926 725,84 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 18 février 2004 en réparation du préjudice que lui a causé, au titre des ann

ées 1995 à 2001, l'application d'une législation fiscale incompatible avec l...

Vu la requête, enregistrée le 9 juin 2005, présentée pour la COMPAGNIE LAITIERE EUROPEENNE, dont le siège est à Condé-sur-Vire (50890), par Me Tournès, avocat au barreau des Hauts-de-Seine ; la COMPAGNIE LAITIERE EUROPEENNE demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 04-1084 du 12 avril 2005 par lequel le Tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à ce que l'Etat soit condamné à lui verser la somme de 2 926 725,84 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 18 février 2004 en réparation du préjudice que lui a causé, au titre des années 1995 à 2001, l'application d'une législation fiscale incompatible avec la sixième directive TVA du 17 mai 1977 du Conseil des communautés européennes et contraire aux principes généraux du droit communautaire ;

2°) de prononcer la condamnation demandée ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme dont le montant sera chiffré ultérieurement au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

.....................................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu la sixième directive n° 77/388/CEE du Conseil des communautés européennes du 17 mai 1977 en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 15 décembre 2008 :

- le rapport de Mlle Wunderlich, rapporteur ;

- les observations de Me Bertacchi, substituant Me Tournès, avocat de la COMPAGNIE LAITIERE EUROPEENNE ;

- et les conclusions de M. Hervouet, commissaire du gouvernement ;

Considérant que les dispositions du I de l'article 2 de la loi de finances rectificative pour 1993 du 22 juin 1993 ont étendu à la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé les biens ne constituant pas des immobilisations et les services, dont, jusqu'au 30 juin 1993, les assujettis ne pouvaient opérer la déduction que par imputation sur la taxe due au titre du mois suivant celui de la naissance du droit à cette déduction, en vertu des dispositions de l'article 217 de l'annexe II au code général des impôts maintenues en vigueur ainsi que le permettaient celles de l'article 28, paragraphe 3, point d., de la sixième directive, la règle de principe, énoncée à l'article 18, paragraphe 2, de la même directive, de la déduction immédiate, désormais formulée au 3 de l'article 271 du code général des impôts en ces termes, que la déduction de la taxe ayant grevé les biens et les services est opérée par imputation sur la taxe due par le redevable au titre du mois pendant lequel le droit à déduction a pris naissance ; qu'afin d'étaler sur plusieurs années l'incidence budgétaire de ce changement de règle, qui entraînait l'imputabilité sur la taxe due par les assujettis au titre du premier mois de sa prise d'effet, soit le mois de juillet 1993, de la taxe ayant grevé des biens et services acquis au cours de deux mois, soient les mois de juin et juillet 1993, les dispositions du II du même article 2 de la loi du 22 juin 1993, désormais reprises à l'article 271 A du code général des impôts, ont prévu que, sous réserve d'exceptions et d'aménagements divers, les redevables devraient soustraire du montant de la taxe déductible ainsi déterminé celui d'une déduction de référence (...) égale à la moyenne mensuelle des droits à déduction afférents aux biens ne constituant pas des immobilisations et aux services qui ont pris naissance au cours du mois de juillet 1993 et des onze mois qui précèdent, que les droits à déduction de la sorte non exercés ouvriraient aux redevables une créance (...) sur le Trésor (...) convertie en titres inscrits en compte d'un égal montant (...) Cette créance n'est ni cessible ni négociable ; elle peut toutefois être donnée en nantissement ou cédée à titre de garantie dans les conditions prévues par la loi n° 81-1 du 2 janvier 1981 facilitant le crédit aux entreprises (...) Elle est transférée en cas de fusion, scission, cession d'entreprise ou apport partiel d'actif. Toute dépréciation ou moins-value de cette créance éventuellement constatée demeure sans incidence pour la détermination du résultat imposable, que des décrets en Conseil d'Etat détermineraient, notamment, les modalités de remboursement de ces titres, ce remboursement devant intervenir à hauteur de 10 % au minimum pour l'année 1994 et pour les années suivantes de 5 % par an au minimum (...) et dans un délai maximal de vingt ans, et, enfin, que les créances porteraient intérêt à un taux fixé par arrêté du ministre du budget sans que ce taux puisse excéder 4,5 % ; que le décret n° 93-1078 du 14 septembre 1993 a prévu le remboursement dès 1993 de la totalité des créances qui n'excédaient pas 150 000 francs et d'une fraction au moins égale à cette somme et au plus égale à 25 % du montant des créances qui l'excédaient, le taux d'intérêt applicable en 1993 étant fixé à 4,5 % par un arrêté du 15 avril 1994 ; que le décret n° 94-296 du 6 avril 1994 a prévu le remboursement du solde des créances à concurrence de 10 % de leur montant initial en 1994 et de 5 % chaque année suivante, le taux d'intérêt étant fixé à 1 % pour 1994, puis à 0,1 % pour les années suivantes, par les arrêtés du 17 août 1995 et du 15 mars 1996 ; qu'enfin, le décret n° 2002-179 du 13 février 2002 a prévu le remboursement anticipé immédiat des créances non encore soldées, et celui des créances non encore portées en compte dès leur inscription ;

Considérant que dans le dernier état de ses écritures, la COMPAGNIE LAITIERE EUROPEENNE doit être regardée comme ayant renoncé à soutenir que le dispositif d'accompagnement de la suppression de la règle dite du décalage d'un mois, institué par l'article 271 A du code général des impôts serait incompatible avec les articles 17 et 18 de la sixième directive du Conseil des communautés européennes et contraire aux principes de neutralité du régime de la TVA et de proportionnalité, serait constitutif d'une atteinte au principe de confiance légitime et de sécurité juridique, aurait permis l'enrichissement sans cause du Trésor public, aurait instauré entre les assujettis une distinction prohibée par l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et enfin que l'Etat aurait méconnu les obligations d'information de la Commission résultant du 2 de l'article 5 de la dix-huitième directive du 18 juillet 1989 ; qu'elle demande la condamnation de l'Etat à lui verser, à titre principal, la somme de 2 926 725,84 euros, correspondant à la différence entre le montant des intérêts qui ont rémunéré entre 1995 et 2001 la créance sur le Trésor dont elle s'est trouvée détentrice en application des dispositions de l'article 271 A introduites dans le code général des impôts par le II de l'article 2 de la loi de finances rectificative pour 1993, et celui qui aurait résulté de l'application d'un taux de 9 %, à raison d'une violation de l'article premier du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, à titre subsidiaire, une somme correspondant à la différence entre le montant des intérêts qu'elle a effectivement perçus et celui qui résulterait de l'application d'un taux de 4,5 %, à raison de l'illégalité des arrêtés pris pour l'application des mêmes dispositions du code général des impôts, augmentée dans chaque cas des intérêts au taux légal à compter du 18 février 2004 ;

Considérant que, contrairement à ce qu'elle soutient, la société requérante était en mesure de contester la conformité du dispositif au regard de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que la légalité des arrêtés fixant les taux d'intérêts dès la publication de la loi et des arrêtés ; que, de même, elle était en mesure de déterminer le montant de chaque annuité du préjudice qu'elle invoque dès la publication desdits arrêtés ; que, par suite, elle ne peut être regardée comme ayant ignoré l'existence de sa créance ou ayant été dans l'impossibilité d'agir au sens des dispositions de l'article 3 de la loi du 31 décembre 1968 susvisée avant la publication du décret du 12 février 2002 susmentionné ; que ni les divers actes qui ont été pris ni les versements qui ont été effectués pour l'exécution des mesures litigieuses ne sauraient constituer des actes interruptifs au sens des dispositions de l'article 2 de la même loi ; que, dès lors, c'est à bon droit que l'administration, qui a reçu la demande tendant à la réparation du préjudice financier le 20 février 2004, a opposé devant le tribunal administratif puis devant la Cour l'exception de prescription quadriennale aux conclusions relatives aux années 1995 à 1999 ;

Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, relatif à la protection de la propriété : Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur des lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. ;

Considérant que si la créance détenue entre 1995 et 2001 par la COMPAGNIE LAITIERE EUROPEENNE sur le Trésor par l'effet du dispositif susdécrit doit être regardée comme un bien au sens des stipulations précitées de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dont la valeur s'est trouvée amoindrie du fait outre son incessibilité, de son niveau de rémunération inférieur à celui d'autres créances sur l'Etat et aux taux du marché, les dispositions précitées de l'article 271 A et des décrets et arrêtés pris pour son application n'ont eu d'autre objet que de permettre, dans des conditions supportables pour le budget de l'Etat, la transposition en droit interne d'une règle fixée par la sixième directive ; qu'eu égard au but légitime d'intérêt général ainsi poursuivi, ces dispositions, qui ne portent pas une atteinte disproportionnée au droit de la COMPAGNIE LAITIERE EUROPEENNE au respect de ses biens, n'étaient pas contraires auxdites stipulations ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la COMPAGNIE LAITIERE EUROPEENNE n'est pas fondée à soutenir que serait engagée la responsabilité de l'Etat du fait des lois en raison de son obligation d'assurer le respect des engagements internationaux de la France ou de l'illégalité résultant de la méconnaissance par des actes administratifs desdits engagements ;

Considérant, en deuxième lieu, que si les dispositions de l'article 1153 du code civil peuvent trouver à s'appliquer, sauf disposition législative spéciale, en cas de retard pris par une personne publique à exécuter une obligation consistant dans le paiement d'une somme d'argent, il est constant qu'en l'espèce le législateur a pris une disposition spéciale qui s'oppose à leur application ;

Considérant, en troisième lieu, que la COMPAGNIE LAITIERE EUROPEENNE ne saurait sérieusement soutenir que les arrêtés successivement pris par le ministre du budget pour ramener le taux d'intérêt -initialement fixé à 4,5 %- à 1 % pour 1994, puis à 0,1 % pour les années suivantes, comme l'y autorisait l'article 271 A, seraient entachés d'incompétence au motif que la délégation susmentionnée n'aurait été consentie que pour un seul arrêté ;

Considérant, toutefois, en dernier lieu, que, comme il vient d'être dit, les dispositions du II de l'article 2 de la loi du 22 juin 1993, reprises à l'article 271 A du code général des impôts, ont prévu que les créances porteraient intérêt à un taux fixé par arrêté du ministre du budget sans que le taux puisse excéder 4,5 % ; qu'il résulte de ces dispositions que le législateur, s'il a laissé au ministre chargé du budget un pouvoir d'appréciation en ne fixant pas une limite minimale au taux d'intérêt, a néanmoins entendu assurer une rémunération effective de la créance ; que l'application au cours des années 2000 et 2001 non couvertes par la prescription du taux de 0,1 % fixé par l'arrêté du 15 mars 1996 ne saurait être regardée comme constituant une rémunération effective ; que, par suite, la société requérante est fondée à soutenir que le ministre chargé du budget a méconnu les limites de l'habilitation qui lui avait été accordée pour fixer les taux de l'intérêt et que cette illégalité est constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat ;

Considérant qu'eu égard aux considérations qui ont conduit en 1993 le législateur à fixer le taux maximal à un montant correspondant environ à la moitié du taux de l'intérêt légal en vigueur à la date de la publication de la loi, il sera fait une juste appréciation du préjudice subi en le fixant à un montant correspondant à la différence entre, d'une part, la rémunération de la créance qui aurait résulté de l'application d'un taux d'intérêt égal à la moitié du taux d'intérêt légal en vigueur au cours des années 2000 et 2001, soit 1,37 % pour 2000 et 2,13 % pour 2001 et, d'autre part, la rémunération effectivement perçue sur le fondement du taux d'intérêt de 0,1 % ;

Considérant que la société requérante a droit à ce que l'indemnité ainsi calculée porte intérêt au taux légal à compter du 20 février 2004, date de réception de sa demande par l'administration, ainsi qu'à la capitalisation de ces intérêts ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la COMPAGNIE LAITIERE EUROPEENNE est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Caen a rejeté la totalité de sa demande ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner l'Etat à payer à la COMPAGNIE LAITIERE EUROPEENNE la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : L'Etat est condamné à payer à la COMPAGNIE LAITIERE EUROPEENNE une indemnité calculée selon les modalités définies dans les motifs du présent arrêt.

Article 2 : L'Etat versera à la COMPAGNIE LAITIERE EUROPEENNE la somme de 2 000 euros (deux mille euros) au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative

Article 3 : Le jugement du Tribunal administratif de Caen du 12 avril 2005 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la COMPAGNIE LAITIERE EUROPEENNE est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la COMPAGNIE LAITIERE EUROPEENNE et au ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique.

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N° 05NT00903

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 05NT00903
Date de la décision : 26/12/2008
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Autres

Composition du Tribunal
Président : M. LEMAI
Rapporteur ?: Mme Anne-Catherine WUNDERLICH
Rapporteur public ?: M. HERVOUET
Avocat(s) : TOURNES

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2008-12-26;05nt00903 ?
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