Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour le 9 août 2002, présentée par la BANQUE REGIONALE DE L'OUEST, qui a son siège ..., représentée par son président ; la BANQUE REGIONALE DE L'OUEST demande à la Cour :
1°) de réformer le jugement n° 99.2609 en date du 4 juin 2002 du Tribunal administratif d'Orléans en tant qu'il a rejeté le surplus des conclusions de sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 1991, 1992 et 1994 ;
2°) de prononcer la décharge des impositions susmentionnées restant en litige ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article L.761-1 du code de justice administrative ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi n° 66-455 du 2 juillet 1966 modifiée relative aux entreprises pratiquant le crédit-bail ;
Vu l'ordonnance n° 67-821 du 23 septembre 1967 modifiée sur les groupements d'intérêt économique ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 28 juin 2006 :
- le rapport de M. Luc Martin, rapporteur ;
- et les conclusions de M. Hervouet, commissaire du gouvernement ;
Sur la régularité du jugement :
Considérant que la BANQUE REGIONALE DE L'OUEST a demandé au tribunal la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie sur le fondement des dispositions de l'article L.64 du livre des procédures fiscales relatives à la répression des abus de droit ; qu'il ressort des motifs du jugement attaqué que les premiers juges, d'une part, ont entendu faire droit à ces conclusions, au motif que l'administration n'apportait pas la preuve de l'existence d'un abus de droit, et, d'autre part, ont décidé néanmoins de maintenir une fraction des impositions contestées en se fondant sur l'article 38-2 bis du code général des impôts ; qu'ils ont ainsi, comme le soutient la BANQUE REGIONALE DE L'OUEST, procédé d'office à une substitution de base légale qu'ils n'étaient pas compétents pour prononcer en l'absence d'une demande de l'administration en ce sens ; que l'administration admet qu'elle n'a pu exécuter le jugement dès lors que le tribunal, pour rejeter le surplus des conclusions de la demande, a distingué dans le dispositif plusieurs chefs de redressement alors qu'un seul redressement avait été notifié sur l'unique fondement de l'abus de droit ; que, par suite, le jugement est entaché d'irrégularité et doit être annulé ; qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande de la BANQUE REGIONALE DE L'OUEST ;
Sur le bien-fondé des impositions :
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la demande :
Considérant qu'aux termes de l'article L.64 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction alors applicable : “Ne peuvent être opposés à l'administration des impôts les actes qui dissimulent la portée véritable d'un contrat ou d'une convention à l'aide de clauses : … b)… qui déguisent soit une réalisation, soit un transfert de bénéfices ou de revenus… L'administration est en droit de restituer son véritable caractère à l'opération litigieuse. En cas de désaccord sur les redressements notifiés sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité consultatif pour la répression des abus de droit. L'administration peut également soumettre le litige à l'avis du comité… Si l'administration ne s'est pas conformée à l'avis du comité, elle doit apporter la preuve du bien-fondé du redressement.” ; que, lorsque l'administration use, comme en l'espèce, des pouvoirs qu'elle tient de ces dispositions dans des conditions telles que la charge de la preuve lui incombe, elle doit, pour pouvoir écarter certains actes passés par le contribuable, établir que les actes ont eu un caractère fictif ou, à défaut, qu'ils n'ont pu être inspirés par aucun motif autre que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé aurait normalement supportées eu égard à sa situation et à ses activités réelles ;
Considérant que l'opération litigieuse a consisté pour le GIE Sandrine X... à acquérir, le 27 mai 1991, de la Société Nationale des Chemins de fer Belges (SNCB) deux rames de TGV en cours de construction et à en concéder la location, le même jour, à cette même société, à compter de leur livraison par le consortium qui en assurait la construction, jusqu'au 30 juin 2009, en lui reconnaissant la faculté d'acquérir les rames à des échéances et moyennant un prix fixés dans le contrat ; que la SNCB a ainsi bénéficié d'une promesse unilatérale de vente des deux rames, au plus tôt, le 30 juin 2001, pour un prix de 418 665 098 F, ou au terme normal du contrat, le 30 juin 2009, au prix de 88 189 278 F ; qu'en outre, dans le cas où elle déciderait de ne pas lever ces options d'achat, le GIE s'est engagé à prolonger la location durant une période supplémentaire de cinq ans ; que, pour financer l'acquisition des rames, le GIE a souscrit un emprunt auprès de neuf banques se décomposant en trois tranches A, B et C, ainsi que deux contrats de garantie de taux avec la SNCB ; qu'enfin, le GIE a émis un emprunt obligataire “zéro coupon” souscrit en totalité par la SNCB ; que l'administration a procédé à des vérifications de comptabilité de ce GIE et estimé, d'une part, que le contrat de crédit-bail dissimulait un prêt classique remboursable sur une durée de dix ans et sept mois et, d'autre part, qu'il n'avait été passé qu'en vue de générer, au titre des premières années du contrat, des déficits massifs imputables sur les résultats fiscaux des membres du GIE ; qu'elle a mis en oeuvre la procédure de répression des abus de droit prévue par l'article L.64 précité du livre des procédures fiscales et réintégré lesdits déficits, sur le fondement de cet article, dans les résultats du GIE, au titre des exercices clos en 1991, 1992, 1993, 1994 et 1995 ; qu'à raison de sa participation à hauteur de 10 % dans le GIE, la BANQUE REGIONALE DE L'OUEST a été assujettie de ce chef à des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés au titre des exercices clos en 1991, 1992 et 1994 ;
Considérant, en premier lieu, que le ministre fait valoir que le contrat de crédit-bail en cause serait fictif, au motif, d'une part, que le preneur, la SNCB, participe de manière prépondérante au financement de l'acquisition des rames de TGV, les banques prêteuses ne finançant que 26,61 % du besoin de financement total, d'autre part, que ledit contrat a été prolongé au-delà de la durée de dix ans sans aucune nécessité économique, dès lors qu'après la onzième année, les financements classiques mis en place par les organismes financiers sont amortis et que seuls subsistent les financements de la tranche C, laquelle est constituée par des avances consenties au GIE par ses membres et correspondant aux économies d'impôt censées être réalisées par ceux-ci à raison de l'imputation sur leurs résultats des déficits du GIE ;
Considérant, toutefois, qu'il résulte de l'instruction que les stipulations du contrat signé par le GIE satisfont aux conditions fixées par l'article 1er de la loi susvisée du 2 juillet 1966, le groupement ayant procédé à l'acquisition des biens professionnels dont il conservera la propriété tout au long du déroulement du contrat, ce dernier étant assorti, comme il a été dit, d'une promesse unilatérale de vente au preneur pour un prix tenant compte au moins pour partie des loyers versés ; qu'aucune disposition légale ou réglementaire n'exclut ni ne restreint la possibilité pour le preneur de participer au financement de l'opération ; qu'en l'espèce, contrairement à ce que soutient le ministre, la participation de la SNCB n'a représenté qu'environ 25 % de la valeur des biens loués ; qu'en effet, il n'y a pas lieu d'écarter les financements de la tranche C assurés par les membres du groupement au motif que celle-ci ne proviendrait que des économies d'impôt réalisées par ceux-ci, alors que les sommes apportées par les membres correspondent à des transferts réels de fonds tandis que les économies d'impôt dépendent entièrement de la situation, bénéficiaire ou non, desdits membres ; qu'il ne peut donc être soutenu par l'administration que cette part du financement ne correspond pas à un apport véritable ; qu'enfin, rien ne permet de conclure à l'extinction effective du contrat au 31 décembre 2001, terme d'une période de 10 ans et sept mois correspondant à l'échéance des tranches A et B ainsi que de l'emprunt obligataire, dès lors qu'il n'est pas établi que les financements de la tranche C assurés par les membres du GIE sous forme d'avances, qui arrivent à échéance le 30 juin 2009, proviendraient uniquement des économies d'impôt réalisées ; que, dans ces conditions, l'administration n'établit pas le caractère fictif du contrat de crédit-bail, dont elle ne conteste pas qu'il correspond à un usage pratiqué par les établissements financiers pour le financement d'équipements lourds tels que les trains, les avions et les navires ;
Considérant, en second lieu, que pour démontrer que l'opération en cause répond à un but exclusivement fiscal, l'administration se prévaut, d'une part, de l'existence d'une garantie de paiement, accordée par le Royaume de Belgique, des sommes dues au GIE par la SNCB, d'autre part, de la contradiction qui résulterait de la stipulation de loyers progressifs et, concomitamment, de la souscription par la SNCB d'un emprunt obligataire “zéro coupon” à un taux d'intérêt élevé, enfin, du recours à un GIE, structure fiscalement transparente, dont certains membres ne participeraient pas au financement de l'opération litigieuse, en méconnaissance de l'article 1er de l'ordonnance susvisée du 23 septembre 1967 ; qu'en outre, l'administration fait valoir que, bien que non constitutifs en eux-mêmes d'un abus de droit, le mode de comptabilisation des amortissements sur une durée trop courte, le caractère progressif des loyers du crédit-bail et les modalités de déduction par le GIE des intérêts de l'emprunt obligataire sont de nature à étayer sa démonstration relative à l'abus de droit ;
Considérant, toutefois, que s'il est constant que les membres du GIE ont retiré des avantages fiscaux de l'exécution du contrat litigieux, le ministre n'apporte pas la preuve de ce que ces avantages seraient tels que le montage réalisé doive être regardé comme à but exclusivement fiscal, alors qu'il n'est pas contesté que la SNCB n'aurait pas décidé de financer l'acquisition de rames de TGV en concluant avec le GIE le contrat de crédit-bail litigieux si elle n'y avait trouvé aucun intérêt économique et si ledit contrat n'avait présenté qu'un avantage fiscal pour les établissements bancaires prêteurs ; qu'en particulier, il n'est pas répliqué aux allégations de la société requérante selon lesquelles la conclusion dudit contrat répondait à la volonté de la SNCB d'améliorer la présentation de ses ratios financiers et d'obtenir un financement à coût attractif sans obérer sa capacité d'endettement ; qu'il n'est pas davantage contesté, d'une part, que la circonstance que l'Etat belge s'est porté garant du paiement par la SNCB des sommes dues au GIE en vertu du contrat de crédit-bail est inhérente à la personnalité du crédit-preneur, personne publique, d'autre part, que le recours à un GIE résultait de la nécessité d'organiser la syndication bancaire de l'opération et permettait aux banques membres du groupement de ne pas inscrire les rames de TGV à leur bilan ; qu'il est, par ailleurs, constant que toutes les banques membres du GIE étaient tenues de participer au moins à la tranche C du financement apporté au GIE ; que le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 1er de l'ordonnance du 23 septembre 1967 doit, par suite être écarté ; que si le ministre a tenté de chiffrer l'avantage fiscal retiré par les banques membres du GIE du montage réalisé, sa démonstration ne repose sur aucune justification ; que, dans ces conditions, le contrat de crédit-bail litigieux ne peut être regardé comme ayant été conclu dans un but exclusivement fiscal, nonobstant, en tout état de cause, le mode de comptabilisation des amortissements, le caractère progressif des loyers et les modalités de déduction des intérêts de l'emprunt obligataire qu'il prévoit ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que, d'une part, la BANQUE REGIONALE DE L'OUEST est fondée à demander la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie, au titre des exercices clos en 1991, 1992 et 1994 à raison de sa participation dans le GIE Sandrine X... et, d'autre part, que le surplus du recours incident du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie doit être rejeté ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application de ces dispositions, de condamner l'Etat à verser à la BANQUE REGIONALE DE L'OUEST la somme que celle-ci demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif d'Orléans en date du 4 juin 2002 est annulé.
Article 2 : La BANQUE REGIONALE DE L'OUEST est déchargée des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie, au titre des exercices clos en 1991, 1992 et 1994 à raison de sa participation dans le GIE Sandrine X....
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de la BANQUE REGIONALE DE L'OUEST et du recours incident du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie sont rejetés.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la BANQUE REGIONALE DE L'OUEST et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
N° 02NT01328
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