Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour le 11 août 2000, et le mémoire complémentaire, enregistré le 14 août 2000, présentés pour M. Rémi-Xavier X, demeurant ..., par Me BELOT, avocat au barreau de Paris ;
M. X demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n°s 95.3767 et 95.3768 en date du 13 juin 2000 par lequel le Tribunal administratif de Nantes a rejeté ses demandes de décharge, d'une part, des cotisations supplémentaires à l'impôt sur le revenu auxquelles il a été assujetti au titre des années 1988 et 1989 et des pénalités y afférentes, d'autre part des cotisations au prélèvement social de 1 % auxquelles il a été assujetti au titre de l'année 1988 ;
2°) de prononcer la décharge des impositions contestées ;
3°) de décider qu'il sera sursis à l'exécution du jugement ;
............................................................................................................
C
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 14 avril 2004 :
- le rapport de M. MARTIN, premier conseiller,
- les observations de Me BELOT, avocat de M. X,
- et les conclusions de M. LALAUZE, commissaire du gouvernement ;
Considérant que M. X a fait apport de son activité individuelle de création, gestion, analyse et diffusion de tous produits à caractère mobilier et immobilier à l'EURL Rémi-Xavier X qu'il a créée le 1er août 1987 et dont il est l'unique associé ; que cet apport a été évalué par un commissaire aux apports à 5 000 000 F se décomposant en éléments corporels, d'une valeur de 263 000 F et en éléments incorporels, évalués à 4 736 000 F ; que, par un acte rectificatif d'apport daté du 8 décembre 1987 avec effet rétroactif au 1er août 1987, présenté à l'enregistrement le 8 janvier 1988, M. X a décidé de procéder à une réévaluation de la partie incorporelle de cet apport en augmentant sa valeur de 3 000 000 F ; que, le 15 janvier 1988, il a cédé la totalité des droits sociaux reçus en rémunération de l'apport à la société Septo Centelec moyennant le prix de 8 100 000 F ; que la plus-value dégagée lors de l'apport de la partie incorporelle de son activité individuelle, d'un montant de 7 736 300 F, a bénéficié d'un report d'imposition, en vertu des dispositions de l'article 151 octies du code général des impôts, jusqu'à la cession des titres reçus, date à laquelle elle a été imposée à un taux réduit ; que la plus-value dégagée lors de la cession des droits sociaux, d'un montant de 100 000 F, a été imposée au taux progressif selon le régime des plus-values professionnelles à court terme ; que l'administration, estimant que l'acte rectificatif d'apport n'avait eu d'autre but que d'atténuer la charge fiscale que l'intéressé aurait normalement supportée, en diminuant le montant de la plus-value à court terme de 3 000 000 F, a mis en oeuvre la procédure de répression des abus de droit ; qu'elle a ainsi imposé au taux progressif la somme de 3 000 000 F, regardée comme une plus-value à court terme, au titre de l'année 1988 ; que, par ailleurs, l'administration a également imposé une indemnité versée à Mme X à la suite de son licenciement par une société dans laquelle elle exerçait les fonctions de gérante ;
Sur la régularité du jugement :
Considérant qu'aux termes de l'article R.312-2 du code de justice administrative : ... Lorsqu'il n'a pas été fait application de la procédure de renvoi prévue à l'article R.351-3 et que le moyen tiré de l'incompétence territoriale du tribunal administratif n'a pas été invoqué par les parties avant la clôture de l'instruction de première instance, ce moyen ne peut plus être ultérieurement soulevé par les parties ou relevé d'office par le juge d'appel ou de cassation ;
Considérant que les dispositions précitées font obstacle à ce que le ministre puisse soulever le moyen, nouveau en appel, tiré de ce que le Tribunal administratif de Nantes était incompétent territorialement pour se prononcer sur la demande en décharge d'une imposition établie dans le département des Alpes Maritimes ;
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
Considérant qu'aux termes de l'article R.57-1 du livre des procédures fiscales : La notification de redressement... fait connaître au contribuable la nature et les motifs du redressement envisagé. L'administration invite, en même temps, le contribuable, à faire parvenir son acceptation ou ses observations dans un délai de trente jours à compter de la réception de la notification... ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que, dans la notification de redressement du 20 juillet 1990, le vérificateur a écrit : dans la mesure où vous n'accepteriez pas ce redressement, l'administration entend redonner aux opérations en cause leur véritable caractère sur le fondement de l'article L.64 du livre des procédures fiscales... ; que le requérant, qui a expressément fait connaître son refus d'accepter ledit redressement et sollicité la saisine du comité consultatif pour la répression des abus de droit, n'est pas fondé à soutenir que, par la formulation susmentionnée, laquelle ne peut être lue comme une menace à l'égard du contribuable, le vérificateur aurait exercé des pressions sur lui de nature à le priver des garanties offertes par la procédure de redressement contradictoire dont il a fait l'objet ;
Sur le bien-fondé de l'imposition :
En ce qui concerne l'abus de droit :
Considérant qu'aux termes de l'article L.64 du livre des procédures fiscales : Ne peuvent être opposés à l'administration des impôts les actes qui dissimulent la portée véritable d'un contrat ou d'une convention à l'aide de clauses : ... b)... qui déguisent soit une réalisation, soit un transfert de bénéfices ou de revenus... L'administration est en droit de restituer son véritable caractère à l'opération litigieuse. En cas de désaccord sur les redressements notifiés sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité consultatif pour la répression des abus de droit... Si l'administration ne s'est pas conformée à l'avis du comité, elle doit apporter la preuve du bien-fondé du redressement. ;
Considérant que ces dispositions ont pour objet de permettre à l'administration d'écarter comme ne lui étant pas opposables certains actes passés par le contribuable, lorsque ces actes ont un caractère fictif ou, à défaut, lorsqu'ils n'ont pu être inspirés par aucun motif autre que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées eu égard à sa situation et à ses activités réelles ; qu'il suit de là qu'alors même que l'acte rectificatif d'apport du 8 décembre 1987 avec effet rétroactif au 1er août 1987 ne serait pas fictif, cette circonstance ne fait pas obstacle à ce que l'administration fasse application des dispositions précitées de l'article L.64 ;
Considérant qu'en l'espèce le comité consultatif susvisé a estimé qu'eu égard à l'absence de conformité aux règles du droit commercial de l'acte rectificatif d'apport, à la proximité des dates d'opposabilité aux tiers de la rectification de la valeur des apports et de celle de la cession des titres au prix de convenance, l'administration était fondée à mettre en oeuvre la procédure prévue à l'article L.64 précité ; que l'administration ayant suivi cet avis, il incombe dès lors au requérant d'apporter la preuve que la rectification de la valeur d'apport réalisée par un acte enregistré 7 jours seulement avant la cession des droits sociaux reçus en rémunération de l'apport n'a pas eu pour seul motif celui d'atténuer la charge fiscale que l'intéressé, s'il n'avait pas passé cet acte rectificatif, aurait normalement supporté eu égard à sa situation et à ses activités réelles ;
Considérant que M. X soutient que l'opération litigieuse poursuivait l'unique objectif de corriger une erreur manifeste d'appréciation commise par le commissaire aux apports lors de son évaluation initiale de la valeur des éléments incorporels de l'activité apportée, laquelle erreur avait pour conséquence de réduire le crédit de la société aux yeux des tiers, de limiter la responsabilité de l'associé envers les créanciers à hauteur de 5 000 000 F alors que la valeur réelle de l'apport était de 8 000 000 F, de diminuer l'assiette du droit d'apport de 1 % ; que si, dans une attestation produite devant la Cour, le commissaire aux apports indique, dans des termes au demeurant imprécis, que le prix d'acquisition des parts correspondait vraisemblablement au prix du marché, ce document, contrairement à ce que soutient le requérant, n'établit pas que l'évaluation initiale réalisée par ledit commissaire à partir des propositions faites par M. X était manifestement erronée ;
Considérant que le requérant doit être entendu comme invoquant, sur le fondement des dispositions de l'article L.80 A du livre des procédures fiscales, l'application de la doctrine administrative résultant de deux réponses ministérielles faites à un sénateur, M. JOZEAU-MARIGNE, le 10 juillet 1975, et à un député, M. de BENOUVILLE, le 12 juillet 1975 ; que cette doctrine concerne le cas où, l'administration ayant relevé une insuffisance de la valeur d'apport, l'apporteur et la société bénéficiaire de l'apport ont rectifié leur contrat en prenant à leur propre compte l'évaluation donnée par le service ; qu'elle n'autorise pas les contribuables à procéder, de façon unilatérale, à une augmentation rétroactive de l'apport de capital initial ; que M. X n'est donc pas fondé à s'en prévaloir ;
Considérant que M. X soutient que, s'il s'était abstenu de constituer une EURL et avait apporté son activité individuelle directement à la société Septo Centelec, il aurait pu bénéficier d'un allégement de ses charges fiscales supérieur à celui dont il a bénéficié ; que, de même, s'il avait attendu plusieurs mois avant de céder ses droits sociaux, il aurait bénéficié pour l'imposition des plus-values constatées du régime des plus-values à long terme ; que, toutefois, en se plaçant dans une situation juridique différente de celle faisant l'objet du présent litige, le requérant n'apporte pas la preuve qu'en procédant à la rectification litigieuse, il n'a pas bénéficié d'un avantage fiscal supérieur à celui dont il aurait dû normalement bénéficier du fait de sa situation réelle ;
Considérant que M. X soutient que, dès lors que l'acte rectificatif de la valeur de l'apport émane de l'EURL et qu'aucune conséquence n'a été tirée de la critique de cet acte sur l'imposition de cette personne morale, il ne saurait lui être reproché d'avoir commis personnellement un abus de droit ; que, toutefois, il résulte de l'instruction que la procédure d'imposition a été menée à l'égard de la société, laquelle était soumise au régime d'imposition des sociétés de personnes transparentes prévu par l'article 8-4° du code général des impôts ; qu'en application des dispositions de cet article, en sa qualité d'associé unique de l'entreprise, le requérant a été à bon droit soumis à l'impôt sur le revenu sur la base des résultats dégagés par l'EURL ; que, dès lors, ce moyen ne pourra qu'être écarté ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'ordonner une expertise de l'évaluation de l'apport effectuée par le commissaire aux apports, que le requérant n'apporte pas la preuve que la rectification de la valeur d'apport, a été décidée pour un motif autre que celui de diminuer le montant de l'imposition de la plus-value constatée à l'occasion de cette cession ;
En ce qui concerne l'indemnité de licenciement de Mme X :
Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'à la suite du licenciement de Mme X, qui exerçait depuis le 1er juin 1986 les fonctions de gérante non associée de la société Agepierre, une transaction est intervenue le 17 février 1989 aux termes de laquelle l'intéressée a reçu de la société notamment une indemnité forfaitaire de 180 000 F en contrepartie de laquelle elle s'interdisait directement ou indirectement d'exercer pendant une durée de deux ans, en quelque qualité que ce soit, une activité concurrente de celle de la société Agepierre ; que l'administration a imposé dans la catégorie des traitements et salaires la totalité de la somme qu'a perçue Mme X en exécution de cet accord ;
Considérant qu'une indemnité versée à l'occasion d'un licenciement ne peut être regardée comme ayant le caractère de dommages-intérêts non imposables que si elle a pour objet de compenser un préjudice autre que celui résultant de la perte de salaires ;
Considérant que le requérant soutient que l'indemnité dont il s'agit visait à réparer le préjudice subi par son épouse du fait de la brutalité de la décision de licenciement liée à une restructuration de la société mise en oeuvre par de nouveaux actionnaires, alors que Mme X, âgée alors de 37 ans, était enceinte ; qu'il n'apporte toutefois aucune justification à l'appui de ses allégations ; qu'il n'est pas démontré, ni même allégué, que Mme X se serait retrouvée sans emploi à la suite de son licenciement ; qu'il suit de là que l'indemnité forfaitaire de 180 000 F qui a été versée à l'intéressée en application de l'accord transactionnel susmentionné, en dépit de l'existence d'une clause de non concurrence, n'a pas eu en réalité pour objet de réparer un préjudice autre que le préjudice pécuniaire qu'elle a subi du fait de son licenciement ; que si M. X sollicite l'application des dispositions de l'article 80 duodecies du code général des impôts issu du I de l'article 3 de la loi de finances pour 2000 du 30 décembre 1999, il résulte du 1 du II de l'article 1er de cette loi que lesdites dispositions sont applicables aux indemnités perçues à compter du 1er janvier 1999 ; qu'il est constant que l'indemnité en litige a été perçue par Mme X avant cette date ; que le requérant, qui entend obtenir, nonobstant cette circonstance, le bénéfice des dispositions de l'article 80 duodecies, ne saurait invoquer utilement la circonstance que l'administration aurait admis le principe de l'application rétroactive de nouvelles dispositions législatives aux litiges en cours ; que, par suite, ce moyen doit être écarté ;
Sur les pénalités :
Considérant qu'aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : 1. Lorsque la déclaration ou l'acte mentionné à l'article 1728 font apparaître une base d'imposition ou des éléments servant à la liquidation de l'impôt insuffisants, inexacts ou incomplets, le montant des droits mis à la charge du contribuable est assorti de l'intérêt de retard visé à l'article 1727 et d'une majoration de 40 % si la mauvaise foi de l'intéressé est établie ou de 80 % s'il s'est rendu coupable de manoeuvres frauduleuses ou d'abus de droit au sens de l'article L.64 du livre des procédures fiscales ;
Considérant que, comme il a été dit, l'existence de l'abus de droit reproché à M. X est établie ; que ce dernier ne pouvait ignorer le but exclusivement fiscal de l'opération qu'il a réalisée ; que, dans ces conditions, l'administration doit être regardée comme apportant la preuve que l'intéressé s'est prêté de manière consciente au montage en litige et qu'il était nécessairement informé que le bénéfice qu'il en tirerait reposait exclusivement sur un abus de droit ; qu'elle a pu à bon droit appliquer la pénalité de 80 % prévue par l'article 1729 précité ;
Considérant que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Nantes a énoncé les motifs pour lesquels, s'agissant des pénalités pour mauvaise foi au taux de 40 %, l'administration était en droit de les infliger au requérant pour ne pas avoir reporté sur sa déclaration de revenu d'ensemble aussi bien la plus-value à court terme réalisée par l'EURL RX X que la plus-value d'apport en sursis d'imposition ; qu'en se bornant à reprendre les moyens présentés en première instance, le requérant n'apporte à l'appui de sa requête aucun élément de nature à remettre en cause la solution retenue par le tribunal administratif ; que, dès lors, il y a lieu, par adoption des motifs des premiers juges de confirmer que l'administration était en droit, par application de l'article 1729 du code général des impôts, de faire application desdites pénalités ;
Considérant que le requérant qui a effectivement contesté ces pénalités devant le juge de l'impôt n'est pas fondé à soutenir qu'il aurait été privé du droit à un procès équitable prévu par l'article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que les stipulations de l'article 6-1 ne sont pas applicables à la procédure par laquelle l'administration établit des pénalités ; que le moyen tiré de ce que la procédure suivie pour l'établissement des pénalités litigieuses serait contraire à ces stipulations ne peut dès lors être accueilli ; que si le requérant invoque une atteinte au principe de la présomption d'innocence, il n'assortit ce moyen d'aucune précision de nature à lui conférer une portée utile ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. X n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande ;
DÉCIDE :
Article 1er :
La requête de M. X est rejetée.
Article 2 :
Le présent arrêt sera notifié à M. Rémi-Xavier X et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
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