Vu, 1° sous le n° 99NT02114, la requête enregistrée au greffe de la Cour le 10 août 1999, présentée pour le CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE BREST, représenté par son directeur en exercice, dont le siège est ..., par Me Le PRADO, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ;
Le centre hospitalier demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 96-2245 du 19 mai 1999 par lequel le Tribunal administratif de Rennes l'a condamné à payer, d'une part, à M. Marcel Y..., agissant en qualité d'administrateur légal de sa soeur Françoise Y..., la somme totale de 814 300,31 F en réparation des conséquences dommageables de l'hospitalisation de cette dernière à compter du 10 octobre 1994 dans cet établissement, d'autre part, à la Caisse primaire d'assurance maladie du Nord- Finistère, la somme de 4 732 437,61 F en remboursement de ses débours ;
2°) de rejeter les demandes de M. Y... et de la Caisse primaire d'assurance maladie du Nord- Finistère devant le Tribunal administratif de Rennes ;
Vu, 2° sous le n° 00NT01996, la requête enregistrée au greffe de la Cour le 6 décembre 1999, présentée pour M. Marcel Y..., agissant en qualité d'administrateur légal de sa soeur, Françoise Y..., demeurant 4, Park Ar Mo 22110 Rostrenen, par Me KERJEAN, avocat au barreau de Brest ;
M. Y... demande à la Cour d'assurer l'exécution du jugement n° 96-2245 du 19 mai 1999 par lequel le Tribunal administratif de Rennes a condamné le CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE BREST à lui payer une somme de 814 300,31 F et ce, sous peine d'une astreinte de 5 000 F par jour de retard ;
Vu l'ordonnance du 13 décembre 2000 par laquelle le président de la Cour administrative d'appel de Nantes a ouvert une procédure juridictionnelle et renvoyé la demande d'exécution du jugement susvisé à une formation collégiale de la Cour ;
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu la loi n° 80-539 du 16 juillet 1980 ;
Vu le code de justice administrative ;
En application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, les parties ayant été informées que l'arrêt à intervenir paraissait susceptible d'être fondé sur un moyen soulevé d'office ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 5 février
2002 :
-le rapport de M. BILLAUD, président,
-les observations de Me X..., substituant Me Le PRADO, avocat du CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE BREST,
-et les conclusions de M. LALAUZE, commissaire du gouvernement ;
Considérant que les requêtes n° 99NT02114 et n° 00NT01996 présentées, respectivement, par le CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE BREST et par M. Marcel Y..., sont relatives à un même jugement ; qu'il y a lieu de les joindre pour qu'elles fassent l'objet d'un seul arrêt ;
Considérant que par jugement du 19 mai 1999, le Tribunal administratif de Rennes a, d'une part, déclaré le CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE BREST entièrement responsable des conséquences dommageables du traitement neuro-chirurgical reçu le 20 octobre 1994 dans cet établissement par Melle Françoise Y..., d'autre part, condamné ledit centre hospitalier à verser la somme de 814 300,41 F (124 139,30 euros) à M. Marcel Y... en sa qualité de tuteur de sa soeur Françoise Y..., en réparation des préjudices subis par la victime et la somme de 4 732 437,61 F (721 455,46 euros) à la Caisse primaire d'assurance maladie du Nord-Finistère en remboursement de ses débours ; que le CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE BREST demande, à titre principal, l'annulation de ce jugement et le rejet des demandes de M. Y... et de la C.P.A.M du Nord-Finistère, subsidiairement, la minoration des sommes qui ont été mises à sa charge ; que, pour sa part, M. Y... demande la confirmation du jugement attaqué dont il sollicite, en outre, l'exécution sous peine d'astreinte et, par la voie de l'appel incident, la condamnation du CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE BREST à lui verser la totalité des sommes demandées en première instance ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que l'état chiffré des débours de la C.P.A.M du Nord- Finistère a été enregistré au greffe du Tribunal administratif de Rennes le 28 avril 1999 ; que la date de l'audience à laquelle l'affaire se trouvait appelée était fixée au 5 mai 1999 ; que le délai maximal de quatre jours que par l'effet de la clôture automatique de l'instruction prévue par l'article R. 155 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel alors en vigueur, le CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE BREST a disposé pour prendre connaissance de cet état et, éventuellement, y répondre, n'a pas été suffisant pour que le principe du caractère contradictoire de la procédure puisse être regardé comme ayant été respecté ; que ledit centre hospitalier est, dès lors, fondé à soutenir que le jugement du Tribunal administratif de Rennes du 19 mai 1999 est intervenu sur une procédure irrégulière et à en demander, dans cette mesure, l'annulation ;
Considérant que, dans les circonstances de l'affaire, il y a lieu d'évoquer en ce qui concerne l'évaluation du préjudice et de statuer par la voie de l'effet dévolutif de l'appel sur les autres points du litige ;
Sur la responsabilité :
Considérant qu'il résulte de l'instruction et, notamment, du rapport de l'expert désigné par ordonnance du 4 mai 1995 du juge des référés du Tribunal administratif de Rennes, que Melle Françoise Y..., qui était âgée de 37 ans au moment des faits et présentait un handicap physique et mental, a déclaré être tombée de son lit le 6 octobre 1994, durant son hébergement au foyer des Papillons Blancs à Guipavas et le 10 octobre 1994, alors qu'elle était hospitalisée au centre hospitalier spécialisé de Bohars dépendant du CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE BREST ; qu'à la suite de cette seconde chute, sont apparues des douleurs cervicales qui ont été authentifiées par la constatation, le 11 octobre 1994 au cours d'un examen médical, d'un hématome cervical puis, au cours des jours suivants, d'une perte de mobilité des membres inférieurs allant s'aggravant ; que ce n'est que le 20 octobre suivant, alors que l'aggravation de l'état de Melle Y... s'était traduite par une paraplégie statique, qu'un examen radiographique par I.R.M a été effectué et mis en évidence une fracture luxation C7-D1 ; que l'intervention chirurgicale qui a été pratiquée à cette même date ne pouvait remédier aux conséquences d'une fracture luxation qui, n'ayant pas été stabilisée, s'était décompensée et avait entraîné une paraplégie suivie d'une tétraplégie ; que, cependant, les signes neurologiques précis et concordants présentés par l'intéressée dès le 11 octobre 1994 imposaient, conformément aux données acquises de la science médicale sur les traumatismes vertébro-médullaires et nonobstant les circonstances particulières liées à l'état de la victime, une chirurgie d'urgence de décompression et de stabilisation par ostéosynthèse qui, si elle avait eu lieu immédiatement, avant l'apparition des signes de paralysie, aurait permis d'éviter la tétraplégie dont reste atteinte Melle Françoise Y... ; que ces retards à mettre en oeuvre les moyens de diagnostiquer la fracture luxation C7-D1, puis à pratiquer le traitement neurochirurgical requis, sont constitutifs d'une faute de nature à engager la responsabilité du CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE BREST dans la survenance du dommage causé à Melle Y... ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE BREST n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par son jugement du 19 mai 1999, le Tribunal administratif de Rennes l'a déclaré entièrement responsable des conséquences dommageables de l'hospitalisation de Melle Françoise Y... ;
Sur l'étendue du droit à réparation :
Considérant qu'aucun élément de l'instruction et, notamment, du rapport de l'expert, ne permet de regarder les retards fautifs sus-analysés, à l'origine des séquelles gardées par Melle Françoise Y..., comme ayant seulement fait perdre à l'intéressée une chance d'éviter ces conséquences dommageables lesquelles doivent, dès lors, contrairement à ce que soutient le CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE BREST, être intégralement prises en compte pour l'évaluation du préjudice ;
Sur l'évaluation du préjudice :
Considérant qu'il résulte de l'instruction et, notamment, du rapport d'expertise, que Melle Y... a subi une incapacité temporaire totale du 10 octobre 1994 au 16 mars 1998, date à laquelle son état a été consolidé ; qu'il est établi qu'elle exerçait, au moment des faits, une activité dans un centre d'aide pour le travail qui lui procurait un revenu annuel de l'ordre de 3 811,23 euros (25 000 F) ; qu'ainsi, la perte de revenus qu'elle a réellement subie durant cette période doit être fixée à la somme de 8 842,04 euros (58 000 F) ;
Considérant que Melle Y... reste atteinte d'une incapacité permanente partielle de 80 % dont l'évaluation, contrairement à ce que soutient le CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE BREST, ne prend pas en compte son handicap antérieur ; que les troubles de toute nature dans ses conditions d'existence, y compris le préjudice sexuel, éprouvés à ce titre doivent être évalués à la somme de 106 714,31 euros (700 000 F), dont la moitié réparant le préjudice relatif à l'atteinte à l'intégrité physique ;
Considérant qu'il sera fait une juste appréciation des préjudices relatifs à la souffrance endurée, esthétique et d'agrément en fixant leur réparation à la somme totale de 21 342,86 euros (140 000 F) ;
Considérant qu'il est resté à la charge de M. Y..., à raison du handicap présenté par sa soeur et en liaison avec la faute du CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE BREST, des frais non remboursés se rapportant à l'achat d'un fauteuil manuel, d'un fauteuil électronique et d'un coussin anti-escarres, d'un montant justifié de 6 669,69 euros (43 750,31 F) ;
Considérant que le forfait hospitalier resté à la charge de M. Y... au titre de l'année 1996 pour le séjour de sa soeur à la maison d'accueil spécialisé de Callac, où elle été hospitalisée à partir du 4 décembre 1995, doit être fixé à la somme justifiée de 3 895,07 euros (25 550 F) ;
Considérant que la C.P.A.M du Nord-Finistère a justifié, dans le dernier état de ses écritures, de débours comprenant des frais médicaux, pharmaceutiques, d'hospitalisation et d'appareillage, pour un montant total de 473 581,44 euros (3 106 490,61 F) ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'entier préjudice, dont la réparation doit être mise à la charge du CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE BREST, doit être fixé à la somme totale de 621 045,41 euros (4 073 790,84 F) ; que la part relative à l'atteinte à l'intégrité physique de la victime doit être fixée à 546 345,39 euros (3 583 790,83 F) et celle au titre des autres dommages à 74 700,02 euros (490 000 F) ;
Sur les droits de la C.P.A.M du Nord-Finistère :
Considérant qu'aux termes du troisième alinéa de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, Asi la responsabilité d'un tiers est entière ou si elle est partagée avec la victime, la caisse est admise à poursuivre le remboursement des prestations mises à sa charge à due concurrence de la part d'indemnité mise à la charge du tiers qui répare l'atteinte à l'intégrité physique de la victime, à l'exclusion de la part d'indemnité, de caractère personnel, correspondant aux souffrances physiques ou morales par elle endurées et au préjudice esthétique et d'agrément ; qu'il résulte de ces dispositions que le recours de la caisse s'exerce sur les sommes allouées à la victime en réparation de son préjudice corporel, la part d'indemnité de caractère personnel étant seule exclue de ce recours ; que, les débours exposés par la Caisse primaire d'assurance maladie du Nord-Finistère en raison de la faute du CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE BREST se sont élevés, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, à la somme de 473 581,44 euros (3 106 490,61 F) ; que, par ailleurs, la capitalisation des frais futurs d'appareillage et de séjour en maison d'accueil spécialisé d'un montant de 1 259 062,07 euros (8 258 905,78 F) doivent également s'imputer sur la part de l'indemnité qui répare l'atteinte à l'intégrité physique de la victime, telle qu'elle a été fixée à la somme précitée de 546 345,39 euros (3 583 790,83 F) ;
Considérant que le total des débours de la C.P.A.M du Nord-Finistère, d'un montant de 1 019 926,83 euros (6 690 281,44 F), est supérieur à la somme de 546 345,39 euros (3 583 790,83 F) sur laquelle peut s'exercer la créance de ladite caisse ; qu'ainsi, cette dernière ne peut prétendre qu'au remboursement de cette même somme de 546 345,39 euros (3 583 790,83 F) ;
Sur les droits de M. Marcel Y... :
Considérant que les droits de la caisse primaire d'assurance maladie absorbant l'intégralité de la somme destinée à réparer l'atteinte à l'intégrité physique, M. Y... ne peut prétendre, en sa qualité d'administrateur légal de sa soeur Françoise Y..., qu'au paiement de la somme totale de 74 700,02 euros (490 000 F) correspondant à la part de l'indemnité pour troubles dans les conditions d'existence ne réparant pas des troubles physiologiques et à la réparation des préjudices esthétique, d'agrément et entraîné par les souffrances endurées ;
Sur les autres conclusions de la C.P.A.M du Nord- Finistère :
Considérant que les conclusions tendant, d'une part, à la condamnation du CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE BREST au paiement de la somme de 116 852,17 euros (766 500 F) au titre de la capitalisation du forfait hospitalier, d'autre part, à la condamnation de ce même établissement à lui verser la somme de 884,20 euros (5 800 F) au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion sont présentées pour la première fois en appel : qu'elles ont en conséquence le caractère de demandes nouvelles qui ne sont pas recevables et doivent être rejetées pour ce motif ;
Sur les frais d'expertise :
Considérant qu'il y a lieu de laisser les frais d'expertise à la charge du CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE BREST ainsi qu'ils ont été taxés aux sommes de 2 826,79 euros (18 542,50 F) et de 465,91 euros (3 056,15 F) ;
Sur les intérêts :
Considérant que la C.P.A.M du Nord-Finistère a droit, comme elle le demande, à ce que la somme précitée de 546 345,39 euros (3 583 790,83 F) qui lui est due porte intérêts au taux légal à compter du 28 août 1999, date d'enregistrement de sa demande devant le tribunal administratif ;
Sur les conclusions de M. Y... tendant à l'exécution du jugement du Tribunal administratif de Rennes du 19 mai 1999 :
Considérant que par le présent arrêt est prononcée l'annulation, notamment, de la partie du dispositif du jugement du 19 mai 1999 du Tribunal administratif de Rennes condamnant le CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE BREST à indemniser le préjudice dont M. Y... demande réparation pour le compte de sa soeur Françoise ; qu'il s'ensuit que les conclusions de la demande de M. Y... tendant à l'exécution de ce jugement sont devenues sans objet ;
Sur les conclusions tendant au remboursement des frais exposés et non compris dans les dépens :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de condamner le CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE BREST à payer, d'une part, à M. Y... la somme de 1 000 euros (6 559,57 F), d'autre part, à la Caisse primaire d'assurance maladie du Nord-Finistère la somme de 800 euros (5 247,66 F) au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
Article 1er: Les articles 2 et 3 du jugement du Tribunal administratif de Rennes du 19 mai 1999 condamnant le CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE BREST à réparer les préjudices subis par M. Marcel Y... agissant en qualité d'administrateur légal de sa soeur Françoise Y... et par la Caisse primaire d'assurance maladie du Nord-Finistère, sont annulés.
Article 2 : Le C.H.U DE BREST est condamné à payer la somme de 74 700,02 euros (soixante quatorze mille sept cent euros deux centimes) à M. Y... agissant en qualité d'administrateur légal de sa soeur Françoise Y....
Article 3 : Le C.H.U DE BREST est condamné à payer la somme de 546 345,39 euros (cinq cent quarante six mille trois cent quarante cinq euros trente neuf centimes) à la C.P.A.M du Nord-Finistère. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 28 août 1999.
Article 4 : Le C.H.U DE BREST est condamné à payer la somme de 1 000 euros (mille euros) à M. Y... et celle de 800 euros (huit cents euros) à la C.P.A.M du Nord-Finistère au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête n° 99NT02114 du C.H.U DE BREST et des demandes indemnitaires présentées par M. Y... et la C.P.A.M du Nord-Finistère devant le Tribunal administratif de Rennes, est rejeté.
Article 6 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 00NT01996 de M. Y....
Article 7 : Le présent arrêt sera notifié au C.H.U DE BREST, à M. Y... agissant en qualité d'administrateur légal de Melle Françoise Y..., à la C.P.A.M du Nord-Finistère et au ministre de l'emploi et de la solidarité.