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19/10/2001 | FRANCE | N°98NT00517

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3e chambre, 19 octobre 2001, 98NT00517


Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour le 10 mars 1998, présentée pour :
- Mme Madeleine X..., demeurant ... ;
- Mlle Catherine X..., demeurant ... ;
- M. Olivier X..., demeurant ... ;
- Mlle Véronique X..., demeurant ..., par Me Y..., avocat au barreau de Rennes ;
Les consorts X... demandent à la Cour :
1 ) d'annuler le jugement n 93-3482 du 28 octobre 1997 par lequel le Tribunal administratif de Rennes a rejeté leur demande tendant à la condamnation du Centre hospitalier régional et universitaire (C.H.R.U.) de Rennes à réparer le préjudice résult

ant pour eux des conséquences d'un acte d'investigation médicale pratiqué dans...

Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour le 10 mars 1998, présentée pour :
- Mme Madeleine X..., demeurant ... ;
- Mlle Catherine X..., demeurant ... ;
- M. Olivier X..., demeurant ... ;
- Mlle Véronique X..., demeurant ..., par Me Y..., avocat au barreau de Rennes ;
Les consorts X... demandent à la Cour :
1 ) d'annuler le jugement n 93-3482 du 28 octobre 1997 par lequel le Tribunal administratif de Rennes a rejeté leur demande tendant à la condamnation du Centre hospitalier régional et universitaire (C.H.R.U.) de Rennes à réparer le préjudice résultant pour eux des conséquences d'un acte d'investigation médicale pratiqué dans cet établissement sur M. X..., puis du décès de ce dernier ;
2 ) de condamner le C.H.R.U. de Rennes à verser :
- à la succession de M. X... les sommes de 35 000 F au titre de la perte de rémunération après recours des organismes sociaux et de l'employeur, et de 100 000 F au titre des troubles dans les conditions d'existence et des souffrances endurées ;
- les sommes de 70 000 F à Mme X... et de 50 000 F à chacun des trois enfants au titre du préjudice moral ;
- la somme de 500 000 F à Mme X... au titre de son préjudice patrimonial, ces sommes portant intérêts et étant capitalisées ;
- la somme de 15 000 F au titre des frais non compris dans les dépens ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 21 septembre 2001 :
- le rapport de M. CADENAT, président,
- les observations de Me DUROUX-COUERY, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie d'Ille-et-Vilaine,
- et les conclusions de M. MORNET, commissaire du gouvernement ;

Considérant que M. Claude X... a été hospitalisé au Centre hospitalier régional et universitaire (C.H.R.U.) de Rennes le 29 avril 1992 et y a subi, le 5 mai suivant une coronarographie ; qu'au cours de cet examen s'est produit un accident neurologique qui s'est manifesté par une crise convulsive accompagnée d'un coma profond et d'une hémiplégie droite ; que M. X... est décédé le 9 octobre 1993 ; que les consorts X... et la Caisse primaire d'assurance maladie (C.P.A.M.) d'Ille-et-Vilaine relèvent appel du jugement du 28 octobre 1997 par lequel le Tribunal administratif de Rennes a rejeté leur demande tendant à la condamnation du C.H.R.U. à réparer les conséquences dommageables de cet examen ;
Sur la responsabilité :
Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert, que l'accident est survenu au moment du positionnement de la sonde au niveau de l'aorte et avant toute injection de produit de contraste ; que si la relation de causalité entre l'examen et l'accident neurologique est établie, il apparaît, d'une part que l'indication de la coronarographie était justifiée compte tenu de l'état de M. X... qui souffrait de douleurs angineuses qui pouvaient conduire à un infarctus du myocarde, d'autre part que cet examen a été pratiqué dans des conditions normales et qu'aucune faute ne peut être reprochée, sur ce point, au C.H.R.U. de Rennes ;
Considérant, en deuxième lieu, qu'en raison de l'état initial susindiqué de M. X..., notamment des risques d'infarctus du myocarde auxquels il était exposé, les séquelles dont il est resté atteint après l'examen puis son décès ne peuvent être regardés comme sans rapport avec son état initial ou avec l'évolution prévisible de cet état ;
Considérant, toutefois, qu'il résulte de l'instruction et du rapport de l'expert que le fascicule remis à M. X... avant que soit pratiquée la coronarographie ne l'informait pas avec une précision suffisante des risques de trouble du rythme cardiaque, d'embolie, voire de mort subite qu'il encourrait, même si ces risques sont exceptionnels ; que le manquement à cette obligation d'information était de nature, dans les circonstances de l'espèce, à engager la responsabilité du C.H.R.U. de Rennes ; que, par suite, les consorts X... sont fondés à demander l'annulation du jugement attaqué et la condamnation du C.H.R.U. à réparer les conséquences dommageables de la coronarographie subie par M. X... ;
Sur le préjudice :
Considérant que la réparation du dommage résultant de la perte d'une chance, pour M. X..., de se soustraire au risque qui s'est finalement réalisé doit être fixée à une fraction des différents chefs de préjudice subis tant par M. X... que par les consorts X... ; que, compte tenu du rapprochement entre, d'une part, les risques inhérents à la coronarographie et, d'autre part, la circonstance que cet examen était indiqué en raison de l'état initial de M. X..., cette fraction doit être fixée, en l'espèce, au cinquième des différents chefs de préjudice subis tant par M. X... avant son décès que par les consorts X... après son décès ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que les frais médicaux et d'hospitalisation exposés par la C.P.A.M. d'Ille-et-Vilaine s'élèvent à 825 934 F ; que M. X... a subi des pertes de revenus qui s'établissent à 35 000 F ; que le taux d'incapacité résultant des suites de la coronarographie doit être évalué, dans les circonstances de l'espèce, à 80 % ; que les troubles de toute nature dans les conditions d'existence qui en ont résulté pour M. X... doivent être fixés, compte tenu de son décès, survenu en octobre 1993, à la somme de 50 000 F dont la moitié répare l'atteinte à son intégrité physique ; que les souffrances endurées par M. X... justifient une évaluation de 50 000 F ;
Considérant que, par suite, il y a lieu de fixer le préjudice corporel de M. X... soumis à recours à la somme de 1 366 934 F et son préjudice personnel à celle de 75 000 F ; que, compte tenu de ce qui a été dit plus haut sur la fraction du cinquième de la totalité du préjudice à retenir, ces sommes doivent être ramenées respectivement à 273 386,80 F et 15 000 F ;
Considérant que Mme X... a subi, du fait de l'état puis du décès de son époux, des troubles dans ses conditions d'existence qui doivent, dans les circonstances de l'espèce, être évalués à 50 000 F ; que s'agissant d'un ménage sans enfant mineur à charge, il y a lieu d'admettre que Mme X... disposait de 50 % des revenus apportés au ménage par son mari ; que, compte tenu de l'âge de M. X... lors de son décès et du montant du salaire qu'il percevait avant son hospitalisation, il sera fait une juste appréciation des pertes de revenus subies par Mme X... du fait du décès de son époux en les fixant à la somme de 481 000 F ; qu'en vertu de ce qui a été dit sur la fraction du préjudice à retenir, les sommes de 50 000 F et 481 000 F doivent être ramenées à 10 000 F et à 96 200 F ;
Considérant, enfin, que les trois enfants majeurs de M. et Mme X... ont subi, du fait du décès de leur père, des troubles dans leurs conditions d'existence qui peuvent être évalués, pour chacun, à la somme de 30 000 F ; que, pour les raisons susmentionnées, cette somme doit être ramenée à 6 000 F ;
Sur les droits de la C.P.A.M. d'Ille-et-Vilaine :
Considérant qu'aux termes du troisième alinéa de l'article L.376-1 du code de la sécurité sociale : "Si la responsabilité du tiers est entière ou si elle est partagée avec la victime, la caisse est admise à poursuivre le remboursement des prestations mises à sa charge à due concurrence de la part d'indemnité mise à la charge du tiers qui répare l'atteinte à l'intégrité physique de la victime, à l'exclusion de la part d'indemnité, de caractère personnel, correspondant aux souffrances physiques ou morales par elle endurées et au préjudice esthétique ou d'agrément" ; qu'il résulte de ces dispositions que le recours de la caisse s'exerce sur les sommes allouées à la victime en réparation de la perte d'une chance d'éviter un préjudice corporel, la part d'indemnité de caractère personnel étant seule exclue de ce recours ;

Considérant que la C.P.A.M. d'Ille-et-Vilaine justifie du versement de frais médicaux et d'hospitalisation d'un montant de 825 934 F ; que les indemnités journalières qu'elle a versées à M. X... avant son décès s'élèvent à 74 107,39 F et que le capital décès qu'elle a versé à Mme X... est de 25 658,72 F ; que le total de ces prestations qui s'élève à 925 700,11 F excédant la somme de 273 386,80 F représentant la part du préjudice de M. X... soumise à recours ainsi que les pertes de revenus subies par Mme X..., il y a lieu d'allouer cette dernière somme à la C.P.A.M. d'Ille-et-Vilaine ;
Sur les droits de Mme X... :
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme X... a droit à une somme totale de 106 200 F ;
Sur les droits de Catherine, Olivier et Véronique X... :
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Catherine, Olivier et Véronique X..., enfants majeurs de M. et de Mme X... ont droit chacun, d'une part à une indemnité de 6 000 F au titre de leurs propres troubles dans les conditions d'existence, d'autre part à une somme de 5 000 F représentant le tiers du préjudice personnel de M. X... ;
Sur les intérêts et les intérêts des intérêts :
Considérant, en premier lieu, que la C.P.A.M. d'Ille-et-Vilaine a droit aux intérêts de la somme de 273 386,80 F à compter du 11 février 1994 ; qu'elle a demandé la capitalisation des intérêts échus les 27 février 1996 et 4 mai 1998 ; qu'à chacune de ces dates il était dû au moins une année d'intérêts ; que, dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à ces demandes ;
Considérant, en second lieu, que, d'une part Mme X..., d'autre part Catherine, Olivier et Véronique X..., ont droit aux intérêts des sommes susmentionnées de 106 200 F et de 11 000 F pour chacun de ses trois enfants, à compter du 7 décembre 1993, date d'enregistrement de leurs demandes devant le Tribunal administratif de Rennes ; qu'ils ont demandé la capitalisation des intérêts échus les 7 février 1996, 23 mai 1997, 10 mars 1998, 22 juillet 1999 et 25 août 2000 ; qu'à chacune de ces dates, sauf pour celle du 10 mars 1998, il était dû au moins une année d'intérêts ; que, dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu, dans cette mesure de faire droit à ces demandes ;
Sur les frais d'expertise :
Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre les frais d'expertise, qui s'élèvent à 1 000 F, à la charge du C.H.R.U. de Rennes ;
Sur l'application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application de ces dispositions, de condamner le C.H.R.U. de Rennes à payer tant aux consorts X... qu'à la C.P.A.M. d'Ille et Vilaine une somme de 6 000 F au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;
Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Rennes du 28 octobre 1997 est annulé.
Article 2 : Le C.H.R.U. de Rennes versera à la C.P.A.M. d'Ille-et-Vilaine une somme de deux cent soixante treize mille trois cent quatre vingt six francs et quatre vingt centimes (273 386,80 F). Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 11 février 1994. Les intérêts échus les 27 février 1996 et 4 mai 1998 seront capitalisés à chacune de ces dates pour porter eux-mêmes intérêts.
Article 3 : Le C.H.R.U. de Rennes versera à Mme X... la somme de cent six mille deux cents francs (106 200 F) et à Catherine, Olivier et Véronique X... chacun onze mille francs (11 000 F). Ces sommes porteront intérêts à compter du 7 décembre 1993. Les intérêts échus les 7 février 1996, 23 mai 1997, 22 juillet 1999 et 25 août 2000 seront capitalisés à chacune de ces dates pour porter eux-mêmes intérêts.
Article 4 : Les frais d'expertise qui s'élèvent à mille francs (1 000 F) sont mis à la charge du C.H.R.U. de Rennes.
Article 5 : Le C.H.R.U. de Rennes versera tant à la C.P.A.M. d'Ille-et-Vilaine qu'aux consorts X... une somme de six mille francs (6 000 F) au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Le surplus des conclusions de la requête et de celles de la C.P.A.M. d'Ille-et-Vilaine est rejeté.
Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à Mme Madeleine X..., à Mlle Catherine X..., à M. Olivier X..., à Mlle Véronique X..., à la caisse primaire d'assurance maladie d'Ille-et-Vilaine, au centre hospitalier régional et universitaire de Rennes et au ministre de l'emploi et de la solidarité.


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3e chambre
Numéro d'arrêt : 98NT00517
Date de la décision : 19/10/2001
Type d'affaire : Administrative

Analyses

60-02-01-01-01-02-03 RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - RESPONSABILITE EN RAISON DES DIFFERENTES ACTIVITES DES SERVICES PUBLICS - SERVICE PUBLIC DE SANTE - ETABLISSEMENTS PUBLICS D'HOSPITALISATION - RESPONSABILITE POUR FAUTE SIMPLE : ORGANISATION ET FONCTIONNEMENT DU SERVICE HOSPITALIER - ABSENCE DE FAUTE - INFORMATION ET CONSENTEMENT DU MALADE


Références :

Code civil 1154
Code de justice administrative L761-1
Code de la sécurité sociale L376-1


Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. CADENAT
Rapporteur public ?: M. MORNET

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2001-10-19;98nt00517 ?
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