Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour le 13 août 1996, présentée pour M. et Mme Denis X..., demeurant au lieu-dit "Le Fossé Raffray", à Trégomeur (22590), par la SCP d'avocats BONDIGUEL-POIRRIER-JOUAN, avocat au barreau de Rennes ;
M. et Mme X... demandent à la Cour :
1 ) de réformer le jugement n 90482-90725 du 30 mai 1996 par lequel le Tribunal administratif de Rennes a rejeté en partie leurs demandes tendant à la décharge des compléments d'impôt sur le revenu auxquels ils ont été assujettis au titre des années 1984 et 1985, à la réduction de l'impôt sur le revenu auquel ils ont été assujettis au titre des années 1986 et 1987 et à la condamnation de l'Etat à leur verser une somme de 15 000 F au titre des frais irrépétibles ;
2 ) à titre principal de prononcer la décharge des impositions contestées et à titre subsidiaire de dire et juger que les bases imposables notifiées au titre des bénéfices agricoles sont erronées et rétablir les résultats déterminés par les appelants ;
3 ) de condamner l'Etat à leur verser, au titre de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel une somme de 10 000 F, plus 100 F correspondant au droit de timbre ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi d'orientation agricole n 80-502 du 4 juillet 1980 ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu la loi n 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience,
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 8 juin 1999 :
- le rapport de M. ISAÏA, premier conseiller,
- les observations de Me POIRRIER-JOUAN, avocat de M. et Mme X...,
- et les conclusions de M. AUBERT, commissaire du gouvernement ;
Sur l'étendue du litige :
Considérant que, par décision en date du 8 juillet 1997 postérieure à l'introduction de la requête, le directeur des services fiscaux des Côtes d'Armor a prononcé le dégrèvement, en droits et pénalités, à concurrence d'une somme de 8 676 F des compléments d'impôt sur le revenu auxquels M. et Mme X... ont été assujettis au titre des années 1984 et 1986 ; que les conclusions de la requête de M. et Mme X... relatives à ces impositions sont, dans cette mesure, devenues sans objet ;
Sur le régime d'imposition applicable et la régularité de la vérification de comptabilité :
Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 69 du code général des impôts : "I. Lorsque les recettes d'un exploitant agricole, pour l'ensemble de ses exploitations, dépassent une moyenne de 500 000 F mesurée sur deux années consécutives, l'intéressé est obligatoirement imposé d'après son bénéfice réel à compter de la première année suivant la période biennale considérée" ;
Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 23 , alors en vigueur, de la loi susvisée du 4 juillet 1980 : "Pour bénéficier des droits et avantages que la loi confère à l'exploitant agricole, le conjoint qui exploite un fonds agricole séparé doit apporter la preuve de l'exercice effectif de cette activité séparée. L'exploitation par chacun des époux d'un fonds agricole séparé ne peut avoir pour effet de les placer dans une situation plus favorable, en ce qui concerne leurs statuts économique, social ou fiscal, que celle dont ils bénéficieraient s'ils exploitaient ensemble un fonds équivalant à la réunion de leurs deux exploitations" ;
Considérant que lorsque ces dispositions combinées s'appliquent à des époux qui exercent chacun une activité agricole, il existe, dans le cas où ils sont mariés sous le régime de la communauté, une présomption d'unicité de l'exploitation à laquelle le contribuable ne peut faire échec qu'en apportant la preuve que chacun des époux gère effectivement de manière autonome sa propre exploitation ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. et Mme X..., agriculteurs à Trégomeur (Côtes d'Armor), exerçaient, respectivement, les activités d'élevage de poulettes et d'engraissage de taurillons ; que Mme X... ne possédait pas en propre les éléments de son actif professionnel, lesquels étaient la propriété indivise des époux, mariés sous le régime de la communauté ; que l'utilisation du matériel agricole était assez largement commune ; que chacun des époux faisait usage de certains produits ou sous-produits provenant de l'exploitation de son conjoint, sans lui verser de rémunération ; que Mme X... ne supportait au titre de son exploitation aucune charge résultant de la consommation d'eau ou d'électricité ; que les factures des fournisseurs étaient établies indifféremment au nom de M. ou Mme X... et que cette dernière ne tenait pas une comptabilité distincte ; qu'ainsi, et sans que puissent y faire obstacle les circonstances que les requérants étaient inscrits séparément à la Mutualité sociale agricole en qualité de chefs d'exploitation et sur les listes électorales des chambres d'agriculture dans le collège des exploitants et que leurs activités étaient différentes et exercées sur des parcelles de terre louées par chacun d'eux, Mme X... ne peut pas être regardée comme ayant géré son exploitation de façon autonome ; que, dans ces conditions, c'est à bon droit que l'administration a estimé que, pour l'appréciation du plafond de recettes fixé à l'article 69-I du code général des impôts il convenait d'additionner les recettes de Mme X... et celles de son époux ; qu'il est constant qu'au cours des années d'imposition en litige les recettes ainsi déterminées dépassaient le plafond dont il s'agit ;
Considérant, il est vrai, que M. et Mme X... invoquent, sur le fondement de l'article L.80-A du livre des procédures fiscales, l'instruction 5-E-7-71 du 20 décembre 1971, dont l'administration reconnaît qu'elle n'a pas été rapportée à la suite de l'entrée en vigueur de l'article 23 de la loi susvisée du 4 juillet 1980 et qui admet que, dans le cas où le conjoint de l'exploitant gérerait de manière autonome un domaine dont tous les éléments de l'actif lui appartiennent en propre, cette propriété constitue une exploitation distincte ; que, toutefois, cette instruction n'ajoute rien aux dispositions législatives applicables, telles qu'elles ont été interprétées ci-dessus ; que, de même, les requérants ne peuvent utilement invoquer la réponse du ministre de l'économie et des finances à M. Y..., député, publiée au journal officiel du 17 janvier 1990, dès lors que ladite réponse n'admet la possibilité pour des conjoints agriculteurs de choisir séparément le mode d'imposition de leurs bénéfices qu'à la condition qu'il s'agisse d'exploitations distinctes, ce qui précisément n'est pas le cas en l'espèce ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'administration était en droit, d'une part, de soumettre l'activité de Mme X... au régime réel d'imposition et, d'autre part, de procéder à une vérification de comptabilité de cette même activité ;
Sur la détermination du résultat d'exploitation :
Considérant que les requérants soutiennent que c'est à tort que l'administration n'a pas utilisé la méthode de reconstitution retenue au 31 décembre 1984 pour évaluer, au 1er janvier 1984, les taurillons et le maïs apportés par Mme X... à son entreprise individuelle lors de la dissolution le 31 décembre 1983 du GAEC "Le Fossé Raffray" dont elle était l'associée ; que, toutefois, il résulte des indications, non contestées, données par le ministre, que le montant de 259 400 F mentionné en "stock" au 1er janvier 1984 correspond en fait à l'achat au GAEC de taurillons et de maïs, pour des montants respectivement de 240 000 F et de 19 400 F et que cette somme est justifiée dans la comptabilité de Mme X... par une facture d'achat régulièrement émise par ledit GAEC ; que, dès lors, la valeur des stocks de taurillons et de maïs ne pouvait être remise en cause malgré le rehaussement de la valeur de ces stocks au 31 décembre 1984, décidé par le vérificateur ; que l'existence d'un stock de paille au 1er janvier 1984 n'ayant été justifié ni par le journal des achats ni par une facture de cession établie par le GAEC, c'est à bon droit que le vérificateur n'a retenu aucune valeur à ce titre à l'ouverture de l'exercice et ce nonobstant la circonstance qu'il a évalué à 7 980 F le stock de paille existant au 31 décembre 1984, date de clôture dudit exercice ; que, dès lors, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que les impositions en litige auraient un caractère exagéré ;
Sur le bénéfice du "système du quotient" :
Considérant qu'aux termes de l'article 38 sexdecies J de l'annexe III au code général des impôts : "I. Lorsqu'un exploitant réalise un bénéfice supérieur à 50 000 F et excédant deux fois la moyenne des résultats des trois années précédentes, il peut demander que la fraction de ce bénéfice qui dépasse 50 000 F ou cette moyenne si elle est supérieure, soit imposée selon les règles prévues à l'article 150 R du code général des impôts ... ; VI. Les dispositions du présent article ne sont pas applicables en cas de modification substantielle des conditions de l'exploitation pendant l'année de réalisation du bénéfice et les trois années antérieures" ; qu'il résulte de ces dispositions que le régime particulier d'imposition selon le "système du quotient" est réservé aux bénéfices exceptionnels consécutifs à la fluctuation des revenus agricoles d'une exploitation exerçant dans des conditions comparables au cours de la période susvisée et ne peut être appliqué aux bénéfices résultant d'une modification substantielle des conditions de l'exploitation ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que jusqu'au 31 décembre 1983 l'activité de l'entreprise agricole de M.
X...
se limitait à l'élevage de poulettes et à la production de céréales ; qu'à partir du 1er janvier 1984 Mme X... est venue y adjoindre l'activité d'élevage de taurillons qu'elle avait exercée jusque là dans le cadre du GAEC du "Fossé Raffray", dont elle était membre et qui a été dissous le 31 décembre 1983 ; que cette adjonction constitue une modification substantielle des conditions de l'exploitation au sens des dispositions précitées de l'article 38 sexdecies J de l'annexe III au code général des impôts ; qu'ainsi, les requérants ne sont pas fondés, en tout état de cause, à demander le bénéfice du "système du quotient" en ce qui concerne l'imposition des revenus perçus au titre des années 1984, 1985 et 1986 ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme X... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Rennes a rejeté le surplus des conclusions de leurs demandes ;
Sur les conclusions de M. et Mme X... tendant à l'allocation des sommes non comprises dans les dépens :
Considérant que les dispositions de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante pour l'essentiel, soit condamné à payer à M. et Mme X... la somme qu'ils demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;
Article 1er : A concurrence de la somme de huit mille six cent soixante seize francs (8 676 F) en ce qui concerne les compléments d'impôt sur le revenu auxquels M. et Mme X... ont été assujettis au titre des années 1984 et 1986, il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête de M. et Mme X....
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de M. et Mme X... est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme X... et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.