Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour le 5 février 1996, présentée pour la Société Fromageries Normandes de Royville, dont le siège est situé au lieudit "Eglemesnil" à Royville 76730, représentée par ses dirigeants légaux, par la S.C.P DELAPORTE, BRIARD, avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ;
La Société Fromageries Normandes de Royville demande à la Cour :
1 ) d'annuler le jugement n 91-350 du 12 décembre 1995 du Tribunal administratif de Rouen en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'état exécutoire d'un montant de 1 553 189,86 F émis à son encontre le 19 septembre 1991 par le directeur de l'Office National Interprofessionnel du lait et des produits laitiers (ONILAIT) et correspondant au prélèvement pour dépassement des quotas laitiers au cours de la campagne de 1989-1990 ;
2 ) d'annuler cet état exécutoire et de condamner l'ONILAIT à lui verser une somme de 20 000 F au titre de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le règlement CEE n 804-68 du Conseil des communautés européennes en date du 27 juin 1968 ;
Vu les règlements CEE n 856 et 857/84 du Conseil des communautés européennes du 31 mars 1984 ;
Vu la loi n 82-847 du 6 octobre 1982 relative à la création d'offices d'intervention dans le secteur agricole et à l'organisation des marchés ;
Vu le décret n 83-247 du 18 mars 1983 portant création d'un office national interprofessionnel du lait et des produits laitiers ;
Vu le décret n 84-661 du 17 juillet 1984 relatif à la maîtrise de la production du lait de vache et aux modalités de recouvrement d'un prélèvement supplémentaire à la charge des acheteurs et des producteurs de lait de vache ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu la loi n 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 7 janvier 1998 :
- le rapport de M. LALAUZE, conseiller,
- les observations de Me BRIARD, avocat de la Société Fromageries Normandes de Royville,
- et les conclusions de Mme DEVILLERS, commissaire du gouvernement ;
Sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête :
Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'au cours du troisième trimestre 1989 dix producteurs de lait ont cessé de livrer leur production à la laiterie SOFRALAIT pour la vendre à la société des Laiteries du Pont de Sauldre, à laquelle a succédé la société Fromageries Normandes de Royville ; que ce changement d'acheteur n'a pas été porté à la connaissance de l'ONILAIT et de la laiterie de départ (SOFRALAIT) dans les délais impartis par les dispositions de la circulaire du 23 juin 1989 du directeur de l'ONILAIT relative aux transferts de référence entre laiteries consécutifs au passage de producteur d'une laiterie à une autres ; qu'en conséquence l'ONILAIT a refusé de prendre en compte le transfert de producteurs de la laiterie SOFRALAIT à la société des Laiteries du Pont de Sauldre et a estimé que cette dernière avait dépassé le quota de références qui lui avait été assigné pour la campagne 1989-1990 ;
Considérant que la circulaire précitée du directeur de l'ONILAIT en date du 23 juin 1989 dispose en son paragraphe C : "Exclusions et Forclusions : ...2 /Tout transfert de producteur qui serait notifié à l'ONILAIT pour la première fois (même, en cas de litige par l'une des deux parties seulement) ... au-delà du 28 février 1990, ne serait pas pris en compte par l'ONILAIT pour le calcul du prélèvement supplé-mentaire éventuel de la campagne considérée ... 3 /Sans préjudice du 2 /ci-dessus, au cas où une laiterie d'arrivée ne pourrait pas apporter la preuve qu'elle a transmis le document QT06 à la laiterie de départ, ou qu'elle n'a pas été en mesure de le faire, dans un délai de deux mois suivant le début des livraisons du producteur concerné, l'ajustement des quantités de références des deux laiteries ne pourrait être effectué sur la campagne au cours de laquelle le producteur change de laiterie." ; que ces dispositions ont pour objet et pour effet de sanctionner le retard mis par la laiterie d'arrivée à communiquer à la laiterie de départ le transfert à son profit des quantités de référence d'un producteur au cours d'une campagne laitière déterminée, par une augmentation du prélèvement institué par les règlements communautaires susvisés du 27 juin 1968 et 31 mars 1984 dû par la laiterie au titre de cette campagne ;
Considérant que s'il appartient à l'ONILAIT, en vertu de la loi du 6 octobre 1982 relative à la création d'offices d'intervention dans le secteur agricole et du décret du 17 juillet 1984, d'appliquer les mesures communautaires, de déterminer les quantités de référence des producteurs de lait et de procéder au recouvrement du prélèvement institué par les règlements communautaires, aucun texte ne lui donne compétence pour édicter une règle de la nature de celle qui est énoncée au paragraphe I, C-2e et 3e de la circulaire attaquée ; que ces dispositions, divisibles des autres dispositions de la circulaire, sont, dès lors, entachées d'incompétence ; que par suite c'est à tort que l'ONILAIT s'est fondé sur ces dispositions pour établir le prélèvement supplémentaire litigieux ; que l'état exécutoire émis à l'encontre de la Société Fromageries Normandes de Royville est dépourvu de base légale et doit être annulé ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la Société Fromageries Normandes de Royville est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel :
Considérant qu'aux termes de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel : "Dans toutes les instances devant les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation" ;
Considérant que l'ONILAIT succombe dans la présente instance ; que sa demande tendant à ce que la Société Fromageries Normandes de Royville soit condamnée à lui verser une somme au titre des frais qu'il a exposés doit, en conséquence, être rejetée ; qu'il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions précitées, de condamner l'ONILAIT à payer à la Société Fromageries Normandes de Royville la somme de 6 000 F ;
Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Rouen en date du 12 décembre 1995 et l'état exécutoire émis le 19 septembre 1991 par l'Office National Interprofessionnel du lait et des produits laitiers (ONILAIT) à l'encontre de la Société Fromageries Normandes de Royville sont annulés.
Article 2 : L'Office National Interprofessionnel du lait et des produits laitiers (ONILAIT) versera à la Société Fromageries Normandes de Royville une somme de six mille francs (6 000 F) au titre de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la Société Fromageries Normandes de Royville, à l'Office National Interprofessionnel du lait et des produits laitiers (ONILAIT) et au ministre de l'agriculture et de la pêche.