Vu la requête enregistrée au greffe de la cour le 28 juin 1993, présentée pour l'office public départemental d'habitation à loyer modéré (OPHLM) d'Ille-et-Vilaine, dont le siège social est ..., représenté par son président en exercice, par la SCP Gosselin, Panaget, Pierre, Sinquin, Depasse, Fx. Gosselin, avocat ;
L'OPHLM demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 28 avril 1993 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à ce que le bureau d'études techniques (BET) Ouest-Etudes, M. X..., architecte, et la société Etablissements J. Goni soient condamnés solidairement, sur le fondement de la garantie décennale ou encore de la garantie de bon fonctionnement des constructeurs, à réparer le préjudice résultant des désordres affectant la plupart des plafonds de l'ensemble immobilier qu'il a réhabilité, situé ... ;
2°) de condamner solidairement ces personnes à lui payer, sur le fondement de l'une ou l'autre de ces garanties, la somme de 1.417.751,61 F, à actualiser à la date du règlement effectif par référence à la variation de l'indice du coût de la construction depuis le mois de septembre 1990, ainsi que celle de 30.000 F au titre des dispositions de l'article L. 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ; subsidiairement de lui donner acte de ce que les recours qu'il engagerait à l'avenir sur le fondement de la garantie décennale à raison de ces mêmes désordres seraient recevables au regard du délai de garantie ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des marchés publics ;
Vu le code civil ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 22 novembre 1995 ;
- le rapport de Mme Devillers, conseiller,
- les observations de Maître Sinquin, avocat de l'OPHLM d'Ille-et-Vilaine,
- les observations de Maître Beaugeard, avocat de la société Etablissements J. Goni,
- et les conclusions de M. Cadenat, commissaire du gouvernement ;
Considérant que l'OPHLM d'Ille-et-Vilaine demande à la cour d'annuler le jugement du 28 avril 1993 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à ce que M. X..., architecte, le bureau d'études Ouest-Etudes et l'entreprise Etablissements J. Goni soient condamnés solidairement, soit au titre de la garantie décennale, soit au titre de la garantie de bon fonctionnement, à réparer le préjudice résultant des désordres affectant les peintures des plafonds des logements de l'ensemble immobilier locatif situé dans le quartier Cleunay-Million à Rennes, ensemble qui a fait l'objet de travaux de réhabilitation au cours des années 1984 à 1986 ; Sur le fondement de la garantie décennale :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que les peintures des plafonds de certaines pièces et principalement des cuisines d'un grand nombre de logements de l'ensemble immobilier qui a fait l'objet des travaux de réhabilitation s'écaillent et se décollent, entraînant la chute de particules de peinture ; qu'il ne résulte pas de l'instruction que l'effritement et la chute de particules soit de nature à compromettre la salubrité des logements, notamment des cuisines, ou encore la sécurité des occupants ; que, dans ces conditions, c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que les désordres ne pouvaient engager la responsabilité des constructeurs sur la base des principes dont s'inspirent les articles 1792 et 2270 du code civil ;
Sur le fondement de la garantie de bon fonctionnement :
En ce qui concerne le principe de la mise en jeu de cette garantie :
Considérant qu'en application des principes dont s'inspirent les dispositions de l'article 1792-3 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi du 4 janvier 1978, les revêtements de peinture constituent, contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, un des éléments d'équipement du bâtiment dont le constructeur est tenu de garantir le bon fonctionnement pendant une durée minimale de deux ans à compter de la réception des travaux ; qu'il est constant que la réception du lot de peintures et papiers peints a été prononcée sans réserve le 31 juillet 1986 et que les premiers désordres sont apparus avant l'expiration du délai de garantie de deux ans ; que l'OPHLM est, dès lors, fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont écarté le principe de la mise en jeu de la garantie de bon fonctionnement à raison des désordres décrits ci-dessus ;
En ce qui concerne la responsabilité solidaire des constructeurs :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que la maîtrise d'oeuvre des travaux en litige était assurée par M. X..., architecte, et par le bureau d'études techniques, Ouest-Etudes, chargés respectivement de leur conception et de leur surveillance, et que l'exécution des travaux incombait à la société Etablissements Goni ; que, du seul fait de leur participation à la réalisation des ouvrages affectés de désordres, leur responsabilité solidaire doit être engagée à raison des désordres en cause envers l'OPHLM d'Ille-et-Vilaine ;
Considérant toutefois qu'il résulte de l'instruction que l'OPHLM, qui disposait de services techniques spécialisés, ne pouvait ignorer que le procédé préconisé par l'architecte, consistant à laver les fonds, était inapproprié ; qu'il a ainsi commis une faute en acceptant ce procédé et en persistant dans ce choix après qu'il eut été informé en cours de chantier de la survenance de désordres ; que, dans les circonstances de l'espèce, cette faute atténue de 25 % la responsabilité solidaire des constructeurs ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. X..., architecte, le bureau d'études Ouest-Etudes et la société Etablissements Goni doivent être déclarés solidairement responsables de 75 % des désordres affectant les revêtements de peinture de l'ensemble immobilier en question ;
En ce qui concerne le préjudice réparable et l'indemnité :
Considérant, en premier lieu, que l'OPHLM a droit non seulement à la réparation du préjudice résultant des désordres qui se sont manifestés pendant le délai de la garantie de bon fonctionnement, lequel a expiré le 31 juillet 1988, mais encore à celle du préjudice résultant des désordres qui se sont manifestés ultérieurement dès lors qu'ils ont la même origine ; qu'il résulte de l'instruction que le coût des travaux nécessaires pour faire cesser ces désordres s'élève à la somme de 855.601,16 F TTC qui correspond, d'une part, à concurrence de 787.589,99 F TTC à l'estimation par l'expert de la réalisation de faux plafonds, d'autre part, à concurrence de 68.011,17 TTC au montant non contesté de la dépense à engager pour assurer la protection des meubles des occupants des logements en cause pendant la durée des travaux ;
Considérant, en deuxième lieu, que si la pose de faux plafonds ne procure pas à l'OPHLM un enrichissement sans cause ainsi que le soutient le BET Ouest-Etudes, elle est constitutive d'une plus-value dont il sera fait une exacte appréciation en la fixant, dans les circonstances de l'espèce, à 25 % du coût des faux plafonds, soit 196.897,49 F TTC ;
Considérant, en troisième lieu, que l'OPHLM, auquel il appartenait de procéder à la remise en état préconisée par l'expert dès le dépôt par celui-ci de ses rapports, ne saurait prétendre à l'actualisation du montant des travaux ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'indemnité que les constructeurs ci-dessus mentionnés doivent être solidairement condamnés à verser à l'OPHLM d'Ille-et-Vilaine s'élève à 494.027,75 F TTC ;
En ce qui concerne l'appel en garantie de la société Etablissements Goni :
Considérant que la société Etablissements Goni demande à la cour, comme en première instance, sur le fondement de leurs fautes respectives, la condamnation de M. X... et du bureau d'études techniques Ouest-Etudes à la garantir de la condamnation solidaire prononcée à son encontre ;
Considérant, d'une part, qu'il résulte de l'instruction que l'architecte a commis une erreur de conception en préconisant, sans s'être auparavant assuré de l'état des supports, un lavage des anciennes peintures alors que cette méthode n'aurait pu valablement être envisagée que si les supports étaient suffisamment solides, ce qui n'était pas le cas, et qu'en conséquence une élimination complète des anciens fonds par grattage s'imposait ;
Considérant, d'autre part, qu'il résulte également de l'instruction que le bureau d'études Ouest-Etudes a failli à sa mission de conduite et de surveillance des travaux en laissant l'entreprise poursuivre les travaux selon la méthode préconisée par l'architecte en dépit de la survenance de désordres en cours de chantier ;
Considérant enfin que la société Etablissements Goni, en acceptant sans aucune réserve de réaliser les travaux de peinture sans une élimination complète des anciens fonds par grattage, a failli à son obligation de conseil ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. X..., architecte, et le bureau d'études techniques Ouest-Etudes devront chacun garantir la société Etablissements Goni à concurrence de 35 % des condamnations prononcées à son encontre ;
Sur les dépens :
Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de condamner solidairement M. X..., architecte, le bureau d'études techniques Ouest-Etudes et la société Etablissements Goni à supporter les frais des expertises ordonnées respectivement par jugement du tribunal administratif du 1er décembre 1988 et par ordonnance du juge des référés du tribunal administratif du 23 octobre 1990 ;
Sur les conclusions tendant à l'allocation des sommes non comprises dans les dépens :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel : "Dans toutes les instances devant les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation" ;
Considérant que la société Etablissements Goni et le bureau d'études techniques Ouest-Etudes succombent dans la présente instance ; que leur demande tendant à ce que l'OPHLM d'Ille-et-Vilaine soit condamné à leur verser une somme au titre des frais qu'ils ont exposés doit, en conséquence, être rejetée ;
Considérant qu'il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de condamner solidairement M. X..., architecte, le BET Ouest-Etudes et la société Etablissements Goni à payer à l'OPHLM d'Ille-et-Vilaine une somme de 4.000 F ;
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Rennes en date du 28 avril 1993 est annulé.
Article 2 : M. X..., le BET Ouest-Etudes et la société Etablissements Goni sont condamnés solidairement à verser la somme de quatre cent quatre vingt quatorze mille vingt sept francs soixante quinze centimes (494.027,75 F) toutes taxes comprises à l'OPHLM d'Ille-et-Vilaine.
Article 3 : M. X..., le BET Ouest-Etudes et la société Etablissements Goni sont condamnés solidairement à supporter les frais des expertises ordonnées par jugement du tribunal administratif du 1er décembre 1988 et par ordonnance du 23 octobre 1990.
Article 4 - M. X..., le BET Ouest-Etudes et la société Etablissements Goni verseront solidairement quatre mille francs (4000 F) à l'OPHLM d'Ille-et-Vilaine sur le fondement de l'article L. 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.
Article 5 - Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 - M. X... et le BET Ouest-Etudes garantiront chacun la société Etablissements Goni de 35 % de l'ensemble des condamnations mises à sa charge.
Article 7 - Le présent arrêt sera notifié à l'OPHLM d'Ille-et-Vilaine, au bureau d'études techniques Ouest-Etudes, à la société Etablissements J. Goni, à M. Y... et au ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme.