Vu l'ordonnance en date du 17 février 1989 par laquelle le président de la 5ème sous-section de la section du contentieux du Conseil d'Etat a transmis à la Cour administrative d'appel de Nantes le dossier de la requête présentée par M. Lucien Boudin et enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 25 mars 1985 sous le n° 67 128 ;
Vu la requête susmentionnée et le mémoire complémentaire enregistré le 26 juillet 1985 présentés pour M. Lucien Boudin demeurant à Fourcamont par Blangy-sur-Bresle (76) par la S.C.P. Bore et Xavier avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ;
M. Boudin demande que la Cour :
1°) annule le jugement en date du 25 janvier 1985 par lequel le Tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une indemnité provisionnelle de trois millions de francs et à ce qu'une expertise soit ordonnée afin de déterminer l'importance du préjudice qu'il a subi en sa qualité d'actionnaire et de président directeur général de la société Elbe du fait d'un communiqué de presse du ministre de la santé en date du 19 octobre 1977 mettant en garde le public contre la consommation d'un pâté de marque Elbe à raison des risques de botulisme,
2°) condamne l'Etat à lui verser une indemnité provisionnelle de trois millions de francs et ordonne une expertise afin de déterminer l'étendue de son préjudice ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience,
Après avoir entendu au cours de l'audience du 9 mai 1990 :
- le rapport de M. Lemai, conseiller,
- et les conclusions de M. Gayet, commissaire du gouvernement,
Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'après avoir été informés, le 13 octobre 1977, que des analyses de l'Institut Pasteur avaient révélé qu'un malade hospitalisé à Rouen était atteint de botulisme à la suite de la consommation d'une terrine de pâté fabriquée par la société Elbe dans laquelle fut décelée la présence de la toxine botulique, les services sanitaires du département de la Seine-Maritime ont procédé le 14 octobre à des enquêtes dans l'usine de la société Elbe et dans le magasin où la terrine incriminée avait été achetée et ont, le 18 octobre, alerté les services sanitaires départementaux de l'ensemble du territoire national ; que, le 19 octobre, le ministre de la santé a remis à deux agences de presse nationales un communiqué invitant le public à ne pas consommer les terrines de pâté de la marque Elbe portant le code T 202 ou T 214, à expédier les terrines en cause aux directions départementales des affaires sanitaires et sociales et à consulter un médecin en cas de malaises ressentis après la consommation de ces terrines ; qu'à la suite de la diffusion de cette mise en garde, les ventes de la société Elbe ont brutalement chuté ; que cette société a été mise en règlement judiciaire en janvier 1978, ses activités ayant été, ensuite, reprises par une autre société ;
Considérant, en premier lieu, que le lien de causalité qui avait été établi de manière incontestable entre le cas de botulisme et la consommation d'une terrine fabriquée par la société Elbe suffisait, en raison de la gravité du risque encouru par les consommateurs éventuels dispersés sur l'ensemble du territoire national, à justifier la publication du communiqué ; que ni la circonstance que des poursuites pénales engagées contre la société Elbe aient fait l'objet en mai 1979 d'une ordonnance de non lieu, ni les constatations effectuées par les experts désignés en décembre 1977 par le juge des référés administratifs ne permettent d'établir que la présence de la toxine botulique dans la terrine consommée, d'ailleurs également constatée dans une terrine appartenant à un autre lot que ceux visés par le communiqué, ne pouvait en aucune façon, être imputée aux conditions de fabrication ; que, dès lors qu'elle constituait le seul moyen d'atteindre les consommateurs qui avaient acheté des terrines avant la découverte du cas de botulisme, la mise en garde n'avait pas été rendue inutile par le retour à l'usine des lots de terrines en cause organisé à partir du 14 octobre à l'initiative de la société Elbe qui a été informée le 18 octobre des mesures prises par les services sanitaires ; que les termes du communiqué étaient strictement adaptés à la nécessité de prévenir l'apparition de nouveaux cas de botulisme ; que, dans ces conditions, M. Boudin, ancien président directeur général et propriétaire de 80 % du capital de la société Elbe, n'est pas fondé à demander la réparation du préjudice qu'il a subi à la suite de la disparition de cette société en soutenant que la publication du communiqué du 19 octobre 1977 aurait constitué une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat ;
Considérant, en second lieu, que l'information du public par voie de communiqués de presse sur les risques résultant de la consommation de certains produits alimentaires de fabrication industrielle est au nombre des mesures en vue desquelles les dispositions des articles L.11 à L.13 du code de la santé publique ont organisé la déclaration obligatoire à l'autorité sanitaire de certaines maladies, dont les toxi-infections alimentaires collectives ; qu'eu égard à la nature des objectifs poursuivis par l'institution de cette obligation de déclaration, les actes accomplis par les diverses autorités sanitaires pour prévenir les dangers menaçant la santé publique qui sont ainsi portés à leur connaissance ne peuvent engager la responsabilité de l'Etat que s'ils sont entachés d'illégalité ou que si les mesures prises constituent une faute ; que, par suite, la demande de M. Boudin ne peut non plus être accueillie sur le fondement de la rupture de l'égalité devant les charges publiques ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. Boudin n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a rejeté sa demande ;
Article 1 - La requête de M. Boudin est rejetée.
Article 2 - Le présent arrêt sera notifié à M. Boudin et au ministre chargé de la santé.