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05/06/2025 | FRANCE | N°25NC00787

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, Juge des référés, 05 juin 2025, 25NC00787


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, sur le fondement des dispositions de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, de condamner l'Etat à lui verser la somme de 136 288 euros, à titre de provision, à valoir sur l'indemnisation de son préjudice moral résultant de ses conditions de détention au centre de détention de Villenauxe-la-Grande, pour la période allant du 20 décembre 2023 au 31 août 2024 inclus, la so

mme de 5 000 euros au titre du préjudice corporel qu'il soutient avoir subi, 5 000 euros...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, sur le fondement des dispositions de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, de condamner l'Etat à lui verser la somme de 136 288 euros, à titre de provision, à valoir sur l'indemnisation de son préjudice moral résultant de ses conditions de détention au centre de détention de Villenauxe-la-Grande, pour la période allant du 20 décembre 2023 au 31 août 2024 inclus, la somme de 5 000 euros au titre du préjudice corporel qu'il soutient avoir subi, 5 000 euros en réparation de son préjudice psychique et la somme de 115, 20 euros au titre de son préjudice matériel, sommes augmentées des intérêts et de leur capitalisation .

Par une décision n° 2500036 du 13 mars 2025, le juge des référés a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 28 mars 2025, M. A..., représenté par Me Denis, demande à la cour :

1°) d'annuler l'ordonnance du 13 mars 2025 du juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser, à titre de provision, condamner l'Etat à lui verser la somme de 138 288 euros, à titre de provision, à valoir sur l'indemnisation de son préjudice moral résultant de ses conditions de détention au centre de détention de Villenauxe-la-Grande, pour la période allant du 20 décembre 2023 au 31 août 2024 inclus, la somme de 10 000 euros au titre du préjudice corporel qu'il soutient avoir subi, la somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice psychique et la somme de 115, 20 euros au titre de son préjudice matériel, sommes augmentées des intérêts et de leur capitalisation .

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à lui verser au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

-les conditions de sa détention constituent une atteinte fautive à sa dignité au sens des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors qu'il n'a pas bénéficié d'un espace individuel suffisant, que l'absence de cloisonnement des sanitaires ne permettait pas le respect de son intimité, que les obligations en matière d'hygiène et de salubrité n'ont pas été respectées, qu'il y a eu des carences dans la gestion et la distribution des denrées alimentaires, que les conditions matérielles de détention étaient insuffisantes, notamment la température dans les cellules excessives et la température des douches inadaptée, les espaces de promenades trop restreints et dépourvues des équipements mécaniques, qu'il n'a pas eu accès aux soins adaptés à son état de santé et que son droit à la correspondance n'a pas été garanti ;

- les fautes de l'administration lui ont causé un préjudice moral, directement lié à ses conditions d'incarcération, ainsi l'obligation de réparation n'est pas sérieusement contestable.

La requête a été transmise au ministre de la justice qui n'a pas produit d'observations.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

-le code pénitentiaire ;

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. Il résulte de l'instruction que M. A... a été détenu au sein du centre de détention de Villenauxe-la-Grande, du 20 décembre 2023 au 31 août 2024. Estimant ses conditions de détention indignes, il a présenté au garde des sceaux, ministre de la justice, une demande indemnitaire préalable le 6 septembre 2024. Le ministre de la justice a implicitement rejeté cette demande. M. A... fait appel de l'ordonnance par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser, à titre de provision, la somme de 138 288 euros à valoir sur l'indemnisation de son préjudice moral résultant de ses conditions de détention au centre de détention de Villenauxe-la-Grande, pour la période allant du 20 décembre 2023 au 31 août 2024 inclus, la somme de 5 000 euros au titre du préjudice corporel qu'il soutient avoir subi, la somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice psychique et la somme de 115, 20 euros au titre de son préjudice matériel, sommes augmentées des intérêts et de leur capitalisation .

Sur la demande de provision :

2. Aux termes de l'article R541-1 du code de justice administrative :" Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie. ". Il appartient au juge des référés, pour statuer sur le caractère non sérieusement contestable d'une obligation, de s'assurer que les éléments qui lui sont soumis par les parties sont de nature à en établir l'existence avec un degré suffisant de certitude.

3. Aux termes de l'article 3 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes de l'article 8 de cette convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui "Aux termes de l'article L. 6 du code pénitentiaire : " L'administration pénitentiaire garantit à toute personne détenue le respect de sa dignité et de ses droits. L'exercice de ceux-ci ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles résultant des contraintes inhérentes à la détention, du maintien de la sécurité et du bon ordre des établissements, de la prévention de la commission de nouvelles infractions et de la protection de l'intérêt des victimes. Ces restrictions tiennent compte de l'âge, de l'état de santé, du handicap, de l'identité de genre et de la personnalité de la personne détenue ". Aux termes de l'article L. 322-1 du code pénitentiaire : " La qualité et la continuité des soins sont garanties aux personnes détenues dans des conditions équivalentes à celles dont bénéficie l'ensemble de la population. ". Aux termes de l'article R. 321-1 du code pénitentiaire : " L'incarcération doit être subie dans des conditions satisfaisantes d'hygiène et de salubrité, tant en ce qui concerne l'aménagement et l'entretien des bâtiments, le fonctionnement des services économiques et l'organisation du travail, que l'application des règles de propreté individuelle et la pratique des exercices physiques ". Aux termes de l'article R. 321-2 du code pénitentiaire : " Les locaux de détention et, en particulier, ceux qui sont destinés au logement, doivent répondre aux exigences de l'hygiène, compte tenu du climat, notamment en ce qui concerne le cubage d'air, l'éclairage, le chauffage et l'aération ". Aux termes de l'article R. 321-3 du code pénitentiaire : " Dans tout local où les détenus séjournent, les fenêtres doivent être suffisamment grandes pour que ceux-ci puissent lire et travailler à la lumière naturelle. L'agencement de ces fenêtres doit permettre l'entrée d'air frais. La lumière artificielle doit être suffisante pour permettre aux détenus de lire ou de travailler sans altérer leur vue (...) ".

4. En raison de la situation d'entière dépendance des personnes détenues vis-à-vis de l'administration pénitentiaire, l'appréciation du caractère attentatoire à la dignité des conditions de détention dépend notamment de leur vulnérabilité, appréciée compte tenu de leur âge, de leur état de santé, de leur personnalité et, le cas échéant, de leur handicap, ainsi que de la nature et de la durée des manquements constatés et eu égard aux contraintes qu'implique le maintien de la sécurité et du bon ordre dans les établissements pénitentiaires. Les conditions de détention s'apprécient au regard de l'espace de vie individuel réservé aux personnes détenues, de la promiscuité engendrée, le cas échéant, par la sur-occupation des cellules, du respect de l'intimité à laquelle peut prétendre tout détenu, dans les limites inhérentes à la détention, de la configuration des locaux, de l'accès à la lumière, de l'hygiène et de la qualité des installations sanitaires et de chauffage. Seules des conditions de détention qui porteraient atteinte à la dignité humaine, appréciées à l'aune de ces critères et des dispositions précitées du code pénitentiaire, révèlent l'existence d'une faute de nature à engager la responsabilité de la puissance publique. Une telle atteinte, si elle est caractérisée, est de nature à engendrer, par elle-même, un préjudice moral pour la personne qui en est la victime qu'il incombe à l'Etat de réparer. A conditions de détention constantes, le seul écoulement du temps aggrave l'intensité du préjudice subi.

5. S'il appartient en principe au demandeur qui engage une action en responsabilité à l'encontre de l'administration d'apporter tous éléments de nature à établir devant le juge, outre la réalité du préjudice subi, l'existence de faits de nature à caractériser une faute, il en va différemment, s'agissant d'une demande formée par un détenu ou ancien détenu, lorsque la description faite par le demandeur de ses conditions de détention est suffisamment crédible et précise pour constituer un commencement de preuve de leur caractère indigne. C'est alors à l'administration qu'il revient d'apporter des éléments permettant de réfuter les allégations du demandeur.

6. Pour caractériser l'existence d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat, M. A... soutient qu'il a bénéficié de moins de trois mètres carrés d'espace vital au titre de la période de détention en litige, que les toilettes sont dépourvues de cloisonnement efficace permettant de préserver son intimité, que la distribution de denrées alimentaires n'était pas conforme aux normes d'hygiène, que les repas étaient servis froids et en quantité insuffisante, que la température des cellules connaissait d'importantes amplitudes, que l'eau des douches n'était pas à une température acceptable, que les cours de promenade étaient exiguës, sans abri et dépourvues de tout équipement, qu'il n'a pas eu accès aux soins qu'exigent la pathologie dont il souffre et qu'il s'est vu refusé l'accès au téléphone.

7. En premier lieu, il ressort des propres écritures de l'intéressé que la cellule qui lui a été attribuée du 20 au 28 décembre 2023 avait une surface de 7, 5 m² et que celles qu'il a occupées le reste de la période en cause avaient une surface de 9m². S'il fait valoir qu'il convient de déduire de cette surface l'espace occupé par les meubles dont il disposait, il n'établit pas qu'il n'a pu disposer d'un espace inférieur à 3 m². Il n'est pas non plus établi qu'il a été contraint de dormir sur un matelas au sol et en présence de nuisibles.

8. En second lieu, la seule circonstance que l'urinoir présent dans la cour de promenade ne permettrait pas de respecter son intimité ne permet pas d'établir une faute de l'Etat. S'il soutient également que la cour n'est pas dotée d'un abri et ne contient aucun banc, cette circonstance manque en fait, comme les photographies produites par l'intéressé lui-même, permettent de le constater.

9. En troisième lieu, Il n'est pas produit d'élément démontrant que l'intéressé aurait souffert d'une pathologie du fait du prétendu défaut de respect de règles sanitaires. Ce défaut de respect de règles sanitaires n'est d'ailleurs pas démontré.

10. En quatrième lieu, M. A... ne conteste pas avoir eu accès à l'unité médicale du centre de détention et l'existence d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat tirée de la circonstance qu'il n'aurait pas accès aux soins que sa santé exige n'est pas établie.

11. En cinquième lieu, M. A... ne conteste pas en appel avoir eu la possibilité d'adresser des courriers aux administrations et juridictions qu'il souhaite. Dès lors, son droit à la correspondance n'a pas été méconnu.

12. En sixième lieu, M. A... détaille de façon précise et circonstanciée les insuffisances du système de chauffage. Si ses affirmations ne sont pas contestées en défense et permettent d'établir une irrégularité de la température atteinte dans sa cellule, cette irrégularité, d'une amplitude modérée, ne permet pas eu égard à l'office du juge des référés statuant au titre de l'article L. 541-1 du code de justice administrative d'établir l'existence d'une obligation non sérieusement contestable.

13. Il résulte de tout ce qui précède que l'existence de la créance dont se prévaut M. A... ne présente pas le caractère non sérieusement contestable mentionné à l'article R. 541-1 du code de justice administrative et qu'il n'est pas fondé à solliciter l'annulation de la décision prise par le juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne .

Sur les frais liés au litige :

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, les sommes sollicitées par M. A... au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Les conclusions formulées en ce sens doivent, en conséquence, être rejetées.

ORDONNE :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

La présidente,

Signé : P. Rousselle

La République mande et ordonne au ministre en charge de la justice, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.

Pour expédition conforme,

La greffière,

2

N° 25NC00787


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 25NC00787
Date de la décision : 05/06/2025
Type de recours : Autres

Composition du Tribunal
Avocat(s) : DENIS

Origine de la décision
Date de l'import : 14/06/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-06-05;25nc00787 ?
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