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17/06/2021 | FRANCE | N°20NC01325

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 2eme chambre - formation a 3, 17 juin 2021, 20NC01325


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme et M. D... ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler les arrêtés du 5 août 2019 par lesquels le préfet de la Moselle a rejeté leurs demandes de titre de séjour, leur a fait obligation de quitter le territoire dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel ils pourraient être reconduits d'office.

Par un jugement numéro 1907402 et 1907404 du 5 décembre 2019 le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté les demandes de Mme et M. D... tendant à l'a

nnulation de ces arrêtés.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme et M. D... ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler les arrêtés du 5 août 2019 par lesquels le préfet de la Moselle a rejeté leurs demandes de titre de séjour, leur a fait obligation de quitter le territoire dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel ils pourraient être reconduits d'office.

Par un jugement numéro 1907402 et 1907404 du 5 décembre 2019 le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté les demandes de Mme et M. D... tendant à l'annulation de ces arrêtés.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 25 juin 2020, Mme et M. D..., représentés par Me A..., demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 5 décembre 2019 ;

2°) d'annuler les arrêtés du 5 août 2019 ;

3°) de faire injonction au préfet de la Moselle de leur délivrer un titre de séjour, à défaut de réexaminer leur situation, dans un délai de quinze jours à compter de l'arrêt et au besoins sous astreinte ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à leur avocat d'une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Ils soutiennent que :

- la décision de refus de titre de séjour : méconnaît le 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers en ce qu'elle n'aura pas accès en Albanie au traitement que son état de santé nécessite ; est entachée d'erreur de droit en ce que le préfet s'est cru en situation de compétence liée par l'avis des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration ; repose sur une appréciation manifestement erronée de leur situation ;

- l'obligation de quitter le territoire : viole le 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; viole l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits humains et des libertés fondamentales ; viole l'article 3-1 de la convention relative aux droits de l'enfant, repose sur une appréciation manifestement erronée de leur situation.

Par un mémoire en défense enregistré le 19 mai 2021, le préfet de la Moselle conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. D... ne sont pas fondés.

Mme et M. D... ont été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décisions du bureau d'aide juridictionnelle du 7 avril 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits humains et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- l'ordonnance n° 2006-1516 du 8 décembre 2005 ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret 91-1266 du 19 décembre 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. B... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme et M. D..., ressortissants albanais nés respectivement les 26 juillet 1984 et

14 avril 1974, sont entrés irrégulièrement en France le 6 juin 2013. Leurs demandes d'asile ont été rejetées par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) le

12 octobre 2017 et la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) le 18 juin 2018. Leurs demandes de réexamen ont été rejetées comme irrecevables par l'OFPRA le 18 juin 2018. Le 25 juin 2018, Mme D... a sollicité son admission au séjour sur le fondement du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par arrêtés du 5 août 2019 le préfet de la Moselle a refusé de leur délivrer un titre de séjour, les a obligés à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Mme et M. D... relèvent appel du jugement du 5 décembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation de ces arrêtés.

Sur la légalité des refus de titres de séjour :

2. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 11° A l'étranger résidant habituellement en France, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. La condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat ". Aux termes de l'article R. 313-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Pour l'application du 11° de l'article L. 313-11, le préfet délivre la carte de séjour au vu d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. / L'avis est émis dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'immigration et du ministre chargé de la santé au vu, d'une part, d'un rapport médical établi par un médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration et, d'autre part, des informations disponibles sur les possibilités de bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans le pays d'origine de l'intéressé. (...) ". Aux termes de l'article R. 313-23 de ce code : " Le rapport médical visé à l'article R. 313-22 est établi par un médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration à partir d'un certificat médical établi par le médecin qui le suit habituellement ou par un médecin praticien hospitalier inscrits au tableau de l'ordre, dans les conditions prévues par l'arrêté mentionné au deuxième alinéa de l'article R. 313-22. (...) Sous couvert du directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration le service médical de l'office informe le préfet qu'il a transmis au collège de médecins le rapport médical. (...) Le collège à compétence nationale, composé de trois médecins, émet un avis dans les conditions de l'arrêté mentionné au premier alinéa du présent article. La composition du collège et, le cas échéant, de ses formations est fixée par décision du directeur général de l'office. Le médecin ayant établi le rapport médical ne siège pas au sein du collège. ". Aux termes de l'article 3 de l'arrêté susvisé du 27 décembre 2016 : " Au vu du certificat médical et des pièces qui l'accompagnent ainsi que des éléments qu'il a recueillis au cours de son examen éventuel, le médecin de l'office établit un rapport médical (...). ". Aux termes de l'article 5 du même arrêté : " Le collège de médecins à compétence nationale de l'office comprend trois médecins instructeurs des demandes des étrangers malades, à l'exclusion de celui qui a établi le rapport. ". Enfin, aux termes de l'article 6 de cet arrêté : " Au vu du rapport médical mentionné à l'article 3, un collège de médecins désigné pour chaque dossier dans les conditions prévues à l'article 5 émet un avis (...) Cet avis mentionne les éléments de procédure ".

3. D'abord, il ressort des termes même de la décision de refus de titre de séjour que si l'autorité préfectorale s'est approprié l'avis du collège de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), elle ne s'est pas pour autant estimée liée par son contenu et qu'elle a en tout état de cause procédé, sur la base dudit avis, à un examen particulier des demandes de M. et Mme D.... Par suite, le moyen tiré de ce que l'autorité préfectorale se serait estimée liée par l'avis du collège de médecins de l'OFII ne peut qu'être écarté.

4. Ensuite, le collège de médecins de l'OFII a estimé, dans son avis rendu le

11 juin 2019, que l'état de santé de Mme D... nécessitait une prise en charge médicale, dont le défaut pourrait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, mais qu'eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans son pays d'origine, elle pouvait bénéficier effectivement d'un traitement approprié et qu'elle pouvait voyager sans risque vers son pays d'origine. Pour contester cet avis, Mme D... produit deux certificats médicaux, établis par des médecins psychiatres les 4 décembre 2018 et 17 septembre 2019, qui précisent que la requérante présente un syndrome anxio-dépressif associé à un syndrome de stress post-traumatique, deux ordonnances médicales, datées des 18 juin et 17 septembre 2019, ainsi qu'une attestation en date du 16 août 2019, établie par un médecin neurologue de l'hôpital régional de Shkodër qui indique que trois des quatre médicaments prescrits à Mme D..., à savoir la paroxetine, le lormetazepam et l'oxazepam, ne seraient pas disponibles en Albanie. Toutefois, cette attestation émanant de l'hôpital régional de Shkodër ne saurait établir à elle seule que la requérante ne pourrait bénéficier d'un traitement adapté à son état de santé dans son pays d'origine ni que d'autres produits présentant un principe actif analogue aux médicaments prescrits à l'intéressée ne seraient disponibles en Albanie. Par ailleurs, les considérations sur la nécessité de la préservation du lien thérapeutique demeurent générales et dépourvues de tout élément circonstancié. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne peut qu'être écarté.

5. Enfin, si M. et Mme D... se prévalent de l'impossibilité de mener une vie normale en Albanie, ils n'apportent aucun élément précis ou probant à l'appui de leurs allégations. Par ailleurs, ainsi qu'il a été dit au point 4, Mme D... n'établit pas par les pièces qu'elle produit qu'elle ne peut pas bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans son pays d'origine. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir qu'en refusant de les admettre au séjour, l'autorité préfectorale de la Moselle aurait commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences des mesures contestées sur leur situation personnelle et familiale.

Sur la légalité des obligations de quitter le territoire :

6. D'abord, il ne ressort ni des énonciations de la décision contestée, ni des pièces des dossiers que l'autorité préfectorale se serait estimée en situation de compétence liée pour assortir le refus de séjour d'une obligation de quitter le territoire français.

7. Ensuite, aux termes de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : (...) 10° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié ".

8. Dès lors que ces dispositions n'interdisent l'adoption d'une obligation de quitter le territoire français qu'à l'encontre d'un étranger malade et non à l'encontre de son époux, M. D..., qui ne se prévaut que de l'état de santé de son épouse, ne peut utilement soutenir que le préfet a méconnu les dispositions précitées. Pour les mêmes motifs que ceux exposés ci-dessus, Mme D... n'est pas fondée à soutenir qu'en adoptant la décision attaquée, l'autorité préfectorale a méconnu les dispositions du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

9. Ensuite, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits humains et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

10. Si les requérants soutiennent avoir fixé en France le centre de leurs intérêts matériels et moraux, la circonstance que Mme D... a suivi des cours de langue française, qu'elle participe à des activités de bénévolat et qu'elle a suivi le 14 mai 2019 une formation organisée par la Fédération française des banques alimentaires ne permet pas d'établir l'insertion sociale et professionnelle des époux D... dans la société française. Par ailleurs, si les requérants se prévalent également de la présence en France des parents de Mme D... et soutiennent que la présence de cette dernière auprès d'eux est indispensable dès lors que son père, qui a été admis au séjour en raison de son état de santé, ne parle pas français, l'attestation sur l'honneur établie le 6 septembre 2019 par une intervenante sociale qu'ils produisent à l'appui de leurs allégations, ne saurait suffire à l'établir. Dès lors, dans les circonstances de l'espèce, eu égard notamment à la durée et aux conditions de séjour des intéressés en France, en adoptant les décisions attaquées l'administration n'a pas porté au droit au respect de leur vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au but en vue duquel lesdites décisions ont été prises. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits humains et des libertés fondamentales doit être écarté.

11. Enfin, aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.

12. Si les requérants font valoir que leurs enfants sont scolarisés en France, ils ne font état d'aucun élément de nature à établir que ceux-ci ne pourraient pas poursuivre leur scolarité dans leur pays d'origine. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précités ne peut qu'être écarté.

13. Il résulte de tout ce qui précède que Mme et M. D... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leurs demandes. Par suite, leur requête d'appel doit être rejetée en toutes leurs conclusions y compris celles tendant à l'application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme et M. D... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... D... née E..., M. F... D... et au ministre de l'intérieur.

Copie du présent arrêt sera adressée au préfet de la Moselle.

N°20NC01325 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 2eme chambre - formation a 3
Numéro d'arrêt : 20NC01325
Date de la décision : 17/06/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Exces de pouvoir

Analyses

335-01 Étrangers. Séjour des étrangers.


Composition du Tribunal
Président : M. MARTINEZ
Rapporteur ?: M. le Pdt. Marc AGNEL
Rapporteur public ?: Mme HAUDIER
Avocat(s) : GRUN

Origine de la décision
Date de l'import : 29/06/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2021-06-17;20nc01325 ?
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