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25/06/2019 | FRANCE | N°18NC03302

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3ème chambre - formation à 3, 25 juin 2019, 18NC03302


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B...a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 7 juin 2018 par lequel le préfet de la Moselle a refusé de lui délivrer un certificat de résidence, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourrait être reconduit en cas d'exécution forcée de la mesure d'éloignement.

Par un jugement n° 1804362 du 31 octobre 2018, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté cette dema

nde.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 9 décembre 2018, M. ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B...a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 7 juin 2018 par lequel le préfet de la Moselle a refusé de lui délivrer un certificat de résidence, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourrait être reconduit en cas d'exécution forcée de la mesure d'éloignement.

Par un jugement n° 1804362 du 31 octobre 2018, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 9 décembre 2018, M. C... B..., représenté par Me A..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 31 octobre 2018 ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté du 7 juin 2018 ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Moselle, à titre principal, de lui délivrer un certificat de résidence dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation administrative dans le même délai et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour pendant la durée de cet examen ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la décision de refus de séjour est insuffisamment motivée ;

- ce défaut de motivation révèle un défaut d'examen de sa situation par le préfet ;

- le préfet s'est estimé, à tort, en situation de compétence liée au regard de l'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration ;

- la décision de refus de séjour a été prise au terme d'une procédure irrégulière dès lors que la commission du titre de séjour n'a pas été consultée ;

- cette décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors qu'il ne peut bénéficier d'un accès effectif, en Algérie, au traitement requis par son état de santé ;

- le refus de séjour méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- cette décision est entachée d'une erreur de fait ;

- l'annulation de la décision de refus de séjour a pour conséquence l'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- la mesure d'éloignement est insuffisamment motivée ;

- le préfet a décidé son éloignement sans procéder à un examen de sa situation ;

- la décision l'obligeant à quitter le territoire français est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation et méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'annulation des décisions de refus de séjour et d'éloignement a pour conséquence l'annulation de la décision fixant le délai de départ volontaire ;

- le préfet n'a pas examiné la possibilité de lui octroyer un délai de départ volontaire supérieur à trente jours, en méconnaissance de l'article 7 de la directive du 16 décembre 2008 dite " directive retour " ;

- il n'a pas été mis à même de présenter ses observations sur la durée de ce délai, en méconnaissance de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- l'annulation des décisions de refus de séjour et d'éloignement a pour conséquence l'annulation de la décision fixant le pays de renvoi.

Par un mémoire en défense enregistré le 8 avril 2019, le préfet de la Moselle conclut au rejet de la requête au motif qu'aucun des moyens soulevés n'est fondé.

Par une ordonnance du 28 mars 2019, l'instruction a été close à la date du 12 avril 2019, à 16 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et de leurs familles ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- l'arrêté du 27 décembre 2016 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des certificats médicaux, rapports médicaux et avis mentionnés aux articles R. 313-22, R. 313-23 et R. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Guérin-Lebacq,

- et les observations de Me A...pour M.B....

Considérant ce qui suit :

1. M.B..., ressortissant algérien né le 13 juillet 1994, est entré régulièrement en France le 21 décembre 2016, sous couvert d'un visa de court séjour valable du 20 décembre 2016 au 20 mars 2017. Par un courrier du 7 juillet 2017, il a sollicité son admission au séjour en qualité d'étranger malade auprès du préfet de la Moselle. Par un arrêté du 7 juin 2018, le préfet a rejeté cette demande et assorti sa décision de refus de séjour d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours à destination de l'Algérie. M. B...relève appel du jugement du 31 octobre 2018 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la légalité de la décision portant refus de séjour :

2. Aux termes des stipulations de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 : " (...) Le certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " est délivré de plein droit : (...) 7) au ressortissant algérien, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve qu'il ne puisse pas effectivement bénéficier d'un traitement approprié dans son pays (...) ". Aux termes de l'article R. 313-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, applicable aux demandes de certificats de résidence formées par les ressortissants algériens en application des stipulations précitées de l'accord franco-algérien : " (...) le préfet délivre la carte de séjour au vu d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. / L'avis est émis dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'immigration et du ministre chargé de la santé au vu, d'une part, d'un rapport médical établi par un médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration et, d'autre part, des informations disponibles sur les possibilités de bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans le pays d'origine de l'intéressé (...) ". Aux termes de l'article 6 de l'arrêté précité du 27 décembre 2016 : " Au vu du rapport médical mentionné à l'article 3, un collège de médecins désigné pour chaque dossier dans les conditions prévues à l'article 5 émet un avis, conformément au modèle figurant à l'annexe C du présent arrêté, précisant : a) si l'état de santé de l'étranger nécessite ou non une prise en charge médicale ; b) si le défaut de cette prise en charge peut ou non entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur son état de santé ; c) si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont le ressortissant étranger est originaire, il pourrait ou non y bénéficier effectivement d'un traitement approprié ; d) la durée prévisible du traitement. Dans le cas où le ressortissant étranger pourrait bénéficier effectivement d'un traitement approprié, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, le collège indique, au vu des éléments du dossier du demandeur, si l'état de santé de ce dernier lui permet de voyager sans risque vers ce pays. Cet avis mentionne les éléments de procédure. Le collège peut délibérer au moyen d'une conférence téléphonique ou audiovisuelle. L'avis émis à l'issue de la délibération est signé par chacun des trois médecins membres du collège ".

3. Il résulte des stipulations et dispositions précitées qu'il appartient à l'autorité administrative, lorsqu'elle envisage de refuser la délivrance ou le renouvellement d'un certificat de résident à un ressortissant algérien, de vérifier, au vu de l'avis rendu par le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), que cette décision ne peut avoir de conséquences d'une exceptionnelle gravité sur l'état de santé de l'intéressé et, en particulier, d'apprécier, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la nature et la gravité des risques qu'entraînerait un défaut de prise en charge médicale dans le pays d'origine. Lorsque le défaut de prise en charge risque d'avoir des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur la santé de l'intéressé, l'autorité administrative ne peut légalement refuser le titre de séjour sollicité que s'il existe des possibilités de traitement approprié de l'affection en cause dans son pays d'origine. Si de telles possibilités existent mais que l'étranger fait valoir qu'il ne peut en bénéficier, soit parce qu'elles ne sont pas accessibles à la généralité de la population, eu égard notamment aux coûts du traitement ou à l'absence de modes de prise en charge adaptés, soit parce qu'en dépit de leur accessibilité, des circonstances exceptionnelles tirées des particularités de sa situation personnelle l'empêcheraient d'y accéder effectivement, il appartient à cette même autorité, au vu de l'ensemble des informations dont elle dispose, d'apprécier si l'intéressé peut ou non bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans son pays d'origine.

4. Pour refuser de délivrer un certificat de résidence en qualité d'étranger malade à M. B..., le préfet de la Moselle s'est fondé sur l'avis rendu le 12 mars 2018 par le collège de médecins de l'OFII, selon lequel, si l'état de santé de l'intéressé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, il peut toutefois bénéficier effectivement d'un traitement approprié à sa pathologie dans son pays d'origine. Il ressort des pièces du dossier que le requérant, paralysé du tronc et des membres inférieurs à la suite d'un accident survenu en juillet 2015, nécessite, pour sa prise en charge médicale, la réalisation de sondages urinaires quotidiens, associés à des injections de toxine botulique. D'une part, M. B... a produit devant les premiers juges une attestation du 4 juillet 2018 émanant du ministère de la santé algérien et un certificat médical de son médecin neurologue en France, dont il ressort que la toxine botulique n'est pas disponible en Algérie. Ces éléments ne sont pas contredits par le préfet. D'autre part, le requérant, qui est sans qualification professionnelle, soutient qu'il ne dispose d'aucune ressource, que son état de santé ne lui permet pas de travailler, qu'il est isolé dans son pays d'origine et qu'il ne pourra pas y bénéficier effectivement des sondes urinaires dont il a besoin en raison du coût particulièrement élevé de ces équipements médicaux. Il produit un article paru dans la presse algérienne indiquant que l'utilisation de telles sondes représente un budget mensuel d'environ 295 euros alors que le salaire mensuel minimum s'établit à 131 euros environ. M. B... justifie, en produisant les bons de livraison, avoir besoin d'une dizaine de boîtes de sondes urinaires chaque mois, alors que, selon le devis d'un prestataire médical algérien du 11 juillet 2018, le coût unitaire de cette boîte s'établit à plus de 80 euros. Ces éléments ne sont pas utilement contestés par le préfet qui se borne à se référer à l'avis du collège de médecins de l'OFII. Dans ces conditions, alors qu'il n'est pas établi que la famille ou les proches de M. B...résidant en Algérie seraient susceptibles de lui apporter une aide financière permettant de prendre en charge les soins requis par son état, l'intéressé ne pourra pas, ainsi qu'il le soutient, bénéficier effectivement en Algérie d'un traitement approprié à son état de santé. Dès lors, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, M. B... est fondé à soutenir que le préfet de la Moselle a fait une inexacte application des stipulations de l'article 6 de l'accord franco-algérien en refusant de lui délivrer un certificat de résidence en qualité d'étranger malade. Il est donc également fondé à soutenir que la décision de refus de séjour doit être annulée, ainsi que, par voie de conséquence, les autres décisions contestées.

5. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

6. Le présent arrêt implique nécessairement que le préfet de la Moselle délivre un certificat de résidence à M.B..., eu égard au motif retenu pour annuler l'arrêté contesté et alors qu'il ne résulte pas de l'instruction que des éléments de fait ou de droit nouveaux justifieraient que l'autorité administrative oppose une nouvelle décision de refus. Il y a lieu, par suite, d'enjoindre au préfet de la Moselle de délivrer ce titre dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. B...et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Strasbourg n° 1804362 du 31 octobre 2018 et l'arrêté du préfet de la Moselle du 7 juin 2018 refusant de délivrer un certificat de résidence à M. B..., lui faisant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de renvoi sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Moselle de délivrer un certificat de résidence à M. B... dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera la somme de 1 500 euros à M. B...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B...et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de la Moselle.

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N° 18NC03302


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 3ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 18NC03302
Date de la décision : 25/06/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. MARINO
Rapporteur ?: M. Jean-Marc GUERIN-LEBACQ
Rapporteur public ?: Mme KOHLER
Avocat(s) : CAGLAR

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2019-06-25;18nc03302 ?
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