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17/01/2019 | FRANCE | N°18NC00022

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 1ère chambre - formation à 3, 17 janvier 2019, 18NC00022


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B...C...a demandé au tribunal administratif de Nancy de condamner l'Etat à lui verser la somme de 200 000 euros en réparation du préjudice subi du fait de ses conditions de détention.

Par un jugement n° 1600825 du 7 novembre 2017, le tribunal administratif de Nancy a condamné l'Etat à verser à M. C...la somme de 5 000 euros.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 3 janvier 2018, la garde des sceaux, ministre de la justice demande à la cour :

1°) d'annu

ler le jugement du tribunal administratif de Nancy du 7 novembre 2017 ;

2°) de rejeter la demande p...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B...C...a demandé au tribunal administratif de Nancy de condamner l'Etat à lui verser la somme de 200 000 euros en réparation du préjudice subi du fait de ses conditions de détention.

Par un jugement n° 1600825 du 7 novembre 2017, le tribunal administratif de Nancy a condamné l'Etat à verser à M. C...la somme de 5 000 euros.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 3 janvier 2018, la garde des sceaux, ministre de la justice demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nancy du 7 novembre 2017 ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. C...devant le tribunal administratif de Nancy.

La garde des sceaux, ministre de la justice soutient que :

- le jugement est irrégulier, le tribunal administratif ayant omis de répondre aux conclusions qu'elle avait formées tendant à ce que le centre hospitalier universitaire de Nancy Brabois soit condamné à garantir l'Etat des condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre ;

- l'Etat n'a commis aucune faute dès lors qu'il appartenait au centre hospitalier universitaire de Nancy Brabois d'assurer à M. C...les soins de kinésithérapie et d'ergothérapie nécessités par son état de santé.

Par un mémoire en défense, enregistré le 26 septembre 2018, M. B... C..., représenté par MeA..., conclut au rejet de la requête, par la voie de l'appel incident à la condamnation de l'Etat à lui payer une somme de 558 500 euros et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de l'Etat sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

M. C...soutient que :

- ses conditions matérielles de détention étaient indignes ;

- il n'a pas bénéficié des soins que son état de santé rendait nécessaire ;

- ses conditions de détention contraires à la dignité humaine lui ayant occasionné un préjudice moral, la responsabilité de l'Etat est engagée ;

- il a droit à une indemnité de 558 500 euros.

Par ordonnance du 26 juillet 2018, la clôture d'instruction a été fixée au 27 septembre 2018.

Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de ce que les conclusions d'appel incident par lesquelles M. C... demande la condamnation de l'Etat à lui verser une somme supérieure à celle demandée en première instance sont, dans cette mesure, nouvelles en appel et, par suite, irrecevables.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de procédure pénale ;

- la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Laubriat, premier conseiller,

- et les conclusions de M. Favret, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. C...est atteint d'une affection neurologique périphérique dégénérative, qui se manifeste par une atrophie musculaire généralisée. En exécution d'un mandat d'arrêt du 9 février 2012, il a été écroué le 11 mai 2012 au centre pénitentiaire de Nancy-Maxéville, puis transféré à la maison d'arrêt de Chaumont le 22 octobre 2012 après sa condamnation à seize ans de réclusion criminelle par un arrêt de la cour d'Assises de la Haute-Marne, avant d'être à nouveau transféré au centre de détention de Toul à compter du 24 février 2015. Il bénéficie depuis le 2 juin 2015 d'une suspension de peine pour raison médicale. M. C..., estimant que ses conditions de détention étaient contraires au respect de la dignité humaine, a demandé le 21 mars 2016 au tribunal administratif de Nancy la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 200 000 euros en réparation de son préjudice moral. La garde des sceaux, ministre de la Justice demande l'annulation du jugement du 7 novembre 2017 par lequel le tribunal administratif de Nancy a condamné l'Etat à verser à M. C...la somme de 5 000 euros.

Sur la recevabilité des conclusions d'appel incident :

2. M. C... demande, par la voie de l'appel incident, la condamnation de l'Etat à lui payer une somme de 558 500 euros en réparation de son préjudice alors qu'en première instance, il demandait seulement la somme de 200 000 euros. M. C...ne soutient, ni que les chefs de préjudice invoqués en première instance se seraient aggravés, ni qu'il aurait été dans l'impossibilité de connaître, avant le jugement de première instance, l'étendue réelle de son préjudice. Par suite, ses conclusions d'appel incident, en tant qu'elles excèdent la somme de 200 000 euros réclamée en première instance, sont irrecevables car nouvelles en appel.

Sur la régularité du jugement :

3. Dans son mémoire en défense présenté le 3 août 2017 devant le tribunal administratif de Nancy, la garde des sceaux, ministre de la justice s'est bornée à demander la mise hors de cause de l'Etat sans solliciter la condamnation du centre hospitalier universitaire de Nancy-Brabois à garantir l'Etat des éventuelles condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre. Par suite, la garde des sceaux ministre de la justice n'est pas fondée à soutenir que le tribunal aurait entaché son jugement d'irrégularité en omettant de répondre à ses conclusions d'appel en garantie.

Sur le surplus des conclusions d'appel principal et d'appel incident :

En ce qui concerne la responsabilité :

4. A l'appui de ses conclusions indemnitaires, M. C...soutient avoir enduré des conditions de détention contraires à la dignité humaine, dès lors qu'il n'a pas bénéficié des soins médicaux qui lui étaient indispensables et que ses conditions matérielles de détention étaient incompatibles avec son état de santé.

S'agissant de la carence de soins médicaux :

5. En premier lieu, il résulte de l'instruction que, alors que l'état de santé de M. C...nécessitait, selon un praticien de l'institut régional de réadaptation, deux séances de kinésithérapie et d'ergothérapie par semaine, il n'a bénéficié que de trois séances de kinésithérapie en 2013 et d'aucune en 2014. Par suite, l'Etat a commis une faute en ne faisant pas bénéficier M. C...des soins rendus nécessaires par son état de santé.

6. En second lieu, M. C...soutient que les séances d'électrostimulation qui lui ont prodiguées étaient inadaptées à sa pathologie. Ces allégations ne sont toutefois pas assorties des précisions suffisantes pour permettre d'en apprécier le bien fondé.

S'agissant des conditions matérielles de détention :

7. En premier lieu, M. C...fait valoir que l'administration pénitentiaire a commis une faute en l'équipant d'un fauteuil roulant manuel qui n'était pas conforme aux prescriptions médicales.

8. Il résulte de l'instruction que le 31 mars 2015, M. C...a sollicité le remplacement de son fauteuil roulant. Par une décision prise le 2 avril 2015, soit deux jours plus tard, l'administration pénitentiaire a autorisé le remplacement du fauteuil roulant de M. C...par un fauteuil similaire à celui en sa possession mais a refusé en revanche de l'équiper d'un fauteuil électrique. L'administration a donc donné suite très rapidement à la demande de M.C.... Dans ces conditions, la seule circonstance que l'administration ait refusé de fournir à M. C...un fauteuil électrique ne saurait suffire pour considérer que ses conditions de détention étaient attentatoires à la dignité humaine, cela d'autant plus qu'à la date à laquelle l'administration a pris la décision de remplacement de son fauteuil, aucun médecin n'avait encore préconisé de l'équiper d'un fauteuil électrique.

9. En second lieu, M. C...soutient que pendant sa détention, il n'a pas bénéficié d'une aide suffisante pour l'accompagner quotidiennement dans sa vie en détention, si bien qu'il aurait été à plusieurs reprises privé de douches et qu'il aurait été contraint de rester des journées entières et des nuits dans son fauteuil. Alors que M. C...produit seulement des pages de son journal intime pour étayer ses allégations, il ressort des certificats établis par les médecins de l'unité de consultation et de soins ambulatoires (UCSA) attachée à l'établissement pénitentiaire dans lequel il était détenu que le service de soins à domicile intervenait une fois par jour en semaine. Dans ces conditions, les conditions matérielles de détention de M. C...n'atteignaient pas un degré de gravité tel qu'elles puissent être regardées comme portant atteinte à la dignité inhérente à la personne humaine.

En ce qui concerne le préjudice :

10. Il résulte de l'instruction que dès 2009, un neurologue de l'hôpital de la Salpétrière avait préconisé " un entretien régulier dans le cadre de séances de kinésithérapie ". En ne faisant pas bénéficier M. C...des séances de kinésithérapie et d'ergothérapie qui lui étaient nécessaires, l'Etat a porté à sa dignité humaine une atteinte engendrant par elle-même un préjudice moral. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en portant le montant de la condamnation prononcée à ce titre par le tribunal administratif de Nancy à la somme de 10 000 euros.

11. Il résulte de tout ce qui précède que la garde des sceaux, ministre de la Justice n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Nancy, par le jugement attaqué, a condamné l'Etat à indemniser M. C... du préjudice moral résultant de l'indignité de ses conditions de détention et que M. C... est seulement fondé à demander la réformation du jugement attaqué en tant qu'il a refusé de l'indemniser à hauteur de 10 000 euros.

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. C...et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la garde des sceaux ministre de la justice est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera à M. C...une somme de 10 000 (dix mille) euros en réparation de son préjudice moral.

Article 3 : L'Etat versera à M. C...une somme de 1 500 (mille cinq cents) euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le jugement du tribunal administratif de Nancy du 7 novembre 2017 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 5 : Le surplus des conclusions d'appel incident de M. C...est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la garde des sceaux, ministre de la justice et à M. B...C....

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N° 18NC00022


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 1ère chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 18NC00022
Date de la décision : 17/01/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-091 Responsabilité de la puissance publique. Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. Services pénitentiaires.


Composition du Tribunal
Président : Mme STEFANSKI
Rapporteur ?: M. Alain LAUBRIAT
Rapporteur public ?: M. FAVRET
Avocat(s) : WELZER

Origine de la décision
Date de l'import : 05/02/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2019-01-17;18nc00022 ?
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