Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... C...a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler l'arrêté du 9 juin 2018 par lequel le préfet du Doubs lui a fait obligation de quitter le territoire français en refusant de lui accorder un délai de départ volontaire, a fixé le pays à destination duquel il pourrait être reconduit en cas d'exécution forcée de la mesure d'éloignement et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans.
Il a également demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler l'arrêté du même jour prononçant son assignation à résidence pour une durée de quarante-cinq jours.
Par un jugement n° 1800964, 1800965 du 14 juin 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Besançon a annulé l'arrêté assignant M. C...à résidence et a rejeté le surplus de ses demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 10 juillet 2018, et deux mémoires enregistrés le 4 octobre 2018 et le 28 novembre 2018, M. A... C..., représenté par Me B..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Besançon du 14 juin 2018 en tant qu'il rejette le surplus de ses demandes ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté du 9 juin 2018 l'obligeant à quitter le territoire français et lui interdisant le retour sur ce territoire pendant deux ans ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- il justifie d'une durée de séjour suffisante au regard des dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision l'obligeant à quitter le territoire français méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision lui interdisant le retour sur le territoire français pendant deux ans méconnaît également ces stipulations ;
- les motifs retenus par le préfet ne sont pas de nature à justifier cette mesure d'interdiction.
Par un mémoire en défense enregistré le 19 septembre 2018, le préfet du Doubs conclut au rejet de la requête au motif qu'aucun des moyens soulevés n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Guérin-Lebacq a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M.C..., ressortissant turc né le 1er janvier 1980, déclare être entré en France le 1er août 2012 pour solliciter la reconnaissance du statut de réfugié. Sa demande d'asile a été rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 29 janvier 2014, confirmée par la Cour nationale du droit d'asile le 17 juillet 2014. M. C...a fait l'objet d'un contrôle, le 9 juin 2018, par l'unité territoriale de la police aux frontières de Montbéliard, à l'issue duquel il n'a pu justifier d'un droit au séjour sur le territoire français. Par un arrêté pris le jour même, le préfet du Doubs a décidé en conséquence d'obliger M. C...à quitter le territoire français à destination de son pays d'origine, en refusant de lui accorder un délai de départ volontaire et en lui interdisant tout retour sur le territoire français pendant un délai de deux ans. Le requérant relève appel du jugement du 14 juin 2018 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français :
2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
3. Si M. C...fait état de sa résidence en France pendant six années, il ressort des pièces du dossier que sa demande d'asile a été rejetée en dernier lieu le 17 juillet 2014, qu'il a fait l'objet d'une mesure d'éloignement le 2 février 2015 et qu'il se trouve en situation irrégulière sur le territoire français. Il ne justifie pas d'une insertion professionnelle en France, bien qu'il produise sur ce point deux promesses d'embauche postérieures à la décision contestée. Les éléments qu'il produit à l'instance ne démontrent pas non plus l'existence, à la date de la même décision, d'une communauté de vie avec la ressortissante française qu'il a civilement épousée le 28 juillet 2018, postérieurement à cette décision. En outre, il n'allègue pas être dépourvu d'attaches personnelles ou familiales dans son pays d'origine, où il a vécu jusqu'à l'âge de 32 ans. Dans ces conditions, eu égard aux conditions du séjour en France de M.C..., la décision l'obligeant à quitter le territoire français n'a pas porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale au regard des buts en vue desquels cette décision a été prise. Par suite, il n'est pas fondé à soutenir que le préfet du Doubs aurait méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par ailleurs, M. C... ne saurait utilement se prévaloir d'une méconnaissance des dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui ne constituent pas le fondement légal de la mesure d'éloignement contestée.
Sur la légalité de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :
4. Aux termes du premier alinéa du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de sa notification, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger ou lorsque l'étranger n'a pas satisfait à cette obligation dans le délai imparti ". Aux termes du quatrième alinéa du III du même article : " Lorsqu'elle ne se trouve pas en présence des cas prévus au premier alinéa du présent III, l'autorité administrative peut, par une décision motivée, assortir l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée maximale de deux ans ". Enfin, aux termes du huitième alinéa du III de cet article : " La durée de l'interdiction de retour mentionnée au premier alinéa du présent III ainsi que le prononcé et la durée de l'interdiction de retour mentionnée au quatrième alinéa sont décidés par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français (...) ".
5. M.C..., dont la présence sur le territoire français ne constitue pas une menace pour l'ordre public, apporte à l'instance des éléments justifiant qu'il entretenait depuis plusieurs mois une relation avec une ressortissante française, quand le préfet du Doubs a pris à son encontre la mesure d'interdiction contestée. Il s'est marié civilement avec l'intéressée le 28 juillet 2018. Dans ces conditions, alors même que M. C...a fait l'objet d'une mesure d'éloignement le 2 février 2015 et se trouve en situation irrégulière, le préfet a fait une inexacte application des dispositions précitées de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en lui interdisant tout retour sur le territoire français pour une durée de deux ans. Le requérant est donc fondé à soutenir que la mesure d'interdiction de retour sur le territoire français doit être annulée.
6. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français.
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. C...et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : L'arrêté du préfet du Doubs du 9 juin 2018 est annulé en tant qu'il interdit le retour de M. C...sur le territoire français pour une durée de deux ans.
Article 2 : Le jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Besançon n° 1800964, 1800965 du 14 juin 2018 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à M. C...une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions de la requête sont rejetées pour le surplus.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C...et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet du Doubs.
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N° 18NC01945