Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A...B...a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler l'arrêté du 11 juillet 2017 par lequel le préfet de la Moselle lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et lui a interdit le retour sur le territoire français pendant une durée d'un an.
Par un jugement n° 1701853 du 26 septembre 2017, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 27 octobre 2017, M.B..., représenté par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 26 septembre 2017 du tribunal administratif de Nancy ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet de la Moselle du 11 juillet 2017 ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Moselle de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la décision à intervenir, sous une astreinte de 150 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 2 000 euros, à verser à son conseil, en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- elle est insuffisamment motivée ; le préfet n'a pas procédé à un examen individuel de sa situation et n'a pas mentionné l'existence de ses attaches en France ;
- elle méconnaît l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et le principe général du droit communautaire du droit d'être entendu avant l'édiction d'une décision défavorable ;
- elle est entachée d'erreur de fait dès lors que le préfet a seulement relevé qu'il n'était pas dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine sans mentionner ses liens en France ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'il n'est pas justifié de la notification des décisions de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et de la Cour nationale du droit d'asile ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Sur la décision fixant le pays de renvoi :
- elle méconnaît les stipulations des articles 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; il encourt des risques de traitement inhumains et dégradants en cas de retour dans son pays d'origine.
Sur la décision portant interdiction de retour :
- elle est insuffisamment motivée ;
- elle est entachée d'erreur d'appréciation et méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense enregistré le 6 août 2018, le préfet de la Moselle conclut au rejet de la requête ;
Il fait valoir qu'aucun des moyens soulevés par M. B...n'est fondé.
Vu :
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Didiot,
- et les observations de MeC..., représentant M.B....
1. Considérant que M.B..., ressortissant kosovar né le 11 juillet 1987, est entré en France, selon ses déclarations, le 24 juillet 2013 pour solliciter l'octroi du statut de réfugié ; que sa demande d'asile a été rejetée par décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 28 mai 2015, confirmée par décision de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) du 1er mars 2016 ; que par arrêté du 31 mars 2016, le préfet de l'Ain lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour et l'a obligé à quitter le territoire français ; que l'intéressé n'a pas déféré à cette mesure ; qu'il a été interpellé par les forces de police le 10 juillet 2017 à la suite d'une infraction routière ; que par arrêté du 11 juillet 2017, le préfet de la Moselle l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et lui a interdit le retour sur le territoire français pendant une durée d'un an ; que M. B...relève appel du jugement du 26 septembre 2017 par lequel la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Nancy a rejeté ses conclusions à fin d'annulation de ces décisions ;
Sur les conclusions à fin d'annulation :
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
2. Considérant, en premier lieu, que le requérant reprend en appel, sans apporter d'élément nouveau, les moyens tirés de l'insuffisance de motivation, du défaut d'examen de sa situation et de la méconnaissance du principe général du droit communautaire d'être entendu avant l'édiction d'une décision défavorable ; qu'il y a lieu d'écarter ces moyens par adoption des motifs retenus, à bon droit, par le tribunal administratif de Nancy dans son jugement du 26 septembre 2017 ;
3. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l'Union. / Ce droit comporte notamment : - le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre (...) " ; qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que cet article s'adresse non pas aux Etats membres mais uniquement aux institutions, organes et organismes de l'Union ; qu'ainsi, le moyen tiré de leur violation par une autorité d'un Etat membre est inopérant ;
4. Considérant, en troisième lieu, qu'il n'est pas contesté que M. B...dispose toujours d'attaches familiales dans son pays d'origine ; que la seule circonstance que le préfet n'ait pas fait précisément état dans la décision attaquée de ses liens en France ne suffit pas à caractériser l'erreur de fait alléguée ; que ce moyen doit être écarté ;
5. Considérant, en quatrième lieu, qu'aux termes de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors en vigueur : " L'étranger admis à séjourner en France bénéficie du droit de s'y maintenir jusqu'à la notification de la décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou, si un recours a été formé, jusqu'à la notification de la décision de la Cour nationale du droit d'asile. (...) " ; que si M. B...soutient qu'il n'aurait pas reçu notification des décisions de ces instances, de sorte que son droit au séjour sur le territoire national perdurerait, le préfet produit à l'instance les accusés de réception correspondants en date des 24 juin 2015 et 8 mars 2016, qui sont, par conséquent, antérieurs à l'édiction de la décision attaquée ; que le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions doit ainsi être écarté ;
6. Considérant, en cinquième lieu, qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui " ;
7. Considérant que M. B...se prévaut de la durée de son séjour en France, de la présence de son frère en situation régulière et qui l'a hébergé à son arrivée sur le territoire, de son travail en tant que vendeur dans la communauté Emmaüs de Sarreguemines (Moselle) et de sa relation avec une ressortissante française avec laquelle il aurait un projet de mariage ; que toutefois, il est constant que le requérant a fait l'objet dès le 31 mars 2016 d'une mesure d'éloignement qu'il n'a pas exécutée ; qu'il réside aujourd'hui séparé de son frère qui vit dans la région lyonnaise, et il n'établit pas l'intensité et l'ancienneté de sa relation avec sa compagne, alors qu'il ne démontre pas avoir rompu tout lien avec son pays d'origine ; que la seule circonstance qu'il soit bien intégré, notamment dans la communauté Emmaüs qui lui a fourni un emploi, ne suffit pas à caractériser une méconnaissance des stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que le moyen tiré de leur méconnaissance doit ainsi être écarté ;
En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :
8. Considérant qu'aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants " ; qu'aux termes de l'article L.513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées où qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales " ; que si M. B...se prévaut de menaces d'un usurier à qui son frère aurait emprunté de l'argent pour soigner sa fille et ne se serait pas acquitté de sa dette, il ne produit aucun élément probant de nature à établir la réalité des risques encourus en cas de retour dans son pays d'origine, alors au demeurant que sa demande d'asile a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides et la Cour nationale du droit d'asile ; qu'ainsi le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées des articles L.513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés doit être écarté ;
En ce qui concerne la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :
9. Considérant qu'aux termes des dispositions du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans leur version en vigueur à la date de la décision litigieuse : " L'autorité administrative peut, par une décision motivée, assortir l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. /(...) Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger obligé de quitter le territoire français, l'autorité administrative peut prononcer l'interdiction de retour pour une durée maximale de trois ans à compter de sa notification. (...) L'interdiction de retour et sa durée sont décidées par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français (...)" ;
10. Considérant que M. B...soutient que la décision d'interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an est disproportionnée compte tenu de ses liens en France ; que si, ainsi qu'il a été développé au point 7, ses attaches avec la France sont insuffisantes pour conduire à l'annulation de la décision d'éloignement prononcée à son encontre, il est fondé à soutenir que, compte tenu de ces liens et de la durée de son séjour, il ne doit pas être privé de la possibilité d'y retourner ; qu'ainsi, la décision attaquée, eu égard à ses effets, méconnaît les dispositions précitées de l'article L. 511-1 III du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; qu'elle doit, par suite, être annulée ;
11. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. B...est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande en annulation de la décision lui faisant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an ;
Sur les conclusions à fin d'injonction :
12. Considérant que le présent arrêt, qui rejette les conclusions tendant à l'annulation de la mesure d'éloignement et de la décision fixant le pays de destination, n'implique aucune mesure particulière d'exécution ; que, par suite, les conclusions susvisées ne peuvent être accueillies ;
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
13. Considérant qu'il résulte des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative que l'avocat du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle peut demander au juge de condamner la partie perdante à lui verser la somme correspondant à celle qu'il aurait réclamée à son client, si ce dernier n'avait pas eu l'aide juridictionnelle, à charge pour l'avocat qui poursuit, en cas de condamnation, le recouvrement de la somme qui lui a été allouée par le juge, de renoncer à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée ;
14. Considérant que l'État, qui n'est pas la partie essentiellement perdante dans la présente instance, ne saurait être condamné à verser à l'avocat de M. B...une somme en application de ces dispositions ;
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n°1701853 du 26 septembre 2017 du tribunal administratif de Nancy est annulé en tant qu'il a rejeté la demande d'annulation de la décision d'interdiction de retour sur le territoire français.
Article 2 : La décision du 11 juillet 2017 portant interdiction de retour sur le territoire français est annulée.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A...B...et au ministre de l'intérieur.
Une copie du présent arrêt sera adressée au préfet de la Moselle.
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N° 17NC02580