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27/03/2018 | FRANCE | N°16NC01654

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3ème chambre - formation à 3, 27 mars 2018, 16NC01654


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A...D...a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler la décision du 6 décembre 2013 par laquelle l'inspectrice du travail de la 4ème section de l'unité territoriale du Jura a autorisé son licenciement, ensemble la décision implicite du 5 juin 2014 et la décision expresse confirmative du 11 juin 2014 par lesquelles le ministre du travail, de l'emploi et du dialogue social a rejeté son recours hiérarchique dirigé contre la décision de l'inspectrice du travail.

Par un jugement n°

1401206 du 31 mai 2016, le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande....

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A...D...a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler la décision du 6 décembre 2013 par laquelle l'inspectrice du travail de la 4ème section de l'unité territoriale du Jura a autorisé son licenciement, ensemble la décision implicite du 5 juin 2014 et la décision expresse confirmative du 11 juin 2014 par lesquelles le ministre du travail, de l'emploi et du dialogue social a rejeté son recours hiérarchique dirigé contre la décision de l'inspectrice du travail.

Par un jugement n° 1401206 du 31 mai 2016, le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires complémentaires, enregistrés le 28 juillet 2016 et les 6 avril et 21 septembre 2017, M.D..., représenté par MeB..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Besançon du 31 mai 2016 ;

2°) d'annuler la décision du 6 décembre 2013 par laquelle l'inspectrice du travail de la 4ème section de l'unité territoriale du Jura a autorisé son licenciement ;

3°) d'annuler la décision implicite du 5 juin 2014 et la décision expresse confirmative du 11 juin 2014 par lesquelles le ministre du travail, de l'emploi et du dialogue social a rejeté son recours hiérarchique dirigé contre la décision de l'inspectrice du travail ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- les décisions litigieuses sont insuffisamment motivées au regard des exigences posées par la loi du 11 juillet 1979 ; les faits fautifs sont insuffisamment caractérisés et datés ;

- il n'a pas été mis à même de prendre connaissance de l'ensemble des éléments déterminants qu'ont pu recueillir, au cours de l'enquête contradictoire, l'inspectrice du travail et le ministre du travail, de l'emploi et du dialogue social ; il a été privé d'une garantie pour se défendre ; pour ce motif, les décisions litigieuses sont entachées de vice de procédure et d'erreur de droit ;

- les faits pour lesquels il a fait l'objet d'une procédure disciplinaire étaient prescrits ; les dispositions des articles L. 1332-4 et L. 1332-5 du code du travail ont été méconnues ;

- les faits fautifs qui lui sont reprochés ne sont pas établis ; son licenciement est en réalité motivé par la volonté de la société Cora de réduire les effectifs d'encadrement.

Par des mémoires, enregistrés les 3 janvier et 22 août 2017, la société Cora SAS, représentée par MeE..., conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens soulevés par M. D...ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 7 novembre 2017, la clôture de l'instruction a été fixée au 24 novembre 2017 à 16 heures.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code du travail ;

- la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Tréand,

- les conclusions de M. Collier, rapporteur public,

- et les observations de Me C...pour la société Cora.

1. Considérant que M.D..., manager du département " culture, loisirs, maison et SAV " au sein du centre commercial Cora de Choisey, a été accusé de harcèlement moral et d'atteintes à la vie privée envers ses subordonnés, de harcèlement sexuel exercé à l'encontre de Mme G. et d'avoir tenu des propos sexistes et graveleux à des collaboratrices féminines et à des clientes ; que l'intéressé étant délégué syndical, le directeur du centre commercial, après l'avoir mis à pied le 26 septembre 2013, a, le 8 octobre 2013, sollicité l'autorisation de le licencier pour faute grave ; que, par une décision du 6 décembre 2013, l'inspectrice du travail de la 4ème section de l'unité territoriale du Jura a autorisé le licenciement de M.D... ; que ce dernier a formé un recours hiérarchique que le ministre du travail, de l'emploi et du dialogue social a rejeté par une décision implicite née le 5 juin 2014 et par une décision expresse confirmative du 11 juin 2014 ; que M. D...a demandé l'annulation de ces trois décisions au tribunal administratif de Besançon qui, par un jugement du 31 mai 2016 dont il relève appel, a rejeté sa demande ;

2. Considérant que les conclusions de la requête dirigées contre la décision implicite de rejet née du silence gardé par le ministre du travail, de l'emploi et du dialogue social sur le recours hiérarchique formé par M. D...le 4 février 2014 contre la décision de l'inspectrice du travail du 6 décembre 2013 autorisant son licenciement doivent être regardées comme dirigées contre la décision du 11 juin 2014, qui s'y est substituée, par laquelle le ministre a expressément rejeté ce recours ;

Sur les conclusions d'annulation des décisions litigieuses :

En ce qui concerne la légalité externe :

3. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article R. 2421-5 du code du travail : " La décision de l'inspecteur du travail est motivée. (...) " ; qu'aux termes de l'article 1er de la loi susvisée du 11 juillet 1979 : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : (...) - infligent une sanction ; (...) " ;

4. Considérant que tant la décision du 6 décembre 2013 de l'inspectrice du travail que la décision du ministre du travail, de l'emploi et du dialogue social du 11 juin 2014 détaillent, avec une précision suffisante, les faits constitutifs du harcèlement sexuel que M. D... a fait subir à Mme G., ceux constitutifs de harcèlement moral et d'atteinte à la vie privée exercés par l'intéressé à l'encontre des salariés de son département ainsi que les propos sexistes qu'il a tenus envers ses collaboratrices et les clientes du magasin ; que les décisions citent des propos tenus par le requérant et décrivent les comportements concrets qu'il a eus ; qu'eu égard au caractère répété de la tenue de ces propos et de ces comportements, condition nécessaire pour caractériser un harcèlement, et à la longue période au cours de laquelle M. D... a eu un comportement fautif qui s'étend sur plusieurs années, comme l'a mentionné l'inspectrice du travail, l'absence d'indication de l'identité de la plupart des victimes et des dates précises de commission des faits reprochés, n'entache pas d'insuffisance de motivation les décisions litigieuses ; que, par suite, la décision de l'inspectrice du travail du 6 décembre 2013 satisfait à l'exigence posée par l'article R. 2421-5 précité du code du travail et celle du ministre du travail, de l'emploi et du dialogue social, qui comporte les motifs de fait qui en constituent le fondement, est, en tout état de cause, suffisamment motivée ;

5. Considérant, d'autre part, qu'en vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle ; que, lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé ; que, dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail, et le cas échéant au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte-tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi ; qu'à l'effet de concourir à la mise en oeuvre de la protection ainsi instituée, l'article R. 2421-4 du code du travail dispose que l'inspecteur du travail, saisi d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé, " procède à une enquête contradictoire au cours de laquelle le salarié peut, sur sa demande, se faire assister d'un représentant de son syndicat " ;

6. Considérant que le caractère contradictoire de l'enquête menée conformément aux dispositions mentionnées ci-dessus impose à l'autorité administrative, saisie d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé fondée sur un motif disciplinaire, d'informer le salarié concerné des agissements qui lui sont reprochés et de l'identité des personnes qui en ont témoigné ; qu'il implique, en outre, que le salarié protégé soit mis à même de prendre connaissance de l'ensemble des pièces produites par l'employeur à l'appui de sa demande, dans des conditions et des délais lui permettant de présenter utilement sa défense, sans que la circonstance que le salarié est susceptible de connaître le contenu de certaines de ces pièces puisse exonérer l'inspecteur du travail de cette obligation ; qu'en outre, l'inspecteur du travail est tenu de mettre à même l'employeur et le salarié de prendre connaissance de l'ensemble des éléments déterminants qu'il a pu recueillir, y compris des témoignages, et qui sont de nature à établir ou non la matérialité des faits allégués à l'appui de la demande d'autorisation ; que, toutefois, lorsque la communication de ces éléments serait de nature à porter gravement préjudice aux personnes qui les ont communiqués, l'inspecteur du travail doit se limiter à informer le salarié protégé et l'employeur, de façon suffisamment circonstanciée, de leur teneur ; qu'enfin, l'accès, dans le cadre de l'enquête contradictoire prévue par l'article R. 2421-4 du code du travail, à l'ensemble des pièces produites par l'employeur à l'appui de sa demande d'autorisation de licenciement constitue une garantie pour le salarié protégé ;

7. Considérant que l'inspectrice du travail a été saisie, par un courrier du 8 octobre 2013 du directeur du centre commercial Cora de Choisey, d'une demande d'autorisation de licenciement de M.D..., accompagnée de deux attestations de salariées de l'établissement, Mmes G. et P. ; que, dans le cadre de l'enquête contradictoire, elle a reçu M. D... le 21 novembre 2013 et lui a communiqué les documents produits par l'employeur à l'appui de sa demande, dans des conditions et des délais lui permettant de présenter utilement sa défense ; que si elle a ensuite effectué une visite du centre commercial Cora les 28 et 29 novembre 2013, hors de la présence de M. D...qui était mis à pied depuis le 26 septembre 2013 en application des dispositions du premier alinéa de l'article R. 2421-6 du code du travail et y a fait référence dans la motivation de sa décision du 6 décembre 2013, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'elle a recueilli des éléments déterminants qui ont été nécessairement de nature à établir la matérialité des faits allégués à l'appui de la demande d'autorisation de licenciement, les faits fautifs étant d'ores et déjà largement avérés par les attestations de Mmes G. et P. ; qu'elle n'était donc pas tenue de mettre l'intéressé à même de prendre connaissance des " divers témoignages, SMS, courriels, photos pornographiques " dont il n'est d'ailleurs pas démontré qu'elle les a eus concrètement en sa possession ; que M. D...n'a ainsi pas été privé d'une garantie pour organiser sa défense ; que, par suite, ni la décision du 6 décembre 2013 de l'inspectrice du travail autorisant le licenciement de M.D..., ni la décision confirmative du ministre du 11 juin 2014 n'ont été prises au terme d'une procédure irrégulière ;

En ce qui concerne la légalité interne :

8. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes des dispositions de l'article L. 1332-4 du code du travail : " Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales. " ; que, d'une part, l'employeur ne peut pas fonder une demande d'autorisation de licenciement sur des faits prescrits en application de cette disposition, sauf si ces faits relèvent d'un comportement fautif identique aux faits non prescrits donnant lieu à l'engagement des poursuites disciplinaires ; que, d'autre part, le délai de deux mois prévu par ladite disposition ne court qu'à compter du jour où l'employeur a eu pleine connaissance de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits reprochés au salarié ;

9. Considérant que si le comportement fautif de M. D...datait de plusieurs années, il ressort des pièces du dossier que les agissements du requérant, qui n'avaient jamais fondé une sanction disciplinaire antérieure, se sont poursuivis jusqu'à ce que soit prononcée sa mise à pied immédiate, le 26 septembre 2013 ; que, par ailleurs, il n'est pas sérieusement contesté que M. J., directeur du centre commercial Cora de Choisey, qui n'a pris ses fonctions qu'en janvier 2013, n'a réellement été informé des problèmes rencontrés dans le management de M. D... qu'à compter de l'entretien qu'il a eu avec Mme G. le 9 août 2013 ; qu'ayant alors mené une enquête interne, il n'a eu qu'ultérieurement une connaissance précise de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits reprochés au requérant ; que M. J. ayant convoqué M. D...le 26 septembre 2013 à l'entretien préalable prévu par les dispositions de l'article R. 2421-3 du code du travail, les faits pour lesquels le requérant a fait l'objet d'une procédure disciplinaire n'étaient donc pas prescrits ;

10. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article L. 1153-1 du code du travail : " Aucun salarié ne doit subir des faits : 1° Soit de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ; (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 1153-6 du même code : " Tout salarié ayant procédé à des faits de harcèlement sexuel est passible d'une sanction disciplinaire. " ; qu'aux termes de l'article L. 1152-1 du même code : " Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. " ; qu'aux termes de l'article L. 1152-5 du même code : " Tout salarié ayant procédé à des agissements de harcèlement moral est passible d'une sanction disciplinaire. " ;

11. Considérant qu'il ressort des attestations établies par Mmes G. et P., respectivement les 4 et 30 septembre 2013 et des rapports d'enquête et de contre-enquête établis dans le cadre de l'instruction du recours hiérarchique de M.D..., que, même si l'intéressé produit des attestations tendant à démontrer qu'il a toujours eu un comportement irréprochable dans le management de ses équipes, les faits de harcèlement sexuel et de harcèlement moral reprochés à M. D...sont matériellement établis et que les dispositions de l'article L. 122-43 du code du travail aux termes duquel " Si le doute subsiste, il profite au salarié " ne trouvent pas à s'appliquer en l'espèce ; que, par ailleurs, si M. D...soutient que son licenciement était en réalité motivé par la volonté affichée par l'entreprise Cora de réduire les effectifs du personnel d'encadrement, il ne le démontre pas ;

12. Considérant qu'enfin, eu égard à la gravité des faits reprochés à M. D...et retenus au point 11, c'est sans commettre d'erreur d'appréciation que l'inspectrice du travail et le ministre du travail, de l'emploi et du dialogue social ont estimé que l'intéressé avait commis une faute d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement ;

13. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. D...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande ;

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

14. Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. " ;

15. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme dont M. D...demande le versement au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. D...est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A...D..., à la ministre du travail et à la société Cora SAS.

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N° 16NC01654


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