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20/02/2018 | FRANCE | N°16NC00880-16NC02536

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 4ème chambre - formation à 3, 20 février 2018, 16NC00880-16NC02536


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La commune d'Epernay a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de condamner la SAS Christian Boucher et Associés à lui verser d'une part la somme de 60 420,80 euros TTC en réparation des désordres affectant l'espace de stockage du musée municipal, d'autre part de mettre à sa charge les frais d'expertise, pour un montant de 13 601,45 euros.

Par un jugement n° 1401912 du 8 mars 2016, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a partiellement fait droit à ses demandes en con

damnant la SAS Christian Boucher et Associés à verser à la commune d'Epernay la...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La commune d'Epernay a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de condamner la SAS Christian Boucher et Associés à lui verser d'une part la somme de 60 420,80 euros TTC en réparation des désordres affectant l'espace de stockage du musée municipal, d'autre part de mettre à sa charge les frais d'expertise, pour un montant de 13 601,45 euros.

Par un jugement n° 1401912 du 8 mars 2016, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a partiellement fait droit à ses demandes en condamnant la SAS Christian Boucher et Associés à verser à la commune d'Epernay la somme de 39 976,16 euros au titre de la réparation des dommages subis par elle et mis à sa charge 70 % de la somme de 13 061,65 euros, correspondant aux frais d'expertise.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête enregistrée le 17 mai 2016 sous le numéro 16NC00880 et des mémoires complémentaires, enregistrés les 10 mars et 21 décembre 2017, la SAS Christian Boucher et Associés, représentée par la SELARL Duterme-Moittié-Rolland-Pichoir, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1401912 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 8 mars 2016 ;

2°) de rejeter la demande présentée par la commune d'Epernay devant le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne ;

3°) de mettre les dépens à la charge de la commune d'Epernay ;

4°) de mettre à la charge de la commune d'Epernay la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- dès lors que la commune d'Epernay n'était pas fondée à agir sur le fondement de la responsabilité contractuelle, en raison de la réception sans réserve de l'ouvrage le 1er juin 2007, et que l'installation qu'elle a réalisée constitue un élément d'équipement dissociable du bâtiment, au sens de l'article 1792-3 du code civil, l'action engagée par elle ne pouvait être introduite que sur le fondement de la garantie biennale ;

- faute d'avoir été introduite dans un délai de deux ans, cette action était forclose ;

- subsidiairement, la commune d'Epernay a, dans la rédaction du cahier des clauses techniques particulières (CCTP) commis une erreur qui faisait obstacle à ce que les locaux puissent atteindre les résultats recherchés en termes de température et d'hygrométrie ;

- dès lors qu'aucune variante n'était admise par le maître de l'ouvrage, c'est à tort que les premiers juges ont estimé qu'elle aurait dû informer la commune sur l'impossibilité de garantir les conditions hygrométriques fixées ;

- en tout état de cause, elle avait attiré l'attention de son interlocuteur de la commune sur les limites quant aux résultats escomptés ;

- le bâtiment n'était pas conforme ;

- la commune ne s'est pas montrée vigilante sur l'entretien des sondes.

Par un mémoire en défense, enregistré le 3 janvier 2017 et un mémoire complémentaire, enregistré le 30 mars 2017, la commune d'Epernay, représentée par la SCP Choffrut Brener, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la SAS Christian Boucher et Associés.

Elle soutient que :

- l'installation d'un système de chauffage-ventilation-climatisation constitue bien un ouvrage au sens de l'article 1792 du code civil, de sorte que l'action de la commune sur le fondement de la garantie décennale de cette installation n'était pas forclose ;

- à supposer qu'il s'agisse d'un élément d'équipement dissociable de l'ouvrage, la responsabilité décennale de la société peut être recherchée si ces éléments rendent l'ouvrage impropre à sa destination ce qui était le cas en l'espèce ;

- en proposant une variante qui ne permettait pas d'atteindre les prescriptions demandées par le CCTP, la société a commis une faute qui se trouve directement à l'origine du sinistre et que les premiers juges ont à bon droit retenu que sa responsabilité était engagée à hauteur de 70 % des dommages subis, pour tenir compte de l'erreur commise par la commune dans la rédaction du CCTP ;

- le fait que le CCTP n'autorisait pas les variantes ne saurait pas remettre en cause l'obligation d'information de la société ni justifier une part de responsabilité plus importante de la commune ;

- la société requérante avait l'obligation d'avoir une parfaite connaissance des qualités et défauts du bâtiment afin de proposer une offre adaptée ;

- le moyen tiré du défaut d'entretien de l'installation manque en fait.

II. Par une requête enregistrée le 15 novembre 2016 sous le numéro 16NC02536, la SAS Christian Boucher et Associés, représentée par la SELARL Duterme-Moittié-Rolland-Pichoir, demande à la cour d'ordonner le sursis à exécution du jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 8 mars 2016.

Elle soutient que :

- ses moyens sont sérieux ;

- l'exécution du jugement attaqué risque d'entraîner des conséquences difficilement réparables.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 janvier 2017, la commune d'Epernay, représentée par la SCP Choffrut-Brener, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 500 euros soit mise à la charge de la SAS Christian Boucher et Associés sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'exécution du jugement ne risque pas d'entraîner des conséquences difficilement réparables pour la société requérante ;

- les moyens soulevés ne sont pas sérieux ;

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code civil ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Di Candia, premier conseiller,

- les conclusions de Mme Kohler, rapporteur public,

- et les observations de Me A..., pour la commune d'Epernay.

1. Considérant que la commune d'Epernay a décidé en 2005 de procéder à l'aménagement du rez-de-chaussée et de l'étage du pavillon situé à droite du musée municipal pour en faire un bâtiment dédié à la conservation et au stockage des collections ; que sous la maîtrise d'oeuvre du directeur des services techniques de la commune, le marché correspondant au lot n° 4 " chauffage-ventilation-climatisation " de cette opération, a été attribué à la société Christian Boucher et Associés par un acte d'engagement du 13 février 2006 ; qu'après la réception sans réserves, intervenue le 1er juin 2007, des désordres, liés à l'impossibilité d'atteindre les conditions hygrométriques prévues par le cahier des clauses techniques particulières, sont apparus dès l'été 2007 ; que la commune d'Epernay, qui soutenait notamment que l'ouvrage était impropre à sa destination, a été regardée par les premiers juges comme demandant la condamnation de la société Christian Boucher et Associés à réparer, sur le fondement de la garantie décennale, les conséquences de ces désordres ; que la société Christian Boucher et Associés relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne l'a condamnée à réparer, à concurrence de 70 % de leur montant, les conséquences de ces désordres ;

Sur les conclusions dirigées contre l'article 1er du jugement :

2. Considérant qu'il résulte des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans ; que la responsabilité décennale peut également être recherchée pour des éléments d'équipement dissociables de l'ouvrage s'ils rendent celui-ci impropre à sa destination ; que le constructeur dont la responsabilité est recherchée sur ce fondement ne peut en être exonéré, outre les cas de force majeure et de faute du maître d'ouvrage, que lorsque, eu égard aux missions qui lui étaient confiées, il n'apparaît pas que les désordres lui soient en quelque manière imputables ;

3. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise, que le système de ventilation, de chauffage et de climatisation installé par la SAS Christian Boucher et Associés n'était pas adapté pour maintenir les conditions hygrométriques définies dans le cahier des clauses techniques particulières applicable au marché en litige ; qu'eu égard à la destination du bâtiment, dont l'objet était de permettre la conservation des collections du musée dans des conditions hygrométriques satisfaisantes, ce désordre doit être regardé comme rendant l'ouvrage impropre à sa destination ; que dans ces conditions, la société appelante ne peut utilement se prévaloir du caractère dissociable de cette installation pour soutenir que sa responsabilité ne pouvait être engagée sur le fondement de la garantie décennale, et par suite, au-delà d'un délai de deux ans à compter de la réception des travaux ;

4. Considérant, en deuxième lieu, que si la SAS Christian Bouchers et Associés soutient que la commune d'Epernay n'a pas entretenu normalement le système de ventilation, de chauffage et de climatisation mis en place, elle ne l'établit pas ; qu'eu égard à l'option retenue par la commune d'Epernay, qui a consisté à installer un système inadapté aux objectifs poursuivis, la société requérante ne peut utilement se prévaloir de l'insuffisante isolation du bâtiment, qui n'aurait eu d'incidence que si l'installation mise en place avait été adaptée aux besoins de la commune ;

5. Considérant en troisième lieu, qu'il résulte de l'instruction que l'inadaptation du système installé procède d'un vice de conception imputable à la commune d'Epernay, qui a elle-même élaboré, sans le concours d'un maître d'oeuvre, un cahier des clauses techniques particulières autorisant une alternative à l'option de base préconisée ; que si les désordres constatés doivent également être regardés comme imputables à la société appelante, chargée de l'exécution des travaux du lot " chauffage-ventilation-climatisation " qui n'a émis aucune réserve quant à l'installation de ce dispositif alternatif, généralement utilisé pour une climatisation de confort humain, alors qu'en tant que professionnelle, elle ne pouvait ignorer qu'il était inadapté aux besoins spécifique d'un musée, la faute commise par la commune d'Epernay doit être regardée comme présentant un caractère prépondérant dans la survenance de ces désordres ; que par suite, la société appelante est fondée à soutenir que sa part de responsabilité doit être réduite et qu'il sera fait une juste appréciation des circonstances de l'espèce en la ramenant à une proportion de 40 % du montant, non contesté en appel, du préjudice indemnisable soit la somme de 22 843,52 euros ;

6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la SAS Christian Boucher et Associés est seulement fondée à demander que l'indemnité que l'article 1er du jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 8 mars 2016 l'a condamnée à verser à la commune d'Epernay soit ramenée à la somme de 22 843,52 euros ;

Sur les conclusions dirigées contre l'article 2 du jugement :

7. Considérant qu'aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de la partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties (...) " ; qu'eu égard à la part de responsabilité de la SAS Christian Boucher et Associés dans les désordres, il y a lieu de mettre 40 % des frais d'expertise à la charge de la SAS Christian Boucher et Associés ; que la SAS Christian Boucher et Associés est fondée à demander dans cette mesure la réformation de l'article 2 du jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 8 mars 2016 ;

Sur les conclusions à fin de sursis à exécution :

8. Considérant que le présent arrêt statue sur les conclusions de la SAS Christian Boucher et Associés tendant à l'annulation du jugement n° 1401912 du 8 mars 2016 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne ; qu'il n'y a, par suite, plus lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 16NC02536 par lesquelles la SAS Christian Boucher et Associés demande qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions que présentent les parties et tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :

Article 1er : La somme de 39 976,16 euros que la SAS Christian Boucher et Associés a été condamnée à verser à la commune d'Epernay par l'article 1er du jugement n° 1401912 du 8 mars 2016 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne est ramenée à un montant de 22 843,52 euros.

Article 2 : La part des frais d'expertise mise à la charge de la SAS Christian Boucher et Associés par l'article 2 du jugement n° 1401912 du 8 mars 2016 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne est ramenée à 40 %.

Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 8 mars 2016 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : Il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 16NC02536 de la SAS Christian Boucher et Associés.

Article 5 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Christian Boucher et Associés et à la commune d'Epernay.

2

Nos 16NC00880, 16NC02536


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 4ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 16NC00880-16NC02536
Date de la décision : 20/02/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-06-01 Marchés et contrats administratifs. Rapports entre l'architecte, l'entrepreneur et le maître de l'ouvrage. Responsabilité des constructeurs à l'égard du maître de l'ouvrage.


Composition du Tribunal
Président : M. KOLBERT
Rapporteur ?: M. Olivier DI CANDIA
Rapporteur public ?: Mme KOHLER
Avocat(s) : CABINET DUTERME-MOITTIE-ROLLAND

Origine de la décision
Date de l'import : 27/02/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2018-02-20;16nc00880.16nc02536 ?
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