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24/10/2017 | FRANCE | N°17NC00216

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3ème chambre - formation à 3, 24 octobre 2017, 17NC00216


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C...E...a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler, d'une part, la décision du 23 décembre 2013 par laquelle l'inspectrice du travail de la 7ème section de l'unité territoriale de la Marne a autorisé son licenciement pour motif économique et, d'autre part, la décision implicite par laquelle le ministre chargé du travail a rejeté son recours hiérarchique reçu le 21 février 2014.

Par un jugement n° 1401641 du 1er décembre 2016, le tribunal administratif de Châlo

ns-en-Champagne a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, en...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C...E...a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler, d'une part, la décision du 23 décembre 2013 par laquelle l'inspectrice du travail de la 7ème section de l'unité territoriale de la Marne a autorisé son licenciement pour motif économique et, d'autre part, la décision implicite par laquelle le ministre chargé du travail a rejeté son recours hiérarchique reçu le 21 février 2014.

Par un jugement n° 1401641 du 1er décembre 2016, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 31 janvier 2017, Mme C...E..., représentée par Me A..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne ;

2°) d'annuler la décision de l'inspectrice du travail de la 7ème section de l'unité territoriale de la Marne du 23 décembre 2013 ;

3°) d'annuler la décision implicite par laquelle le ministre chargé du travail a rejeté son recours hiérarchique reçu le 21 février 2014 ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la réalité du motif économique du licenciement n'est pas établie ;

- son employeur n'a pas satisfait à l'obligation de reclassement personnalisé, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 1233-4 du code du travail ; la recherche de reclassement n'a été ni personnalisée, ni sérieuse ; les offres qui lui ont été faites n'étaient pas des propositions de reclassement mais des offres d'emploi proposées dans le cadre de procédures de recrutement ;

- l'obligation conventionnelle de reclassement a été méconnue.

Par un mémoire, enregistré le 14 juin 2017, MeD..., liquidateur judiciaire de la société ODCF, représentée par MeB..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 500 euros soit mise à la charge de Mme E...sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir qu'aucun des moyens de la requérante n'est fondé.

Par un mémoire en défense, enregistré le 8 septembre 2017, la ministre du travail conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir que :

- la requête est irrecevable dès lors que la requérante s'est bornée à reproduire dans sa requête ses écritures de première instance ;

- aucun des moyens invoqués n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- l'accord national interprofessionnel du 10 février 1969 relatif à la sécurité de l'emploi ;

- l'accord national du 12 juin 1987 sur les problèmes généraux de l'emploi ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Haudier,

- les conclusions de M. Collier, rapporteur public,

- et les observations de MeB..., représentant MeD..., liquidateur judiciaire de la société OCDF.

1. Considérant que, par un jugement du 1er juillet 2013, le tribunal de commerce de Reims a placé la société Overhead Door Corporation France (ODCF), filiale de la société Overhead Door Corporation (ODC) au sein du groupe Sanwa, en liquidation judiciaire sans poursuite d'activité ; qu'à la demande du liquidateur judiciaire de la société, la directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Champagne-Ardenne a, par une décision du 16 octobre 2013, homologué le document unilatéral de l'employeur fixant le plan de sauvegarde de l'emploi ; que les recours formés contre ce plan de sauvegarde de l'emploi par des salariés licenciés ont été définitivement rejetés par une décision du Conseil d'Etat du 30 mai 2016 ; que, le 23 décembre 2013, l'inspectrice du travail de la 7ème section de l'unité territoriale de la Marne a autorisé le licenciement pour motif économique de Mme E..., qui exerçait les fonctions de responsable des ressources humaines et qui était membre du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) ; que la salariée a formé un recours hiérarchique contre cette décision par un courrier reçu le 21 février 2014, lequel a été implicitement rejeté par le ministre chargé du travail ; que Mme E...relève appel du jugement du 1er décembre 2016 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision de l'inspectrice du travail autorisant son licenciement et de la décision implicite de rejet son recours hiérarchique ;

Sur les conclusions à fin d'annulation :

En ce qui concerne la réalité du motif économique :

2. Considérant qu'en vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail ; que, lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé ; que, dans le cas où la demande d'autorisation de licenciement présentée par l'employeur est fondée sur un motif de caractère économique, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher si la situation de l'entreprise justifie le licenciement du salarié ; qu'à ce titre, lorsque la demande est fondée sur la cessation d'activité de l'entreprise, celle-ci n'a pas à être justifiée par l'existence de mutations technologiques, de difficultés économiques ou de menaces pesant sur la compétitivité de l'entreprise ;

3. Considérant, en premier lieu, que, dès lors qu'une demande d'autorisation de licenciement fondée sur la cessation d'activité de l'entreprise n'a pas à être justifiée par l'existence de mutations technologiques, de difficultés économiques ou de menaces pesant sur la compétitivité de l'entreprise, il n'appartient pas à l'autorité administrative, pour apprécier la réalité du motif de cessation d'activité invoqué à l'appui d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé présentée par une société faisant partie d'un groupe, d'examiner la situation économique des autres entreprises de ce groupe ; qu'ainsi, le moyen tiré de ce que l'autorité administrative aurait dû apprécier la réalité du motif économique dans le cadre du groupe auquel appartenait l'entreprise doit être écarté :

4. Considérant, en second lieu, que lorsque la demande d'autorisation de licenciement pour motif économique est fondée sur la cessation d'activité de l'entreprise, il appartient en revanche à l'autorité administrative de contrôler que cette cessation d'activité est totale et définitive ; qu'il incombe ainsi à l'autorité administrative de tenir compte, à la date à laquelle elle se prononce, de tous les éléments de droit ou de fait recueillis lors de son enquête qui sont susceptibles de remettre en cause le caractère total et définitif de la cessation d'activité ; qu'il lui incombe également de tenir compte de toute autre circonstance qui serait de nature à faire obstacle au licenciement envisagé, notamment celle tenant à une reprise, même partielle, de l'activité de l'entreprise impliquant un transfert du contrat de travail du salarié à un nouvel employeur en application de l'article L. 1224-1 du code du travail ; que, lorsque l'entreprise appartient à un groupe, la seule circonstance que d'autres entreprises du groupe aient poursuivi une activité de même nature ne fait pas, par elle-même, obstacle à ce que la cessation d'activité de l'entreprise soit regardée comme totale et définitive ;

5. Considérant qu'en l'espèce, par un jugement du 1er juillet 2013, le tribunal de commerce de Reims a prononcé la liquidation judiciaire sans poursuite d'activité de la société ODCF ; que cette situation a entraîné la suppression totale des postes de travail de l'entreprise ; que la requérante ne produit aucun élément de nature à établir, comme elle l'allègue, qu'une entreprise polonaise aurait repris l'activité de la société ODCF avec transfert des contrats de travail des salariés à ce nouvel employeur ; qu'aucun élément du dossier ne permet de remettre en cause le caractère total et définitif de la cessation d'activité ; qu'il s'ensuit que la réalité du motif économique du licenciement prononcé est avérée ;

En ce qui concerne l'obligation de reclassement interne :

6. Considérant qu'aux termes de l'article L. 1233-4 du code du travail dans sa rédaction alors applicable : " Le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré dans l'entreprise ou dans les entreprises du groupe auquel l'entreprise appartient. / Le reclassement du salarié s'effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d'une rémunération équivalente. A défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, le reclassement s'effectue sur un emploi d'une catégorie inférieure. / Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises " ;

7. Considérant que, pour apprécier si l'employeur a satisfait à son obligation en matière de reclassement, l'autorité administrative doit s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, qu'il a procédé à une recherche sérieuse des possibilités de reclassement du salarié, tant au sein de l'entreprise que dans les entreprises du groupe dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation permettent, en raison des relations qui existent avec elles, d'y effectuer la permutation de tout ou partie de son personnel ;

8. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que le mandataire judiciaire a saisi les entreprises du groupe Sanwa implantées sur trois sites du territoire national, dans quatre pays européens (Royaume-Uni, Allemagne, Pays-Bas, Suisse) ainsi qu'aux Etats-Unis et dans cinq pays d'Asie (Chine, Japon, Taiwan, Viêtnam, Thaïlande) afin de déterminer si elles disposaient, ou étaient susceptibles de disposer, d'emplois correspondant à ceux occupés par les salariés protégés ; qu'il n'est pas établi que le groupe comprendrait d'autres sociétés que celles qui ont été interrogées ; qu'il ressort par ailleurs des pièces du dossier qu'un tableau précisant les caractéristiques des emplois occupés par les salariés dont le licenciement était envisagé ainsi que leur qualification était joint à ces courriers ;

9. Considérant que la seule circonstance que l'employeur aurait envoyé le même courrier à l'ensemble des sociétés du groupe n'est pas de nature, à elle seule, à démontrer que l'employeur n'aurait pas procédé à une recherche de reclassement personnalisée ; que, par ailleurs, Mme E..., qui exerçait des fonctions de responsable des ressources humaines, a été destinataire, le 9 octobre 2013, d'une proposition de reclassement en vue d'occuper un emploi de technico-commercial itinérant dans la région Centre ; que cette offre comportait en annexe une note relative aux mesures financières accompagnant le reclassement en France en cas d'acceptation d'un poste sur le territoire national ; qu'il est constant que l'intéressée n'a pas accepté cette proposition; qu'elle a, par ailleurs, refusé de recevoir des offres pour des postes situés à l'étranger ; qu'enfin, contrairement à ce que soutient l'intéressée, la société OCDF ne peut être regardée comme ayant instauré un mécanisme de recrutement exclusif d'une procédure de reclassement ;

10. Considérant que, dans ces conditions et alors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que d'autres postes auraient pu être présentés à la salariée, l'inspectrice du travail a pu légalement considérer qu'une recherche réelle, sérieuse, loyale et personnalisée des possibilités de reclassement avait été effectuée et que la société avait ainsi satisfait à l'obligation de recherche de reclassement qui lui incombait au titre des dispositions précitées ;

En ce qui concerne l'obligation de reclassement externe :

11. Considérant qu'en vertu des dispositions du code du travail, l'autorité administrative saisie d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé doit apprécier si les règles de procédure de licenciement économique d'origine conventionnelle préalables à sa saisine ont été observées ; qu'il résulte des stipulations des articles 5 et 15 du titre premier de l'accord national interprofessionnel du 10 février 1969 relatif à la sécurité de l'emploi que les commissions paritaires de l'emploi ont pour tâche " d'examiner en cas de licenciements collectifs les conditions de mise en oeuvre des moyens de reclassement et de réadaptation " ; qu'aux termes des stipulations de l'article 28 de l'accord national du 12 juin 1987 sur les problèmes généraux de l'emploi alors en vigueur que : " Lorsqu'une entreprise sera conduite à réduire ou à cesser son activité, elle recherchera en liaison étroite avec le comité d'entreprise, les délégués syndicaux et les organismes habilités toutes les solutions permettant d'assurer le reclassement du personnel. (...) Si toutefois elle est amenée à envisager un licenciement collectif d'ordre économique, elle doit : (...) - rechercher les possibilités de reclassement à l'extérieur de l'entreprise en particulier dans le cadre des industries des métaux, en faisant appel à la commission territoriale de l'emploi ; (...) - informer la commission territoriale de l'emploi conformément aux dispositions de l'article 2 du présent accord. (...) " ;

12. Considérant qu'il résulte de ces stipulations qu'il appartient à l'employeur de saisir la commission territoriale de l'emploi compétente afin de rechercher si des possibilités de reclassement externe, en particulier dans le cadre des industries de métaux, existent ; qu'il ressort des pièces du dossier que par des courriers du 2 octobre 2013, le liquidateur judiciaire a sollicité la commission paritaire de l'emploi compétente ; qu'il a également contacté trente-cinq entreprises extérieures au groupe auquel elle appartient, situées pour trente-trois d'entre elles dans le département de la Marne, pour l'une dans le département de l'Aisne et pour la dernière dans le département de l'Yonne ; qu'il n'est pas contesté qu'était annexé à ces courriers un tableau précisant les caractéristiques des emplois occupés par les salariés dont le licenciement était envisagé ainsi que leur qualification ; qu'ainsi, le moyen tiré de la méconnaissance des obligations conventionnelles incombant au liquidateur judiciaire de la société ODCF doit être écarté ;

13. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède et sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir soulevée par la ministre du travail, que Mme E...n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

14. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante en la présente instance, la somme demandée par Mme E... au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; que, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de la requérante la somme demandée par la société ODCF au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :

Article 1er : La requête présentée par Mme E...est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la société ODCF tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C...E..., à Me D...et à la ministre du travail.

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N° 17NC00216


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 3ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 17NC00216
Date de la décision : 24/10/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07-01-04-03 Travail et emploi. Licenciements. Autorisation administrative - Salariés protégés. Conditions de fond de l'autorisation ou du refus d'autorisation. Licenciement pour motif économique.


Composition du Tribunal
Président : M. MARINO
Rapporteur ?: Mme Guénaëlle HAUDIER
Rapporteur public ?: M. COLLIER
Avocat(s) : SCA AVOCAT ASSOCIÉ

Origine de la décision
Date de l'import : 31/10/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2017-10-24;17nc00216 ?
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