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15/06/2017 | FRANCE | N°15NC02506

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3ème chambre - formation à 3, 15 juin 2017, 15NC02506


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C...D...a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner le département du Haut-Rhin à réparer les préjudices résultant du harcèlement moral qu'elle aurait subi.

Par un jugement n° 1205136 du 20 octobre 2015, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et deux mémoires, enregistrés le 18 décembre 2015, le 8 juin 2016 et le 13 février 2017, MmeD..., représentée par MeE..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Strasbourg ;

2°) de condamner le département du ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C...D...a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner le département du Haut-Rhin à réparer les préjudices résultant du harcèlement moral qu'elle aurait subi.

Par un jugement n° 1205136 du 20 octobre 2015, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et deux mémoires, enregistrés le 18 décembre 2015, le 8 juin 2016 et le 13 février 2017, MmeD..., représentée par MeE..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Strasbourg ;

2°) de condamner le département du Haut-Rhin à lui verser une somme de 45 555,19 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 12 juillet 2012 ;

3°) de mettre à la charge du département du Haut-Rhin une somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, augmentée des entiers frais et dépens.

Elle soutient que :

- elle a été victime de harcèlement moral de la part de ses supérieurs hiérarchiques à compter du mois de septembre 2008 ;

- ces faits sont constitutifs d'une faute à l'origine des préjudices qu'elle a subis ;

- le département du Haut-Rhin a également commis une faute en ne lui octroyant pas la protection fonctionnelle ;

- son préjudice moral, de trouble de santé et dans les conditions d'existence s'élève à 40 000 euros ; son préjudice financier est évalué à 5 555,19 euros.

Par deux mémoires en défense, enregistrés le 19 février 2016 et le 12 mai 2017, le département du Haut-Rhin, représenté par MeB..., conclut au rejet de la requête, au motif qu'aucun des moyens soulevés par la requérante n'est fondé, et à ce qu'une somme de 3 500 euros soit mise à la charge de Mme D... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 modifiée ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Fuchs,

- les conclusions de M. Collier, rapporteur public,

- et les observations de Me E...pour MmeD....

Une note en délibéré, présentée pour MmeD..., a été enregistrée le 12 juin 2017.

1. Considérant que MmeD..., recrutée par le département du Haut-Rhin en qualité de comptable contractuelle le 1er novembre 2005, a été nommée en qualité d'agent administratif territorial de catégorie C le 1er février 2006 ; qu'elle a exercé les fonctions de cheffe du pôle comptabilité et gestion du service de l'aide sociale à l'enfance à compter du 1er juin 2006 ; qu'elle relève appel du jugement du 20 octobre 2015 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à la condamnation du département du Haut-Rhin à l'indemniser des préjudices résultant du harcèlement moral qu'elle allègue avoir subi dans le cadre de ses fonctions, entre le 1er septembre 2008 et le 12 septembre 2011, date à laquelle elle a été placée en congé de longue maladie ;

Sur la responsabilité du département du Haut-Rhin :

En ce qui concerne le harcèlement moral allégué :

2. Considérant qu'aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, issu de la loi du 17 janvier 2002 de modernisation sociale : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la formation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : /1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; / 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; / 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. / Est passible d'une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé ou ayant enjoint de procéder aux agissements définis ci-dessus. (...) " ;

3. Considérant, d'une part, qu'il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement ; qu'il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement ; que la conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile ;

4. Considérant, d'autre part, que, pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral ; qu'en revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui ; que le préjudice résultant de ces agissements pour l'agent victime doit alors être intégralement réparé ;

5. Considérant, en premier lieu, que Mme D...indique avoir connu, à compter de l'entrée en fonction de la nouvelle cheffe de service, une dégradation importante de ses conditions de travail se caractérisant par une réduction de ses attributions antérieures ayant entrainé sa mise à l'écart au sein du service qu'elle dirigeait ;

6. Considérant, d'une part, qu'il résulte de l'instruction que Mme A...a été nommée cheffe du service de l'aide sociale à l'enfance le 1er septembre 2008 ; qu'à la suite de la promulgation de la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance et d'une enquête diligentée en 2008, le département du Haut-Rhin a procédé à une réorganisation de son service de l'aide sociale à l'enfance, qui poursuivait pour objectif, ainsi que cela ressort en particulier du compte-rendu du comité technique paritaire du 22 octobre 2009, de renforcer l'encadrement intermédiaire par le recrutement d'un responsable administratif et financier afin de " permettre aux cadres du service de pouvoir se recentrer sur leur coeur de métier " ; qu'après que Mme F...a été recrutée en qualité de responsable administratif et financier du service de l'aide sociale à l'enfance, les délégations de signature du président du conseil général ont été modifiées pour prendre en compte cette nouvelle organisation ; que si les arrêtés des 3 mars et 22 octobre 2009 ont conduit à réduire sensiblement le champ de la délégation de signature confiée à Mme D..., il résulte de l'instruction qu'elle a conservé une délégation de signature concernant " tous actes relatifs à la gestion courante des agents de la prestation comptabilité-gestion de l'ASE " ainsi que le visa de l'ordonnateur sur les pièces comptables pour une somme inférieure à 1 000 euros ; que cette mesure n'a pas excédé le cadre normal du pouvoir d'organisation du service ;

7. Considérant, d'autre part, que si la requérante soutient qu'elle aurait été mise à l'écart de son service et qu'elle n'aurait pas pu faire usage de la délégation de signature qui lui a été confiée, elle n'apporte, en particulier par les pièces auxquelles elle renvoie, aucun élément sérieux au soutien de ses allégations ; que si elle n'a pu procéder à l'évaluation de deux agents de son service pour l'année 2009, c'est en raison de la demande de ces deux agents, à laquelle la direction des ressources humaines a accédé, de ne pas être évalués par l'intéressée ; que sollicitée par la cheffe du service de l'aide sociale à l'enfance, chargée de ces évaluations, afin d'obtenir des éléments d'appréciation de ces agents et relatifs aux objectifs fixés, Mme D... a répondu qu'elle ne pouvait lui en fournir ; que la requérante n'apporte pas plus d'élément permettant d'établir que, comme elle le soutient, elle aurait été " destituée de ses fonctions " par Mme A...lors d'une réunion du service qui s'est tenue le 19 octobre 2009 ; qu'il résulte au contraire de l'instruction que la directrice de l'aide sociale à l'enfance, quelques jours plus tard et sur demande de l'intéressée, a confirmé par mail les fonctions de celle-ci ; qu'en ce qui concerne tous ces points, Mme D...n'apporte aucun élément susceptible de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral ;

8. Considérant, en deuxième lieu, que la requérante soutient avoir été victime de propos blessants et d'attitudes discriminatoires ; que, d'une part, la réalité des propos vexatoires qui auraient été tenus par la cheffe du service de l'aide sociale à l'enfance lors de la réunion du 19 octobre 2009 mentionnée ci-dessus n'est pas établie ; que la production d'un seul témoignage d'un ancien employé du conseil général qui ne travaillait pas directement avec l'intéressée ne peut suffire, dans les circonstances de l'espèce, à établir les allégations selon lesquelles cette cheffe de service aurait reproché à certains agents d'avoir des relations amicales avec Mme D... ; que, d'autre part, le département du Haut-Rhin ne conteste pas que le directeur général adjoint a tenu, lors d'une réunion le 27 mai 2010, des propos blessants et comminatoires ; que, pour regrettables qu'ils soient, ces propos ne constituent pas, au regard de leur caractère isolé, des agissements répétés de harcèlement moral au sens des dispositions précitées de la loi du 13 juillet 1983 ;

9. Considérant, en troisième lieu, que les évaluations professionnelles de Mme D... se sont dégradées à compter de l'année 2009 ; que, d'une part, si tant la quantité de travail fournie par la requérante que l'implication dans ses fonctions ne sont pas remises en cause, plusieurs griefs permettent d'expliquer la relative dégradation de sa notation ; qu'en particulier, il résulte de l'instruction que l'intéressée connaissait des difficultés de positionnement par rapport à l'encadrement supérieur de son service, que des insuffisances ont été relevées dans l'exercice de ses compétences, tant en ce qui concerne la gestion comptable que ses capacités managériales et qu'elle avait adopté, en de nombreuses occasions, un comportement revendicatif voire procédurier qui ont perturbé la bonne marche du service ; que, d'autre part, si sa notation a été annulée par un jugement n° 1100510 du tribunal administratif de Strasbourg du 19 décembre 2013, le motif d'annulation retenu est indépendant de l'appréciation qui avait été portée par l'administration sur les compétences de l'intéressée ; que ces éléments ne sont pas de nature à permettre de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens des dispositions précitées ;

10. Considérant, en quatrième lieu, que s'il est constant que Mme D...a perçu, au cours de l'année 2009, une prime de " décalage grade / fonctions " minorée, cette erreur a été rectifiée dans un délai raisonnable après que l'intéressée l'a portée à la connaissance de son employeur ; que les propositions de mutation qui lui ont été faites par un agent de la direction des ressources humaines l'ont été après que Mme D...a rencontré cet agent afin d'évoquer la possibilité d'une mobilité professionnelle et correspondaient au grade qu'elle détient ; que la requérante ne peut sérieusement soutenir que le département du Haut-Rhin aurait cherché à l'empêcher de participer à certaines formations alors qu'il ressort des pièces du dossier qu'elle a bénéficié de plus de 60 jours de formation entre 2010 et 2012 ; qu'elle ne produit aucun élément de nature à établir que ses demandes de congé auraient été acceptées avec retard ; que contrairement à ce que soutient l'intéressée, aucune indemnité de départ volontaire ne pouvait lui être octroyée en l'absence de délibération du conseil départemental instaurant une telle indemnité ; que les prénom et nom de Mme D...ont été retirés du tableau des procédures de justice en cours publié sur le site intranet du département en annexe d'une délibération du conseil général dans l'heure de l'envoi d'un courriel alertant de cette situation la directrice des affaires juridiques ; que si la requérante soutient que son dossier administratif a été amputé de certaines pièces, aucune des pièces dont elle fait mention n'avait vocation à y figurer ; qu'enfin, Mme D... ne peut raisonnablement soutenir, compte tenu du grand nombre d'entretiens pour évoquer sa situation professionnelle qu'elle a eus avec plusieurs personnes, au sein comme en dehors de son service, que l'administration n'aurait pas pris en compte sa situation ; qu'aucun de ces éléments n'est de nature à faire présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens des dispositions précitées ;

11. Considérant, enfin, qu'il ressort des pièces du dossier que la dégradation de l'état de santé de la requérante n'est pas sans lien avec la situation professionnelle délicate qu'elle a traversée ; que, toutefois, il ressort en particulier de l'expertise médicale du 30 mai 2012 que l'épisode dépressif qu'elle a subi est survenu " dans un contexte de difficultés professionnelles compliquant des troubles mixtes de la personnalité " et s'est traduit par un " sentiment d'échec et d'injustice projeté sur l'entourage professionnel " et une " rancune vis-à-vis de sa hiérarchie " ; qu'ainsi, dans les circonstances de l'espèce et compte tenu en particulier de ce qui a été dit aux points précédents, la dégradation de l'état de santé de Mme D..., nonobstant l'existence d'un lien avec le contexte professionnel dans lequel elle évolue, ne permet pas de présumer l'existence de harcèlement moral ;

12. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède qu'aucun des éléments critiqués par la requérante, ni la somme de ceux-ci, ne permettent de caractériser un harcèlement moral au sens des dispositions précitées de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 ;

En ce qui concerne l'absence d'octroi de la protection fonctionnelle :

13. Considérant que Mme D...soutient en appel que le département du Haut-Rhin a commis une faute en ne lui octroyant pas la protection fonctionnelle en raison du harcèlement moral qu'elle a subi ; que des agissements répétés de harcèlement moral peuvent permettre à l'agent public qui en est l'objet d'obtenir la protection fonctionnelle prévue par les dispositions de l'article 11 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont les fonctionnaires et les agents publics non titulaires sont susceptibles d'être victimes à l'occasion de leurs fonctions ; que, toutefois, il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que l'intéressée n'établit pas l'existence d'un harcèlement moral à son encontre ; qu'ainsi, et alors au surplus que Mme D...n'a pas formulé de demande d'octroi de la protection fonctionnelle, le département n'a pas commis de faute de nature à engager sa responsabilité ;

14. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme D...n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions des articles L. 761-1 et R. 761-1 du code de justice administrative :

15. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du département du Haut-Rhin, qui n'est pas la partie perdante en la présente instance, la somme demandée par Mme D...au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la requérante une somme de 500 euros à verser au département du Haut-Rhin au titre de ces dispositions ;

16. Considérant qu'en l'absence de dépens exposés dans la présente instance, les conclusions de Mme D...tendant à l'application des dispositions de l'article R. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées ;

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme D...est rejetée.

Article 2 : Mme D...versera une somme de 500 (cinq cents) euros au département du Haut-Rhin sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C...D...et au département du Haut-Rhin.

2

N° 15NC02506


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 3ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 15NC02506
Date de la décision : 15/06/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

36-13 Fonctionnaires et agents publics. Contentieux de la fonction publique.


Composition du Tribunal
Président : M. MARINO
Rapporteur ?: M. Olivier FUCHS
Rapporteur public ?: M. COLLIER
Avocat(s) : ALSACE OMNIJURIS

Origine de la décision
Date de l'import : 27/06/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2017-06-15;15nc02506 ?
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