La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

28/02/2017 | FRANCE | N°16NC00183

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 4ème chambre - formation à 3, 28 février 2017, 16NC00183


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... -louise A...épouse E...a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la décision du 22 février 2013 par laquelle le Premier ministre a rejeté sa demande d'attribution de l'aide financière instituée par le décret du 27 juillet 2004 pour les orphelins dont les parents ont été victimes d'actes de barbarie durant la deuxième guerre mondiale.

Par un jugement n° 1301290 du 2 décembre 2015, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la

cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 1er février 2016 et 24 mai 2016, M...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... -louise A...épouse E...a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la décision du 22 février 2013 par laquelle le Premier ministre a rejeté sa demande d'attribution de l'aide financière instituée par le décret du 27 juillet 2004 pour les orphelins dont les parents ont été victimes d'actes de barbarie durant la deuxième guerre mondiale.

Par un jugement n° 1301290 du 2 décembre 2015, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 1er février 2016 et 24 mai 2016, Mme E..., représentée par Me D...de la SELARL Simonnet-D..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 2 décembre 2015 ;

2°) d'annuler la décision du 22 février 2013 par laquelle le Premier ministre a rejeté sa demande d'attribution de l'aide financière instituée par le décret du 27 juillet 2004 pour les orphelins dont les parents ont été victimes d'actes de barbarie durant la deuxième guerre mondiale ;

3°) de lui accorder l'aide financière qu'elle a sollicitée ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le décret du 27 juillet 2004 méconnaît le principe d'égalité dès lors qu'il n'indemnise pas les orphelins des déportés militaires, à savoir les militaires décédés après avoir été incorporés de force ou s'être engagés sous l'empire de la contrainte ou la menace de représailles dans les armées ennemies en violation de l'article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958, des articles 1er et 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, de l'article 26 du pacte international sur les droits civils et politiques du 16 décembre 1966, de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que de l'article 1er du protocole additionnel à cette convention ;

- la distinction opérée par le décret méconnaît les dispositions des articles L. 1 et L. 488 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ; que les personnes incorporées de force dans l'armée allemande durant la deuxième guerre mondiale remplissent les conditions posées par ces dispositions.

Par un mémoire en défense, enregistré le 6 avril 2016, le Premier ministre conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution et notamment son Préambule ;

- la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, notamment son article 14, ensemble le premier protocole additionnel, notamment son article 1er ;

- le pacte international relatif aux droits civils et politiques, notamment son article 26 ;

- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;

- le décret n° 2004-751 du 27 juillet 2004 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Michel, premier conseiller,

- les conclusions de M. Laubriat, rapporteur public,

- et les observations de Me D...pour MmeE.libres et égaux en droits

1. Considérant que MmeE..., dont le père, M. C...A..., est décédé le 24 août 1944, après avoir été incorporé de force dans l'armée allemande, a sollicité auprès du Premier ministre l'aide financière instituée par le décret n° 2004-751 du 27 juillet 2004 en faveur des orphelins dont les parents ont été victimes d'actes de barbarie durant la deuxième guerre mondiale ; que par une décision du 22 février 2013, le Premier ministre a rejeté sa demande d'attribution de l'aide financière instituée par ce décret ; que Mme E...relève appel du jugement du 2 décembre 2015 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article 1er du décret du 27 juillet 2004 susmentionné : " Toute personne, dont la mère ou le père, de nationalité française ou étrangère, a été déporté, à partir du territoire national, durant l'Occupation pour les motifs et dans les conditions mentionnées aux articles L. 272 et L. 286 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, et a trouvé la mort en déportation, a droit à une mesure de réparation, conformément aux dispositions du présent décret, si elle était mineure de vingt et un ans au moment où la déportation est intervenue./ Ce régime bénéficie également aux personnes, mineures de moins de vingt et un ans au moment des faits, dont le père ou la mère, de nationalité française ou étrangère, a, durant l'Occupation, été exécuté dans les circonstances définies aux articles L. 274 et L. 290 du même code (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 274 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre : " Les personnes arrêtées et exécutées pour actes qualifiés de résistance à l'ennemi sont considérées comme internés résistants, quelle que soit la durée de leur détention, a fortiori si elles ont été exécutées sur-le-champ " ; qu'aux termes de l'article L. 290 du même code : " Les Français ou ressortissants français qui, à la suite de leur arrestation, pour tout autre motif qu'une infraction de droit commun, ont été exécutés par l'ennemi, bénéficient du statut des internés politiques, quelle que soit la durée de leur détention, a fortiori s'ils ont été exécutés sur-le-champ " ;

Sur les moyens tirés de la violation des stipulations de l'article 26 du pacte international relatif aux droits civils et politiques, de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er de son premier protocole additionnel :

3. Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Les Hautes parties contractantes reconnaissent à toute personne relevant de leur juridiction les droits et libertés définis au titre 1 de la présente convention " ; qu'aux termes de l'article 14 de la même convention : " La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation " ; qu'en vertu des stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens./ Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer 1'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes " ; qu'enfin, aux termes de l'article 26 du pacte international relatif aux droits civils et politiques : " Toutes les personnes sont égales devant la loi et ont droit sans discrimination à une égale protection de la loi. A cet égard, la loi doit interdire toute discrimination et garantir à toutes les personnes une protection égale et efficace contre toute discrimination, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d'opinion politique et de toute autre opinion, d'origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation " ;

4. Considérant que le décret en litige institue une mesure d'aide financière, d'une part, en faveur des orphelins dont la mère ou le père a été déporté à partir du territoire national durant l'Occupation soit comme déporté résistant au sens de l'article L. 272 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, soit comme déporté politique au sens de l'article L. 286 de ce code, et a trouvé la mort en déportation, et, d'autre part, en faveur des orphelins dont le père ou la mère a été arrêté et exécuté comme interné résistant ou interné politique au sens respectivement des articles L. 274 et L. 290 de ce code ; que l'objet de ce texte est ainsi d'accorder une mesure de réparation aux seuls orphelins des victimes d'actes de barbarie durant la période de l'Occupation ; que compte tenu de la nature des crimes commis à l'égard de ces victimes, ce décret n'est pas entaché d'une discrimination illégale au regard des stipulations combinées de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er de son premier protocole additionnel, ainsi que, en tout état de cause, des stipulations de l'article 26 du pacte international relatif aux droits civils et politiques, en n'accordant une mesure de réparation particulière qu'à leurs seuls orphelins et en excluant, comme le conteste la requérante, les orphelins des Alsaciens et Mosellans incorporés de force dans l'armée allemande ;

Sur la violation du principe constitutionnel d'égalité :

5. Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 : " La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion (...) " ; qu'aux termes de l'article 1er de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : " Les hommes naissent et demeurent.libres et égaux en droits Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune ; qu'aux termes de son article 6 : " La Loi est l'expression de la volonté générale. Tous les Citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse. Tous les Citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents " ; qu'aux termes de l'alinéa 12 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 : " La Nation proclame la solidarité et l'égalité de tous les Français devant les charges qui résultent des calamités nationales " ;

6. Considérant que la différence de traitement entre d'une part les orphelins des déportés résistants, des déportés politiques, des internés résistants et des internés politiques, bénéficiaires de la mesure de réparation prévue par le décret contesté et d'autre part, les orphelins exclus du bénéfice de cette mesure de réparation et notamment, comme en l'espèce, les orphelins des Alsaciens et Mosellans incorporés de force dans l'armée allemande, n'est pas, pour les raisons sus indiquées, manifestement disproportionnée par rapport à leur différence de situation, compte tenu de l'objet de la mesure ; que, dès lors, le moyen tiré de violation du principe d'égalité garanti par les dispositions précitées de la Constitution doit être écarté ;

Sur le moyen tiré de la méconnaissance des articles L. 1 et L. 488 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre :

7. Considérant selon l'article L. 1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, alors en vigueur : " La République française, reconnaissante envers les anciens combattants et victimes de la guerre qui ont assuré le salut de la patrie, s'incline devant eux et devant leurs familles. Elle proclame et détermine, conformément aux dispositions du présent code, le droit à réparation due : / 1° Aux militaires des armées de terre, de mer et de l'air, aux membres des forces françaises de l'intérieur, aux membres de la Résistance, aux déportés et internés politiques et aux réfractaires affectés d'infirmités résultant de la guerre ; / 2° Aux conjoints survivants, aux orphelins et aux ascendants de ceux qui sont morts pour la France " ; que selon l'article L. 488 du même code : " Doit, sur avis favorable de l'autorité visée ci-dessous, porter la mention " Mort pour la France " tout acte de décès : (...) 10° De tout militaire décédé dans les conditions visées aux 1er, 2e et 3e alinéas après avoir été incorporé de force ou après s'être engagé sous l'empire de la contrainte ou la menace de représailles dans les armées ennemies (...) " ;

8. Considérant que le décret du 27 juillet 2004 n'a pas été pris pour l'application des dispositions des articles L. 1 et L. 488 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, lesquelles ne constituent pas davantage la base légale de ce décret qui a institué un régime d'indemnisation spécifique distinct de celui fixé par les dispositions législatives du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ; que, dès lors, Mme E...ne peut utilement soutenir que le décret dont elle excipe de l'illégalité instituerait une différence de traitement en méconnaissance des dispositions susmentionnées des articles L. 1 et L. 488 code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;

9. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme E... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande ; que, par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'attribution de l'aide financière prévue par le décret du 27 juillet 2004 pour les orphelins dont les parents ont été victimes d'actes de barbarie durant la deuxième guerre mondiale ainsi que ses conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées ;

D É C I D E :

Article 1er : La requête de Mme E... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... -F... A...épouse E...et au Premier ministre.

Copie en sera adressée au préfet de la Moselle.

2

N° 16NC00183


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 4ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 16NC00183
Date de la décision : 28/02/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

69-02 Victimes civiles de la guerre. Questions propres aux différentes catégories de victimes.


Composition du Tribunal
Président : M. MARINO
Rapporteur ?: M. Alexis MICHEL
Rapporteur public ?: M. LAUBRIAT
Avocat(s) : SELARL SIMONNET-DARBOIS

Origine de la décision
Date de l'import : 14/03/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2017-02-28;16nc00183 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award