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23/02/2017 | FRANCE | N°15NC02070

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3ème chambre - formation à 3, 23 février 2017, 15NC02070


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B...A...et son épouse, Mme E...A..., ont demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de condamner le centre hospitalier de Troyes à les indemniser des préjudices qu'ils estiment avoir subis à la suite de la prise en charge de M. A...dans cet établissement à compter du 14 juillet 2002.

La mutualité sociale agricole Sud Champagne a également demandé à ce tribunal de condamner le centre hospitalier de Troyes à lui rembourser les débours exposés.

L'Office national d'indemni

sation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B...A...et son épouse, Mme E...A..., ont demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de condamner le centre hospitalier de Troyes à les indemniser des préjudices qu'ils estiment avoir subis à la suite de la prise en charge de M. A...dans cet établissement à compter du 14 juillet 2002.

La mutualité sociale agricole Sud Champagne a également demandé à ce tribunal de condamner le centre hospitalier de Troyes à lui rembourser les débours exposés.

L'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) a demandé sa mise hors de cause.

Par un jugement n° 1300947 du 7 juillet 2015, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a mis hors de cause l'ONIAM et a rejeté les demandes présentées par M. et Mme A... et par la mutualité sociale agricole Sud Champagne.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 5 octobre 2015, M. B...A...et son épouse, Mme E...A..., représentés par Me D..., demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 7 juillet 2015 ;

2°) de condamner le centre hospitalier de Troyes à verser une somme totale de 1 087 952,05 euros à M. A...et de 30 000 euros à MmeA... ;

3°) à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise ;

4°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Troyes une somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- le rapport d'expertise du docteur Vespignani, dont les conclusions sont en contradiction totale avec celles des deux autres rapports d'expertise, ne peut être retenu ; il convient en particulier de retenir les conclusions du rapport de l'expertise ordonnée par la commission régionale de conciliation et d'indemnisation ;

- le centre hospitalier de Troyes a commis une faute, résultant d'un diagnostic tardif et d'une prise en charge défaillante, à l'origine d'une perte de chance de 60 % ;

- M. A...est fondé à solliciter, dans la limite de la perte de chance ainsi fixée, l'indemnisation de ses préjudices qui s'élèvent, avant consolidation, à 46 600 euros en ce qui concerne les frais d'assistance par tierce personne et à 216 645 euros de perte de revenus et, après consolidation, à 266 256,80 euros en ce qui concerne les frais d'assistance par tierce personne et à 883 751,62 euros de perte de revenus ; il a également subi des préjudices personnels qui s'élèvent à 400 000 euros ;

- Mme A...est pour sa part fondée à solliciter 60 % d'une somme de 50 000 euros au titre de ses troubles dans les conditions d'existence, de son préjudice moral et de son préjudice sexuel.

Par un mémoire, enregistré le 23 novembre 2015, la mutualité sociale agricole (MSA) Sud Champagne, représentée par MeD..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne ;

2°) de condamner le centre hospitalier de Troyes à lui verser une somme de 380 011,72 euros au titre des débours qu'elle a exposés en raison des troubles de M. A...ainsi qu'une somme de 1 037 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Troyes une somme de 1 200 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La MSA Sud Champagne soutient que le centre hospitalier de Troyes a commis une faute du fait d'un retard de prise en charge de M.A....

Par un mémoire, enregistré le 29 décembre 2015, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, représenté par Me C... et MeG..., conclut au rejet de la requête.

L'office soutient que :

- aucune demande n'est dirigée contre lui ;

- les conditions de mise en oeuvre de la solidarité nationale ne sont pas réunies ; en particulier, la dissection vertébrale dont a été victime M. A...n'est pas imputable à un acte de prévention, de diagnostic ou de soins ;

- une nouvelle expertise présenterait un caractère superfétatoire.

Par un mémoire en défense, enregistré le 8 février 2016, le centre hospitalier de Troyes, représenté par MeF..., conclut au rejet de la requête et des conclusions indemnitaires présentées par la MSA Sud Champagne.

Le centre hospitalier soutient que :

- les conclusions du rapport d'expertise du docteur Vespignani doivent être retenues ;

- aucune faute ne peut lui être reprochée, en l'absence de retard de diagnostic ;

- l'hémiplégie dont souffre M. A...est la conséquence normale et prévisible de sa pathologie ;

- à titre subsidiaire, rien ne permet d'établir que si un diagnostic plus précoce avait été posé, M. A... aurait pu échapper aux séquelles dont il reste atteint ;

- si une perte de chance était retenue, celle-ci devrait être bien inférieure à 60 % ;

- les préjudices dont font état les requérants ne peuvent en tout état de cause faire l'objet d'une indemnisation car leur existence n'est pas établie, pas plus que leur lien avec la faute alléguée ;

- le décompte produit par la MSA Sud Champagne est insuffisamment précis ; ses demandes indemnitaires doivent être rejetées.

Un mémoire, produit pour M. et MmeA..., a été enregistré le 25 janvier 2017, postérieurement à la clôture de l'instruction.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Fuchs,

- et les conclusions de M. Collier, rapporteur public.

1. Considérant que M.A..., né le 21 janvier 1969, a été admis au centre hospitalier de Troyes le 14 juillet 2002 à 11 heures 30 en raison notamment de forts vertiges et nausées ; que son état de santé s'est aggravé au cours de la journée du 15 juillet et que le diagnostic d'une dissection de l'artère vertébrale gauche a été posé le même jour vers 21 heures, pathologie qui a entraîné des lésions ischémiques graves ; que M. A...et son épouse relèvent appel du jugement du 7 juillet 2015 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté leur demande tendant à la condamnation de ce centre hospitalier à réparer les conséquences dommageables résultant d'une prise en charge défaillante et d'un retard de diagnostic ; que la mutualité sociale agricole (MSA) Sud Champagne demande également l'annulation de ce jugement en tant que les premiers juges ont rejeté sa demande de remboursement des débours exposés du fait de l'affection de M.A... ;

Sur la régularité de l'expertise :

2. Considérant que M. et Mme A...doivent être regardés comme soutenant que l'irrégularité de l'expertise conduite par le professeur Vespignani entache d'irrégularité le jugement attaqué ; qu'ils demandent en outre qu'elle soit écartée des débats ;

3. Considérant, en premier lieu, que la circonstance que le rapport de cette expertise n'a été déposé que le 7 janvier 2008 alors que les parties ont été entendues pour la première fois par l'expert le 28 octobre 2005 ne rend pas, à elle seule, cette expertise irrégulière, alors au demeurant que plusieurs échanges ont eu lieu entre les parties entre ces deux dates et qu'une deuxième réunion d'expertise s'est tenue le 15 février 2007 ;

4. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article R. 612-7 du code de justice administrative : " (...) Les observations faites par les parties, dans le cours des opérations, sont consignées dans le rapport (...) " ; que le rapport d'expertise mentionne à plusieurs reprises et de manière détaillée les observations et correspondances des parties ; que les requérants n'apportent aucune précision sur les pièces et courriers qu'ils auraient produits et qui n'auraient pas été pris en compte ; que, dès lors, l'expertise n'est pas de ce fait irrégulière ;

5. Considérant, en troisième lieu, que la circonstance qu'un rapport d'expertise traite de questions dépassant le cadre de la mission impartie à l'expert est de nature à entacher d'irrégularité l'expertise ; que, par ordonnance du vice-président du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne en date du 9 juin 2005, l'expert s'est vu confier pour mission de " donner tous les éléments quant à l'origine de l'hémiplégie dont il souffre, en précisant notamment (...) si elle tire son origine d'une manipulation imprudente et fautive " ; que, dès lors, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que l'expert aurait outrepassé sa mission en allant " jusqu'à préciser que la situation ne serait pas la conséquence d'une manipulation imprudente ou fautive " ;

6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. et Mme A...ne sont pas fondés à soutenir que l'expertise s'est déroulée dans des conditions irrégulières entachant d'irrégularité le jugement attaqué, ni que le rapport de cette expertise doit être écarté des débats ;

Sur la responsabilité du centre hospitalier universitaire de Troyes :

7. Considérant que M. et Mme A...et la MSA Sud Champagne soutiennent que la prise en charge défaillante de M. A... lors de son hospitalisation les 14 et 15 juillet 2002 au centre hospitalier de Troyes est à l'origine d'un retard dans l'établissement du diagnostic de la pathologie dont il a été atteint, qui ne lui a pas permis de bénéficier au plus tôt d'un traitement approprié afin d'éviter ou de limiter ses séquelles neurologiques ;

8. Considérant qu'aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute (...) " ;

9. Considérant qu'il résulte de l'instruction, et en particulier du rapport d'expertise du professeur Vespignani, qui présente une analyse très précise et complète de la prise en charge de M.A..., que celui-ci, qui a été admis au service des urgences du centre hospitalier de Troyes le 14 juillet 2002 en fin de matinée, puis transféré dans le service ORL, présentait des symptômes qui " se résumai(en)t à des vertiges, certes très importants avec nausées et vomissements, clouant littéralement le malade au lit, accompagnés d'un nystagmus, mais qu'il n'existait aucun autre signe d'accompagnement, mis à part des paresthésies à type de fourmillements péribuccaux dans la matinée du 15 juillet 2002 sans aucun autre signe associé, et notamment (...) pas de douleurs (...) ou de signe de Claude Bernard Horner " ; que le scanner encéphalique sans injection qu'il a subi le 14 juillet 2002 s'est révélé normal ; que si la CRCI, dans son avis du 13 mai 2008, qui ne lie ni l'administration, ni le juge administratif, indique qu'existait chez l'intéressé un signe dit de " Claude Bernard Horner ", élément essentiel au diagnostic, le rapport du professeur Weber et du docteur Hua remis à cette commission le 4 janvier 2008 n'aborde pas ce point, tandis que le professeur Vespignani exclut formellement dans son rapport d'expertise l'existence d'un tel signe, alors de surcroît qu'un contrôle oculaire a été réalisé en raison d'un nystagmus ; que, dans ces circonstances, les symptômes que présentait M. A...entre son admission le 14 juillet et la fin de la matinée du 15 juillet n'étaient pas suffisamment probants pour permettre d'orienter vers le diagnostic d'une lésion artérielle qui aurait nécessité une prise en charge urgente par la réalisation d'une angio IRM ; que lorsque les signes cliniques se sont complétés à compter de la fin de la matinée du 15 juillet 2002 et dans le courant de l'après-midi avec l'apparition de fourmillements dans sa main et son pied droits, de douleurs très violentes du côté gauche et de troubles de la vision, le neurologue a orienté correctement les investigations et a pratiqué l'examen requis en de telles circonstances vers 20 heures ; que compte tenu de ces éléments, la circonstance que M. A... n'a pas été examiné par un neurologue avant le 15 juillet 2002 en fin d'après-midi et que le diagnostic de son affection n'a été posé que vers 21 heures le même jour ne peut être regardée comme constituant un retard fautif de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier de Troyes ; que, pour les mêmes motifs, aucune faute dans l'organisation du service ne peut être retenue ;

Sur la solidarité nationale :

10. Considérant qu'aux termes du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, seuls peuvent être pris en charge au titre de la solidarité nationale les dommages qui " sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins " ; qu'il résulte de l'instruction que le lien de causalité entre la manipulation cervicale effectuée par le docteur Monvoisin le 10 juillet 2002 et la dissection de l'artère vertébrale dont a été victime le requérant n'est pas établi, les experts insistant sur le très probable caractère spontané de cette dissection ; qu'ainsi, les dommages subis par l'intéressé ne sont pas directement imputables à un acte de soins et les conditions d'indemnisation au titre de la solidarité nationale ne sont pas remplies ;

11. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'ordonner une nouvelle expertise, que M. et Mme A...et la MSA Sud Champagne ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, les premiers juges ont rejeté leurs conclusions indemnitaires ; que les conclusions de M. et Mme A...et de la MSA Sud Champagne tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées, le centre hospitalier de Troyes n'étant pas la partie perdante en la présente instance ;

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. et Mme A...ainsi que les conclusions de la MSA Sud Champagne sont rejetées.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B...A..., Mme E...A..., au centre hospitalier de Troyes, à la mutualité sociale agricole Sud Champagne et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.

2

N° 15NC02070


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 3ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 15NC02070
Date de la décision : 23/02/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Responsabilité de la puissance publique - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics - Service public de santé - Établissements publics d'hospitalisation - Responsabilité pour faute simple : organisation et fonctionnement du service hospitalier - Absence de faute.

Santé publique - Établissements publics de santé - Responsabilité des établissements de santé (voir : Responsabilité de la puissance publique).


Composition du Tribunal
Président : Mme ROUSSELLE
Rapporteur ?: M. Olivier FUCHS
Rapporteur public ?: M. COLLIER
Avocat(s) : BILLION

Origine de la décision
Date de l'import : 05/12/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2017-02-23;15nc02070 ?
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