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05/07/2016 | FRANCE | N°15NC00330

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 4ème chambre - formation à 3, 05 juillet 2016, 15NC00330


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Hygie-Serv a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner la région Lorraine à lui verser la somme de 24 643,80 euros en réparation du préjudice qu'elle estimait avoir subi du fait de son éviction irrégulière de la procédure de passation d'un marché ayant pour objet la réalisation de prestations de maintenance courante pour les bâtiments institutionnels de la région.

Par un jugement n° 1203773 du 19 décembre 2014, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté s

a demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Hygie-Serv a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner la région Lorraine à lui verser la somme de 24 643,80 euros en réparation du préjudice qu'elle estimait avoir subi du fait de son éviction irrégulière de la procédure de passation d'un marché ayant pour objet la réalisation de prestations de maintenance courante pour les bâtiments institutionnels de la région.

Par un jugement n° 1203773 du 19 décembre 2014, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 17 février 2015 et 15 juillet 2015, la société Hygie-Serv, représentée par MeA..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 19 décembre 2014 ;

2°) de condamner la région Lorraine, à titre principal, à lui verser la somme de 20 451,96 euros au titre de l'indemnisation de son manque à gagner et, à titre subsidiaire, à lui verser la somme de 5 961,19 euros en réparation du même préjudice ;

3°) de condamner la région Lorraine aux dépens ;

4°) de mettre à la charge de la région Lorraine la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- dès lors que l'attributaire n'était pas en mesure de produire les attestations et certificats exigés par le code des marchés publics, la région Lorraine aurait dû la solliciter en application des dispositions du III de l'article 46 du code des marchés publics, son offre ayant été classée deuxième ;

- elle a ainsi perdu une chance sérieuse d'emporter le marché ;

- son préjudice, qui est certain, lui ouvre droit à l'indemnisation de son manque à gagner ;

- le montant de son manque à gagner s'élève à la somme de 20 451,96 euros compte tenu de la durée totale du marché, soit deux ans, et de son résultat net global.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 9 juillet 2015 et le 21 juillet 2015, la région Lorraine, représentée par MeC..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 4 000 euros soit mise à la charge de la société Hygie-Serv sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le préjudice de la société n'est pas certain dès lors que ni l'attributaire d'un marché public ni les candidats n'ont un droit à la signature du marché ; le pouvoir adjudicateur peut toujours déclarer la procédure de passation d'un marché public sans suite pour un motif d'intérêt général ;

- le courrier de rejet de l'offre de la société Hygie-Serv faisait obstacle, sans entacher la procédure de passation d'irrégularité, à ce qu'elle soit désignée attributaire du marché ;

- les fragilités juridiques affectant la consultation constituent un motif d'intérêt général justifiant la déclaration sans suite de la procédure de passation du marché ; qu'à cet égard, les courriers de rejet transmis aux candidats ont pour effet de les délier de leur offre de sorte que le marché ne peut plus leur être attribué ;

- le préjudice de la société Hygie-Serv n'est pas certain ;

- à titre subsidiaire, seule la période ferme d'exécution du marché d'un an peut être prise en compte pour l'évaluation du préjudice, ainsi que la part forfaitaire du marché ;

- le manque à gagner n'est pas justifié et ne peut être calculé en fonction d'un résultat net global.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code le code des marchés publics ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Michel, premier conseiller,

- les conclusions de M. Laubriat, rapporteur public,

- les observations de Me D..., substituant MeA..., pour la société Hygie-Serv, ainsi que celles de Me B... pour la région Lorraine.

1. Considérant que la région Lorraine a lancé une procédure adaptée en vue de l'attribution d'un marché ayant pour objet la réalisation de prestations de maintenance courante pour les bâtiments institutionnels de la région ; que par lettre du 1er mars 2012, la région Lorraine a notifié à la société Hygie-Serv le rejet de son offre, classée deuxième, derrière celle de la société 3P, attributaire du marché ; que la société 3P ayant été dans l'impossibilité de produire les documents exigés par les dispositions de l'article 46 du code des marchés publics dans les délais impartis, la région a lancé une nouvelle procédure de passation du marché ; que la société Hygie-Serv, qui s'est de nouveau portée candidate à l'attribution du marché, s'est vu notifier le rejet de son offre, par une lettre du 4 mai 2012, étant classée en deuxième position derrière la société 3P ; que la société Hygie-Serv a saisi le tribunal administratif de Strasbourg d'une demande tendant à la condamnation de la région Lorraine à lui verser la somme de 24 643, 80 euros en réparation du manque à gagner qu'elle estimait avoir subi du fait de son éviction irrégulière de la première procédure d'attribution du marché ; que par un jugement du 19 décembre 2014, dont la société Hygie-Serv relève appel, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande ;

Sur la responsabilité :

2. Considérant qu'aux termes de l'article 46 du code des marchés publics : " I. - Le candidat auquel il est envisagé d'attribuer le marché produit en outre : / 1° Les pièces prévues aux articles D. 8222-5 ou D. 8222-7 et D. 8222-8 du code du travail ; ces pièces sont à produire tous les six mois jusqu'à la fin de l'exécution du marché ; / 2° Les attestations et certificats délivrés par les administrations et organismes compétents prouvant qu'il a satisfait à ses obligations fiscales et sociales. Un arrêté des ministres intéressés fixe la liste des administrations et organismes compétents ainsi que la liste des impôts et cotisations sociales devant donner lieu à délivrance du certificat (...) / III. - Le marché ne peut être attribué au candidat dont l'offre a été retenue que si celui-ci produit dans le délai imparti les certificats et attestations prévus au I et au II. S'il ne peut produire ces documents dans le délai imparti, son offre est rejetée et le candidat éliminé. / Le candidat dont l'offre a été classée immédiatement après la sienne est sollicité pour produire les certificats et attestations nécessaires avant que le marché ne lui soit attribué. Si nécessaire, cette procédure peut être reproduite tant qu'il subsiste des offres qui n'ont pas été écartées au motif qu'elles sont inappropriées, irrégulières ou inacceptables " ;

3. Considérant qu'il résulte des dispositions précitées de l'article 46 du code des marchés publics, d'une part, que le candidat auquel il est envisagé d'attribuer le marché doit produire un certain nombre de documents attestant notamment qu'il est à jour de ses obligations fiscales et sociales et, d'autre part, qu'à défaut pour ce candidat de communiquer ces documents au pouvoir adjudicateur, son offre doit être rejetée, le candidat dont l'offre a été classée immédiatement après la sienne étant alors sollicité pour produire les certificats et attestations nécessaires avant que le marché ne lui soit attribué ;

4. Considérant qu'il résulte de l'instruction que la société 3P, déclarée attributaire du marché lors de la première procédure de passation, n'a pas été en mesure de fournir les documents exigés par les dispositions précitées de l'article 46 du code des marchés publics ; que la région Lorraine a alors décidé de déclarer sans suite la procédure de passation du marché et n'a pas ainsi sollicité, en application de l'article 46, la société Hygie-Serv dont l'offre était classée en deuxième position ; que la région Lorraine soutient qu'elle ne pouvait sans commettre d'irrégularité solliciter la société Hygie-Serv dès lors qu'ayant notifié aux candidats le rejet de leurs offres, celles-ci étaient devenues caduques ; que, toutefois, la région Lorraine ne peut se prévaloir de l'irrégularité qu'elle a commise en rejetant les offres des autres soumissionnaires avant de s'être assurée de la production des documents exigés par l'attributaire pressenti, pour invoquer " une fragilité juridique " constitutive d'un motif d'intérêt général de nature à justifier une déclaration sans suite de la procédure de passation du marché ; que, dans ces conditions, conformément aux dispositions précitées du III de l'article 46 du code des marchés publics, la région Lorraine devait solliciter la société Hygie-Serv, dont l'offre qui n'était ni inappropriée, ni irrégulière, ni inacceptable, avait été classée immédiatement après celle de la société 3P, pour produire les certificats et attestations nécessaires avant que le marché ne lui soit attribué ; que la région Lorraine a ainsi entaché la procédure de passation du marché d'une irrégularité de nature à engager sa responsabilité ;

Sur le préjudice :

5. Considérant que lorsqu'une entreprise candidate à l'attribution d'un marché public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de ce dernier, il appartient au juge de vérifier d'abord si l'entreprise était ou non dépourvue de toute chance de remporter ce marché ; que, dans l'affirmative, l'entreprise n'a droit à aucune indemnité ; que, dans la négative, elle a droit, en principe, au remboursement des frais qu'elle a engagés pour présenter son offre ; qu'il convient ensuite de rechercher si l'entreprise avait des chances sérieuses d'emporter le marché ; que, dans un tel cas, l'entreprise a droit à être indemnisée de son manque à gagner, incluant nécessairement, puisqu'ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l'offre qui n'ont donc pas à faire l'objet, sauf stipulation contraire du contrat, d'une indemnisation spécifique ;

6. Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'analyse des offres, que l'offre de la société Hygie-Serv a été classée en deuxième position après celle la société 3P ; que faute pour cette dernière d'avoir communiqué les documents attestant notamment qu'elle était à jour de ses obligations fiscales et sociales, il appartenait à la région Lorraine, ainsi qu'il a été dit au point 4, de solliciter, en application des dispositions précitées de l'article 46 du code des marchés publics, la société Hygie-Serv ; que, par suite, la société Hygie-Serv, qui avait des chances sérieuses de remporter le marché, a droit à être indemnisée de son manque à gagner ;

7. Considérant, d'une part, qu'il résulte de l'instruction que le marché était prévu pour une durée de douze mois et qu'il était susceptible d'être reconduit pour la même durée par une décision expresse du maître de l'ouvrage ; que la reconduction du marché n'étant qu'une faculté pour le maître de l'ouvrage, le titulaire du marché ne peut se prévaloir d'un droit à sa reconduction ; que, par suite, le candidat irrégulièrement évincé de la procédure de passation ne saurait se prévaloir d'une perte de chance sérieuse d'obtenir la reconduction du marché ; qu'ainsi, la société Hygie-Serv, dont le préjudice n'est certain que pour une durée de douze mois, ne saurait demander à être indemnisée de son manque à gagner au-delà de la première année d'exécution du marché ;

8. Considérant, d'autre part, que le marché comportait une part forfaitaire et une part à bons de commande sans minimum ; qu'aux termes de l'article 1.2 du cahier des clauses particulières du marché : " Le titulaire pourra se voir confier des tâches diverses de manutention et de réparation (...) " et qu'aux termes de l'article 3.1 du même document : " Le montant de la part à bons de commande est fonction des prestations effectivement commandées par le conseil régional de Lorraine, par émissions de bons de commandes successifs au fur et à mesure de ses besoins pendant la durée de validité du marché " ; qu'il résulte de ces stipulations que la part du marché relative aux bons de commande n'est pas garantie au titulaire du marché ; qu'il suit de là, que le préjudice de la société Hygie-Serv n'est certain que pour la part forfaitaire du marché ;

9. Considérant que la société Hygie-Serv a ainsi perdu une chance sérieuse d'obtenir le marché pour un montant 21 564 euros hors taxes qui correspond à la part forfaitaire de ce marché pour une durée de douze mois ; qu'il résulte de l'instruction et notamment des données avancées par la société Hygie-Serv faisant état d'un taux de marge nette de 8,73 %, qui correspond à celui de la société sur l'exercice 2013 ainsi d'ailleurs qu'au taux de marge habituel rencontré pour ce type de marché, que, compte tenu du montant du marché susmentionné, la société Hygie-Serv est fondée à demander au titre de son manque à gagner une somme de 1 882, 54 euros ;

10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société Hygie-Serv est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande ;

Sur les dépens :

11. Considérant qu'aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative alors en vigueur : " Les dépens comprennent la contribution pour l'aide juridique prévue à l'article 1635 bis Q du code général des impôts (...). / Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagées entre les parties (...) " ;

12. Considérant qu'en application des dispositions précitées de l'article R. 761-1 du code de justice administrative, il y a lieu, en l'absence de dispositions ou de circonstances particulières de nature à y faire obstacle, de mettre à la charge de la région Lorraine le versement à la société Hygie-Serv de la somme de 35 euros correspondant à la contribution pour l'aide juridique dont elle s'est acquittée en première instance ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

13. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la société Hygie-Serv, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que la région Lorraine demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu en revanche de mettre à la charge de la région Lorraine une somme de 1 500 euros à verser à la société Hygie-Serv sur le fondement des mêmes dispositions ;

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 1203773 du 19 décembre 2014 du tribunal administratif de Strasbourg est annulé.

Article 2 : La région Alsace Champagne-Ardenne Lorraine est condamnée à verser à la société Hygie-Serv une somme de 1 882,54 euros.

Article 3 : La région Alsace Champagne-Ardenne Lorraine versera à la société Hygie-Serv une somme de 35 (trente-cinq) euros au titre de l'article R. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La région Alsace Champagne-Ardenne Lorraine versera à la société Hygie-Serv une somme de 1 500 (mille cinq cent) euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête la société Hygie-Serv est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société Hygie-Serv et à la région Alsace Champagne-Ardenne Lorraine.

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N° 15NC00330


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 4ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 15NC00330
Date de la décision : 05/07/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Marchés et contrats administratifs - Formation des contrats et marchés.

Responsabilité de la puissance publique - Réparation - Préjudice - Absence ou existence du préjudice.


Composition du Tribunal
Président : M. MARINO
Rapporteur ?: M. Alexis MICHEL
Rapporteur public ?: M. LAUBRIAT
Avocat(s) : CHOFFEL

Origine de la décision
Date de l'import : 19/07/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2016-07-05;15nc00330 ?
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