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13/11/2014 | FRANCE | N°13NC02030

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3ème chambre - formation à 3, 13 novembre 2014, 13NC02030


Vu la requête, enregistrée le 21 novembre 2013, complétée par un mémoire enregistré le 24 septembre 2014, présentée pour M. G... D..., Mme B... N...et M. F... D..., demeurant..., M. H...et Mme P...O...M..., demeurant..., et M. C... et Mme Q...O...K..., demeurant..., ces derniers agissant tant en leurs noms personnels qu'au nom de leur fille mineureA..., par MeE... ;

M. D... et autres demandent à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1100893 du 24 septembre 2013 par lequel le tribunal administratif de Besançon a rejeté leur demande tendant à la condamnation du centr

e hospitalier régional universitaire de Besançon à verser à M. D...la som...

Vu la requête, enregistrée le 21 novembre 2013, complétée par un mémoire enregistré le 24 septembre 2014, présentée pour M. G... D..., Mme B... N...et M. F... D..., demeurant..., M. H...et Mme P...O...M..., demeurant..., et M. C... et Mme Q...O...K..., demeurant..., ces derniers agissant tant en leurs noms personnels qu'au nom de leur fille mineureA..., par MeE... ;

M. D... et autres demandent à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1100893 du 24 septembre 2013 par lequel le tribunal administratif de Besançon a rejeté leur demande tendant à la condamnation du centre hospitalier régional universitaire de Besançon à verser à M. D...la somme totale de 334 000 euros et à chacun de ses ayants droits la somme de 5 000 euros, en réparation de la faute commise lors de la prise en charge de M. D...au mois de novembre 2008, ou à ce que ces préjudices soient réparés au titre de la solidarité nationale ;

2°) à titre principal, de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux et des affections iatrogènes (ONIAM) à réparer les préjudices subis et, à titre subsidiaire, de condamner le centre hospitalier régional universitaire de Besançon à réparer ces mêmes préjudices, en raison de l'infection nosocomiale contractée par M.D..., avec un abattement de responsabilité pouvant être fixé à 50 % ;

3°) de mettre à la charge solidaire du centre hospitalier régional universitaire de Besançon et de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux et des affections iatrogènes la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Ils soutiennent que :

- l'ischémie du membre inférieur droit dont a été atteint M. D...est une conséquence anormale des soins qu'il a reçus, eu égard à son état de santé et à l'évolution prévisible de celui-ci, qui ont engendré des préjudices d'une exceptionnelle gravité ;

- la surinfection des tissus nécrotiques, due au champignon " Absidia corymbifera ", a constitué une cause secondaire de la gangrène et a conduit à modifier le niveau de l'amputation réalisée ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 11 mars 2014, présenté par la caisse primaire d'assurance maladie de Haute-Saône et la caisse primaire d'assurance maladie du Doubs, qui indiquent ne pas présenter, dans la présente instance, de demandes tendant au remboursement des débours engagés ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 18 mars 2014, présenté pour l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux et des affections iatrogènes (ONIAM), par MeI..., qui conclut :

1°) au rejet de la requête ;

2°) par la voie de l'appel incident, à l'annulation de l'article 3 du jugement attaqué en tant qu'il met à sa charge les frais d'expertise ;

L'ONIAM fait valoir que :

- les caisses primaires d'assurance maladie ne disposent en l'espèce d'aucun droit de recours à son encontre pour le recouvrement de leurs créances ;

- les dommages subis par M. D...ne résultent pas d'un accident médical ou d'une infection ouvrant droit à indemnisation directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins, mais sont la conséquence de la pathologie grave qu'il présentait lors de son admission au centre hospitalier régional universitaire de Besançon ;

- ces dommages ne sont pas anormaux au regard de l'état de santé du patient ou de son évolution prévisible ;

- en tout état de cause, les conclusions présentées par les proches de M. D...sont irrecevables, les ayants droit ne pouvant obtenir réparation de l'ONIAM qu'en cas de décès du patient ;

- en se bornant à évoquer " les circonstances de l'espèce " pour mettre à sa charge les frais d'expertise, le tribunal a insuffisamment motivé sa décision ;

- aucune circonstance ne permet en l'espèce de justifier que les frais d'expertise soient mis à sa charge ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 20 mars 2014, présenté pour le centre hospitalier régional universitaire de Besançon, par MeL..., qui conclut au rejet de la requête ;

Le centre hospitalier régional universitaire de Besançon fait valoir que :

- les requérants ne justifient pas du fondement de leurs demandes ;

- aucune faute ne peut lui être imputée ;

- la qualification d'infection nosocomiale doit être écartée, dans la mesure où le germe ayant contaminé M. D... est nécessairement consécutif au développement de la nécrose l'ayant atteint et, qu'en outre, ce germe peut avoir été contracté en dehors des locaux du centre hospitalier régional universitaire de Besançon ;

- l'amputation n'a pas été causée par la surinfection mais résultait nécessairement de la grave ischémie dont souffrait le patient ;

- il n'est pas établi que la surinfection aurait modifié le niveau de l'amputation, ni même qu'elle aurait eu des répercussions sur l'appareillage de M.D... ;

- M. D...ne justifie pas de la réalité des différentes postes de préjudices qu'il invoque ;

- les autres requérants n'établissent pas le bien fondé de leurs demandes, ni au demeurant la réalité de leurs liens familiaux avec la victime ;

Vu le mémoire enregistré le 8 octobre 2014, présenté pour le centre hospitalier régional universitaire de Besançon, par MeL... ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 16 octobre 2014 :

- le rapport de M. Fuchs, premier conseiller,

- les conclusions de M. Collier, rapporteur public,

- et les observations de Me J...pour les requérants ;

1. Considérant que M. G...D..., né le 5 juillet 1957, présentait des symptômes pseudo-grippaux au retour d'un trek au Népal, où il a séjourné du 17 octobre au 8 novembre 2008 ; qu'à la suite d'un malaise général associé à des vomissements, il a été admis aux urgences du centre hospitalier universitaire régional de Besançon dans la nuit du 10 au 11 novembre, où l'examen pratiqué a révélé une détresse respiratoire aigüe résultant d'un état de choc cardiogénique, causé par une tumeur des glandes surrénales finalement diagnostiquée en février 2009 et pour laquelle M. D... a été opéré au mois d'avril 2009 ; qu'eu égard à la gravité de son état, une oxygénation par membrane extra-corporelle a été mise en place dans l'après-midi du 11 novembre 2008 ; qu'à la suite de la pose de cette assistance, il a été constaté la survenance d'une ischémie du membre inférieur droit, qui a fait l'objet de soins chirurgicaux dans la journée du 12 novembre afin de lutter contre l'obstruction des vaisseaux ; qu'en raison de la persistance de sa défaillance cardiaque, le patient a été transféré au groupement hospitalier Est de Lyon le 18 novembre, pour qu'une assistance infra-thoracique de longue durée soit mise en place ; que si la fonction myocardique de M. D...s'est alors rapidement améliorée, l'ischémie du membre inférieur droit a persisté malgré les interventions et les soins réalisés ; qu'il a alors été transféré vers l'hôpital Lyon Sud le 28 novembre, afin que soit prise en charge la nécrose des tissus de ce membre, les prélèvements réalisés permettant par ailleurs d'identifier une infection par un champignon envahissant et résistant au niveau des loges musculaires ; qu'il a été procédé à l'amputation de la jambe droite du patient à mi-cuisse le 3 décembre 2008 ; que M.D..., sa femme, ses enfants et une de ses petites-filles relèvent appel du jugement du 24 septembre 2013 par lequel le tribunal administratif de Besançon a rejeté leur demande tendant à la condamnation du centre hospitalier régional universitaire de Besançon à les indemniser des préjudices consécutifs à sa prise en charge au sein de cet établissement ;

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Considérant qu'aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. / Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties " ; que le jugement attaqué précise qu'il y a lieu de mettre " dans les circonstances de l'espèce " les dépens à la charge de l'ONIAM ; que, par suite, l'ONIAM n'est pas fondé à soutenir qu'il serait, sur ce point, insuffisamment motivé ;

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne la responsabilité du centre hospitalier régional universitaire de Besançon :

3. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. / Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère " ;

4. Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expertise ordonnée en première instance, que lorsque M. D...est arrivé aux urgences du centre hospitalier régional universitaire de Besançon, il était en état de choc cardiogénique sévère, qui a nécessité la mise en place d'une oxygénation par membrane extra-corporelle afin d'éviter son décès ; qu'une ischémie du membre inférieur droit a été constatée à la suite de la pose de l'assistance respiratoire, provoquant une gangrène et nécessitant son amputation à mi-cuisse ;

5. Considérant, d'une part, qu'il ressort du rapport de l'expertise ordonnée en première instance que les causes de l'ischémie du membre inférieur droit de M.D..., puis la gangrène de ce membre sont le grand bas débit cardiaque initial du patient et la présence d'un cathéter artériel au niveau de l'artère fémorale droite, dont la pose était indispensable et qui a été mis en place de façon parfaitement justifiée ; que les experts excluent qu'un phénomène infectieux à champignon soit la cause de cette ischémie, puis de la gangrène consécutive à celle-ci ; que si une surinfection des tissus nécrosés, qui est selon les experts " quasi inévitable " dans cette circonstance, a été provoquée par le champignon " Absidia corymbifera ", cette infection ne peut être regardée comme étant la cause de l'amputation qu'il a subie ;

6. Considérant, d'autre part, que les requérants soutiennent que cette infection a conduit à une amputation plus haute de quelques centimètres, qui se traduirait aujourd'hui par des difficultés et une gêne plus importantes dans la vie quotidienne de M.D... ; que s'il résulte de l'expertise ordonnée en première instance que l'infection a accéléré le processus de nécrose des tissus, il n'est en revanche pas établi qu'elle aurait eu une influence sur le volume et le niveau de l'amputation de la jambe de l'intéressé ;

7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le centre hospitalier régional universitaire de Besançon aurait commis une faute dans la réalisation des soins dont a bénéficié M.D... ;

En ce qui concerne l'indemnisation au titre de la solidarité nationale :

8. Considérant qu'aux termes du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire (...) " ;

9. Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment des examens complémentaires menés à la suite de l'amputation de M.D..., que l'intéressé a été victime d'une myocardite fulminante causée par une tumeur des glandes surrénales appelée phéochromocytome, dont l'évolution prévisible est le décès dans la majorité des cas ; que la mise en oeuvre d'une oxygénation par membrane extra-corporelle a permis de lui sauver la vie ; que le risque d'ischémie des membres est une complication redoutée de ce traitement, qui se réalise pour plus de 10% des patients ayant bénéficié de la mise en place d'une oxygénation par membrane extra-corporelle ; que s'il est plus rare, comme dans le cas de M.D..., que cette ischémie se produise sur un autre membre que celui où sont posées les canules, elle n'en demeure pas moins un risque inhérent et connu à une telle technique, dont la probabilité de réalisation est favorisée, ainsi qu'il a été dit au point 5, par le grand bas débit sanguin initial du patient et l'implantation nécessaire d'un cathéter artériel sur le membre finalement amputé, ainsi que par la difficulté de lutter contre les thromboses chez les patients bénéficiant de ce type d'assistance ; que, dans ces conditions, eu égard en particulier à l'issue fatale qu'aurait pu connaître M. D...en l'absence de traitement de la détresse respiratoire aigüe dont il était atteint, l'amputation qu'il a dû subir ne peut être regardée comme une conséquence anormale de son état de santé ou de l'évolution prévisible de celui-ci ; que, par suite, les dommages subis par M. D...ne peuvent être indemnisés au titre de la solidarité nationale en application des dispositions précitées du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique ;

10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par l'ONIAM, que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Besançon a rejeté leurs demandes indemnitaires ;

En ce qui concerne les dépens et les conclusions présentées par la voie de l'appel incident par l'ONIAM :

11. Considérant qu'aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. / Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties " ;

12. Considérant qu'aucune circonstance particulière de l'affaire ne justifie que les dépens soient mis à la charge de l'ONIAM, qui n'est pas la partie perdante ; qu'il y a lieu de mettre à la charge des requérants ces dépens, qui comprennent les frais et honoraires de l'expert et du sapiteur, liquidés et taxés à la somme de 2 500 euros par une ordonnance de taxation rendue le 30 août 2012 par le président du tribunal administratif de Besançon ; que, par suite, l'ONIAM est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Besançon a mis ces dépens à sa charge ;

En ce qui concerne les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

13. Considérant que les dispositions de cet article font obstacle à ce que soit mis à la charge du centre hospitalier régional universitaire de Besançon et de l'ONIAM qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes, le versement de la somme que les requérants demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Besançon du 24 septembre 2013 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 2 : La requête de M. D... et autres est rejetée.

Article 3 : Les frais d'expertise liquidés et taxés à la somme de 2 500 euros sont mis à la charge de M. G...D..., Mme B...N..., M. F... D..., M. H...et Mme P... O...M..., et M. C... et Mme Q...O...K....

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. G... D..., à Mme B...N..., à M. F... D..., à M. H... O...M...et Mme P...O...M..., à M. C... O...K...et Mme Q...O...K..., au centre hospitalier universitaire de Besançon, à la caisse primaire d'assurance maladie de Haute-Saône, à la caisse primaire d'assurance maladie du Doubs et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux et des affections iatrogènes.

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