Vu le recours enregistré au greffe de la Cour le 11 mars 2008, présenté par le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE ; le MINISTRE demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0401409 - 0401488 du 9 janvier 2008 par lequel le Tribunal administratif de Strasbourg a condamné l'Etat à payer à la Compagnie Groupama Alsace une somme de 412 194,34 euros mise à la charge de celle-ci par décisions de justice la condamnant à indemniser les victimes de dommages causés par trois mineurs ;
2°) de rejeter la demande présentée par la compagnie Groupama Alsace devant le Tribunal administratif de Strasbourg ;
Il soutient que :
- les infractions commises en réunion dans la nuit du 10 au 11 octobre 1997 sont le fait de mineurs dont deux étaient placés auprès de l'association Lova par décision du juge des enfants prise sur le fondement des articles 375 et suivants du code civil ; la responsabilité de l'Etat ne peut être engagée au seul motif que l'un des mineurs ayant participé à la réalisation du dommage ait été placé auprès de cette association par le juge des enfants sur le fondement de l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante ;
- reconnaître la responsabilité de l'Etat provoque un enrichissement sans cause de l'assureur Groupama ; l'Etat paie à travers le prix de journée les primes d'assurance que doit obligatoirement souscrire l'association Lova en vertu des dispositions de l'article 7 de la convention de séjour temporaire ; elle est amenée ainsi à assumer une seconde fois la charge du dommage ;
- à titre subsidiaire, la responsabilité de l'Etat doit être atténuée en raison des fautes commises par l'association Lova et la société Cariane ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 7 juillet 2008, présenté pour la compagnie Groupama Alsace SA par la SELARL d'avocats Soler-Couteaux - Llorens, qui conclut au rejet du recours du ministre et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de l'Etat en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que :
- la requête est irrecevable pour tardiveté ;
- un des mineurs responsable du dommage était placé auprès de l'association Lova sur le fondement de l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante ; la responsabilité de l'Etat est donc engagée ; la circonstance que les dommages aient été aussi commis par des mineurs placés dans le cadre d'une mesure d'assistance éducative ne supprime ni ne restreint la responsabilité de l'Etat, le fait du tiers ne pouvant jouer dans les cas de responsabilité sans faute ;
- le moyen tiré de ce qu'elle serait bénéficiaire d'un enrichissement sans cause est inopérant ;
- aucune faute de l'association Lova ou de la société Cariane n'est démontrée ;
Vu l'ordonnance du président de la troisième chambre de la Cour, fixant la clôture de l'instruction au 20 avril 2009 à 16 heures ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu l'arrêt, rendu le 28 mai 2009 sous le n°08NC00383 par la présente Cour , rejetant le recours du GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE tendant à l'annulation du jugement en date du 9 janvier 2008 du Tribunal administratif de Strasbourg ;
Vu la décision du 6 octobre 2010 par laquelle le Conseil d'Etat a annulé l'arrêt rendu par la Cour administrative d'appel de Nancy le 28 mai 2009 sous le n° 08NC00383 susvisé, et a renvoyé l'affaire devant la présente Cour ;
Vu le mémoire, enregistré le 15 février 2011 présenté par le GARDE DES SCEAUX MINISTRE DE LA JUSTICE ET DES LIBERTES tendant aux mêmes fins que son précédent mémoire par les mêmes moyens, subsidiairement, à ce que la Cour limite la garantie de l'Etat à hauteur de la participation du mineur Alexandre G. dans le dommage et, le cas échéant, au tiers de la condamnation totale et, dans le cadre de cette limitation, écarter ou atténuer sa responsabilité à hauteur des fautes respectives de l'association Lova et de la société Cariane ;
Il soutient que :
- seule la responsabilité de l'association Lova pouvait être engagée car elle avait reçu, par ordonnances du juge des enfants la garde des trois mineurs auteurs des dommages ;
- reconnaître la responsabilité de l'Etat provoque un enrichissement sans cause de l'assureur Groupama dès lors que l'Etat paie, à travers le prix de journée, les primes d'assurance que doit obligatoirement souscrire l'association Lova en vertu des dispositions de l'article 7 de la convention de séjour temporaire ;
- subsidiairement, la situation juridique des trois mineurs étant différente, la responsabilité de l'Etat ne pouvait être engagée sans faute qu'à raison d'un seul des enfants, ou, à défaut à hauteur du tiers de la condamnation totale ;
- si la responsabilité de l'Etat doit être retenue, elle doit être atténuée par la faute de l'association Lova, qui a manqué au devoir de surveillance des mineurs qui lui ont été confiés par l'autorité judiciaire ainsi que de la société Cariane, dont les défaillances du système de sécurité ont facilité la survenance du délit ;
Vu le mémoire, enregistré le 17 février 2011 complété le 7 mars 2011, présenté pour la compagnie Groupama Grand Est par Me Soler-Couteaux, avocat ; elle conclut au rejet de la requête et à ce que l'intégralité ou à défaut les trois quarts de la somme de 412 194,34 € soient mis à la charge de l'Etat et à ce que l'Etat soit condamné à lui verser la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; elle soutient que les moyens de la requête sont infondés ;
Vu l'ordonnance du 13 janvier 2011 du président de la quatrième chambre de la Cour fixant la clôture de l'instruction au 18 février 2011 à 16 heures ;
Vu l'ordonnance du 22 février 2011 reportant la clôture d'instruction au 18 mars 2011 à 16 heures ;
Vu enregistré le 18 mars 2011, le mémoire du GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE ET DES LIBERTES, tendant aux mêmes fins que son recours par les mêmes moyens et en outre faisant valoir que l'association Lova ne relève aucunement de l'autorité de l'Etat, s'agissant d'une personne privée chargée d'une mission d'intérêt général conformément aux dispositions de l'article L. 311-1 du code de l'action sociale et des familles ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des assurances ;
Vu le code civil ;
Vu l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 ;
Vu le décret n° 84-131 du 24 février 1984 et l'arrêté interministériel du 30 avril 2003 pris pour son application ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 14 novembre 2011 :
- le rapport de Mme Rousselle, président,
- les conclusions de M. Wiernasz, rapporteur public,
- les observations de Me Bronner, avocat de Compagnie Groupama Alsace ;
Sur la fin de non recevoir opposée par la caisse régionale Groupama Grand Est :
Considérant qu'aux termes de l'article R. 811-2 du code de justice administrative : Sauf disposition contraire, le délai d'appel est de deux mois. Il court contre toute partie à l'instance à compter du jour où la notification a été faite à cette partie dans les conditions prévues aux articles R. 751-3 et R. 751-4. (...). ;
Considérant que le jugement n° 0401409 - 0401488 du 9 janvier 2008 du Tribunal administratif de Strasbourg a été notifié régulièrement au ministère de la justice qui en a accusé réception le 10 janvier 2008 ainsi qu'il ressort de l'accusé de réception retourné au Tribunal ; qu'ainsi, l'appel formé à l'encontre du jugement en cause reçu au greffe de la juridiction d'appel le 11 mars 2008 sous forme de télécopie , confirmé le 13 mars 2008 n'était pas tardif ; que, par suite, la fin de non recevoir opposée ne peut qu'être rejetée ;
Au fond :
Considérant, d'une part, que la décision par laquelle une juridiction des mineurs confie la garde d'un mineur, dans le cadre d'une mesure prise en vertu de l'ordonnance du 2 février 1945, à l'une des personnes mentionnées par cette ordonnance transfère à la personne qui en est chargée la responsabilité d'organiser, diriger et contrôler la vie du mineur ; que si, en raison des pouvoirs dont elle se trouve ainsi investie lorsque le mineur lui a été confié, sa responsabilité peut être engagée, même sans faute, pour les dommages causés aux tiers par ce mineur, l'action ainsi ouverte ne fait pas obstacle à ce que soit également recherchée, devant la juridiction administrative, la responsabilité de l'Etat en raison du risque spécial créé pour les tiers du fait de la mise en oeuvre d'une des mesures de liberté surveillée prévues par l'ordonnance du 2 février 1945 ;
Considérant, d'autre part, que la décision par laquelle le juge des enfants confie la garde d'un mineur, dans le cadre d'une mesure d'assistance éducative prise en vertu des articles 375 et suivants du code civil, à l'un des services ou établissement mentionnés à l'article 375-3 du même code, transfère la responsabilité d'organiser, diriger et contrôler la vie du mineur à ce service ou à cet établissement, dont la responsabilité est engagée pour les dommages causés aux tiers par ce mineur, même sans faute, sans qu'il puisse, lorsqu'il ne relève pas de l'autorité de l'Etat, rechercher la responsabilité pour risque de ce dernier au titre des agissements du mineur concerné, alors même que les conditions d'accueil seraient identiques à celles d'un mineur relevant de l'ordonnance du 2 février 1945 ;
Considérant, enfin, que lorsque l'un des coauteurs d'un dommage a indemnisé intégralement la victime des préjudices qu'elle a subis, il ne peut, par la voie de l'action subrogatoire, se retourner contre un coauteur que dans la limite de la responsabilité encourue individuellement par ce dernier ;
Considérant qu'il ressort des termes du jugement attaqué que le Tribunal administratif de Strasbourg, saisi par l'assureur de l'association Lova, qui avait pris en charge l'indemnisation des dommages causés par trois mineurs dont les agissements engageaient sa responsabilité, même sans faute, au titre des articles 375 et suivants du code civil pour deux d'entre eux et de l'ordonnance du 2 février 1945 pour le troisième, d'une action subrogatoire contre l'Etat, dont la responsabilité pour risque était susceptible d'être engagée à raison des agissements de celui de ces deux mineurs relevant de l'ordonnance du 2 février 1945, a condamné l'Etat à rembourser au demandeur l'intégralité de la dette dont il s'était acquittée ; qu'en mettant ainsi à la charge de l'Etat l'intégralité de cette somme au seul motif que sa responsabilité sans faute était engagée pour l'un des mineurs à l'origine des faits, alors qu'il lui appartenait de rechercher, au vu des circonstances de l'espèce, quelle était la part respective des trois mineurs coauteurs dans la réalisation du dommage afin de déterminer la somme due par l'Etat, le tribunal administratif a commis une erreur de droit ;
Considérant, toutefois, qu'il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la société Groupama devant le Tribunal administratif ;
Sur la responsabilité de l'Etat :
Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction qu'à Sainte Marie aux Mines, dans la nuit du 10 au 11 octobre 1997, quatre véhicules appartenant à des particuliers ont fait l'objet de tentatives de vol et quatre autocars de la société Cariane ont été incendiés ; que les dommages en cause, d'un montant total non discuté de 412 194. 34 euros, ont été causés par trois mineurs placés auprès de l'association Lova par décisions judiciaires, sur le fondement, pour deux d'entre eux, des articles 375 et suivants du code civil et pour le troisième, de l'ordonnance du 2 février 1945 ; que les juridictions pour mineurs ont retenu la responsabilité de chacun des coauteurs ; que si la compagnie GROUPAMA ALSACE, assureur de l'association, a indemnisé intégralement les victimes elle ne peut, comme il est rappelé ci-dessus engager une action subrogatoire à l'encontre de l'Etat à raison des agissements des adolescents placés au titre de l'assistance éducative auprès d'une structure associative de droit privé ; qu'en revanche, la mise en oeuvre du régime de liberté surveillée prévu par l'ordonnance du 2 février 1945 est la cause directe et certaine des dommages causés par le mineur relevant de la liberté surveillée de l'ordonnance susindiquée ; que, par suite, la responsabilité de l'Etat est effectivement engagée à hauteur d'un tiers des dommages ;
Considérant, en deuxième lieu, que si le MINISTRE invoque le fait que les primes d'assurance versées par l'association Lova à son assureur seraient en tout ou partie prises en charge par l'Etat, en tant que ce dernier assure le financement de l'association, eu égard à la différence entre les montants respectifs des primes et des indemnités versées, il n'est pas fondé à soutenir que la compagnie Groupama Alsace aurait ainsi bénéficié d'un enrichissement sans cause ;
Considérant, en troisième lieu que, dès lors qu'il résulte des énonciations du jugement sus rappelé du Tribunal de grande instance de Colmar que les portes de l'autocar à partir duquel le feu s'est propagé aux autres véhicules ont été forcées, il n'est pas établi que la société Cariane aurait elle-même commis une faute ;
Considérant, en dernier lieu, qu'en revanche, il résulte de l'instruction que l'association Lova n'assumait, à la date des faits, que la garde de quatre adolescents, âgés alors de 12 à 15 ans; qu'il est constant que quelques jours auparavant, certains d'entre eux avaient déjà fugué de nuit et commis des méfaits, sans que les responsables de l'association aient jugé utile de prendre des mesures destinées à mieux contrôler leurs agissements, tant pour leur propre sécurité que pour celle des tiers, hormis une simple ronde à 23 heures ; que dès lors, la seule circonstance que ces mineurs aient pu, à nouveau, quitter de nuit l'établissement où ils résidaient sans que leur sortie puisse être remarquée doit être regardée comme caractérisant une faute caractérisée de surveillance de l'association Lova, de nature à atténuer la responsabilité de l'Etat à hauteur de cinquante pour cent de sa part de responsabilité ;
Considérant qu'eu égard à ce qui précède, le MINISTRE est fondé à soutenir que vis-à-vis de la compagnie d'assurance de l'association Leva, sa responsabilité à raison des dommages causés est égale à un sixième du montant total des préjudices soit une somme de 68 699,06 euros ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions de la société GROUPAMA ALSACE tendant au bénéfice de ces dispositions ;
D É C I D E :
Article 1er : La somme de 412 194,34 euros que l'Etat a été condamné à payer à la société Groupama Grand Est par le jugement attaqué est ramenée à celle de 68 699,06 euros (soixante-huit-mille-six-cent-quatre-vingt-dix-neuf euros et six centimes).
Article 2 : Le jugement du Tribunal administratif de Strasbourg en date du 9 janvier 2008 est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article précédent.
Article 3 : Le surplus des conclusions du GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE ET DES LIBERTES est rejeté.
Article 4 : Les conclusions de la Compagnie Groupama Grand Est tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE ET DES LIBERTES, à la Compagnie Groupama Grand Est.
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